La chronique Éco de G. Fonouni | Lutter contre le chômage : un choix de société !

Le taux de chômage poursuit lentement sa décrue dans la zone euro. Les économies européennes affichent néanmoins des situations très contrastées : l’Espagne connait une baisse du taux de chômage, il est passé de 23,7% à 21,4% de la population active en ce début d’année 2016, l’Italie et le Portugal suivent le même chemin bien que leur chômage reste encore au-dessus des 10%, alors que l’Allemagne s’approche du plein emploi avec un taux avoisinant les 4,5%. La France quant à elle, reste dans la moyenne de l’Union Monétaire avec un taux de 10,2% mais avec une décrue à peine perceptible par rapport à ses voisins européens. Y aurait-il un chômage typiquement français ?

Pour lutter contre le chômage, tous ces pays ont choisi des solutions s’inspirant des théories libérales pour lesquelles le coût du travail (salaire brut + cotisations sociales patronales) et les rigidités structurelles du marché du travail en sont les principales causes. Condamnés à des faibles taux de croissance économique et à une démographie stagnante ou en déclin, ces pays y compris la Grande Bretagne ont privilégié dans leur politique de l’emploi : la baisse du coût du travail et la flexibilité du travail sous toutes ses formes internes et externes.

Ce traitement structurel administré par certains d’entre eux, avant ou après les crises financières et des dettes souveraines de 2008 et de 2012, commence à porter ses fruits aujourd’hui. Le recul de leur chômage semble bien engagé mais au prix d’une forte précarité touchant une grande partie de la population active. Cela serait ainsi le prix à payer pour obtenir un emploi ou pour le conserver aujourd’hui et dans les années futures. Un emploi coûte que coûte, même précaire, plutôt que le chômage tel est le sacrifice imposé aux actifs dans une conjoncture où la croissance ne parvient plus à dépasser la barre des 2% du PIB. Cette contrainte sociale instaure progressivement dans le monde du travail la règle selon laquelle le sas de la précarité et de la flexibilité est le passage obligé pour accéder à l’emploi et le maintenir. C’est donc autour de la flexibilité de l’emploi, du salaire et de la durée du travail que s’organiseront désormais la vie professionnelle et les parcours professionnels, et c’est à partir de cette nouvelle règle que devra se construire progressivement le nouveau droit du travail. Le sous-emploi chasse le bon emploi menaçant ainsi tous les salariés qui ont un déjà un emploi stable dans les entreprises leur garantissant des droits. Ils sont contