Chronique d’une prof : Comprendre et transmettre les notions en arts plastiques, par Cindy FACON
Chronique d’une prof : Comprendre et transmettre les notions en arts plastiques, par Cindy FACON
« L’art ne reproduit pas le visible, il rend visible » – Paul Klee
Comprendre et transmettre les notions en arts plastiques nécessite de conjuguer connaissance, expérimentation et sensibilité. Les notions fondamentales — matière, forme, volume, espace, couleur, lumière, temps et mouvement — ne prennent sens pour les élèves que lorsqu’elles sont vécues et manipulées concrètement. La matière et la technique se découvrent en touchant, modelant, peignant, sculptant ou photographiant, en laissant l’élève explorer librement et tester différents gestes et matériaux. La forme et le volume s’appréhendent à travers le dessin, la sculpture ou la modélisation, permettant de comprendre comment l’organisation spatiale des éléments produit rythme, équilibre et sens, comme dans les œuvres de Picasso ou Brancusi. L’espace et la perspective se travaillent par l’observation des proportions, des lignes de fuite, des compositions et par des activités pratiques comme le collage ou la photographie, pour saisir comment les artistes créent profondeur et narration. La couleur et la lumière s’expérimentent dans les mélanges, les contrastes et l’analyse d’œuvres où elles deviennent vecteurs d’émotion et d’intensité, comme chez Monet ou Caravaggio. Le temps et le mouvement se pensent à travers la narration visuelle, la bande dessinée, les installations cinétiques ou les ready-mades, invitant à considérer l’œuvre comme un processus vivant, à l’image de Duchamp ou Boccioni. L’approche pédagogique doit combiner pratique, observation et réflexion : par la pratique, l’élève s’approprie les matériaux et les techniques ; par l’observation, il développe un regard critique et un vocabulaire précis ; par la réflexion et l’échange, il apprend à argumenter ses choix et à relier les notions artistiques à des références culturelles et interdisciplinaires. Les projets guidés structurent la progression, les explorations libres stimulent la créativité, et les ateliers collaboratifs favorisent partage et entraide. En intégrant ces approches, l’enseignement des arts plastiques dépasse l’acquisition technique pour devenir une expérience globale où chaque notion se comprend, se vit et s’exprime, ouvrant les élèves à une culture artistique riche, autonome et sensible à la diversité des formes et des idées.
Aujourd’hui, je regarde mes élèves toucher la matière, gratter, lisser, modeler… et je réalise que chaque geste est une pensée, chaque trace sur le papier ou dans l’argile est un petit monde qu’ils construisent. La forme, le volume, l’espace — ce ne sont plus des mots, mais des sensations, des respirations, des silences partagés autour d’un dessin, d’un collage, d’une sculpture. La couleur explose sous leurs doigts, la lumière danse sur leurs surfaces, et parfois, un simple bleu devient émotion, un contraste devient question.
Le mouvement, le temps, tout prend vie dans leurs créations : une bande dessinée, un objet qui tourne, un pliage qui se déploie. L’art n’est plus figé, il devient dialogue, voyage, expérience. Je les accompagne, je guide, je propose, mais ce sont leurs découvertes qui m’émerveillent, leurs hésitations qui m’apprennent. Les projets structurent, mais ce sont les explorations libres qui font naître la magie, et les partages silencieux qui construisent respect, curiosité et entraide.
Chaque cours est un moment fragile et précieux où l’émotion rejoint la technique, où la notion devient vécue, où l’observation devient compréhension. Et dans ces instants, je comprends pourquoi j’enseigne : pour voir l’art prendre vie, pour voir leurs yeux s’allumer, pour sentir que la beauté n’est pas seulement à contempler, mais à créer, à ressentir, à partager. CF
Chronique d’une prof : ce qui reste …
Il y a des matins où je me demande ce qu’il en reste.
Pas des tubes de peinture séchés ou des ciseaux égarés, non — mais de tout ce qu’on a tenté de semer. Des années entières à découper, coller, observer, rater, recommencer.
Ce qui reste dans leur tête, dans leurs mains, dans leurs yeux.
Un jour, à la rentrée, une ancienne élève passe me voir.
Elle est au lycée maintenant, un peu intimidée, mais fière :
« Madame, vous vous souvenez du projet avec les ombres sur le mur ? Ben, j’ai fait un truc pareil pour mon oral d’art. »
Et moi, je souris. Je ne me souvenais plus du projet — mais elle, oui.
C’est souvent comme ça :
Ce qu’ils retiennent n’est pas toujours ce qu’on a prévu.
Pas forcément les notions d’espace ou de composition, mais une sensation.
Celle de liberté, de confiance, d’un moment où l’erreur n’était pas une faute, mais un départ.
En quatrième, il y avait Hugo, celui qui dessinait toujours des baskets, avec des flammes, des éclairs, des logos inventés.
Je me souviens lui avoir dit :
« Tes dessins sont un peu comme des graffitis sur papier. Tu sais, c’est une forme d’identité, ton style. »
Il a haussé les épaules à l’époque.
Trois ans plus tard, je le croise dans la rue.
Il me montre son téléphone :
« J’fais du graphisme maintenant, je vends des logos à des potes. Vous aviez raison, c’était mon truc. »
Ce jour-là, j’ai repensé à Matisse : “Il y a des fleurs partout pour qui veut bien les voir.”
Les cours d’arts plastiques, c’est peut-être ça : apprendre à voir.
En sixième, on travaille souvent sur la matière, la trace, le geste.
Il y avait Emma, toujours en retrait, qui ne parlait presque jamais.
Un jour, elle a froissé une feuille, l’a trempée dans l’encre, et l’a étalée sur la table.
C’était magnifique : un paysage abstrait, profond, sensible.
Je lui ai dit doucement :
« Tu vois, ton dessin parle à ta place. »
Elle a levé les yeux, un peu étonnée, puis elle a souri.
C’était peut-être la première fois qu’elle s’autorisait à “être vue”.
Ce que les élèves retiennent, ce n’est pas seulement une technique.
C’est un rapport au monde.
Ils apprennent à oser, à questionner, à douter sans paniquer.
Ils comprennent que le beau n’est pas dans la perfection mais dans la sincérité.
Que dans un collage bancal ou une peinture maladroite, il y a souvent plus de vérité que dans mille mots bien alignés.
Et quand je ramasse leurs carnets de croquis, remplis de traits hésitants, de collages déchirés, de pensées griffonnées —
je me dis que c’est ça, le vrai programme : fabriquer des traces de vie.
Parfois, des années plus tard, je reçois un message :
« Madame, à chaque fois que je vois un ciel rose au coucher du soleil, je pense à ce qu’on avait dit sur Turner. »
Ou bien :
« J’ai refait un autoportrait, pour voir si j’avais changé. »
Et moi, je relis ces mots avec un mélange de fierté et de gratitude.
Parce qu’au fond, ce qui reste de nos cours, ce ne sont pas des savoirs figés.
C’est une façon de regarder la vie avec les yeux grands ouverts.
Il reste la curiosité, le goût du risque, l’envie de créer.
Il reste la confiance en sa main, en son idée, en sa différence.
Il reste ce que l’école ne mesure pas, ce que les notes ne disent pas :
le frémissement d’une émotion, la joie d’une trouvaille, la fierté d’avoir fait quelque chose “ à sa manière ”.
Et moi, chaque fois que je rentre dans ma salle,
je me dis qu’on ne saura peut-être jamais vraiment ce qui reste —
mais qu’il reste toujours quelque chose.
Alors aujourd’hui j’ai posé la question à mes élèves : en arts plastiques, on ne garde pas toujours tout : les feuilles se perdent, la peinture sèche, les traces s’effacent…
Mais il reste toujours quelque chose : une idée, un geste, une émotion, un souvenir. Et les premiers résultats sont surprenants de vérité … CF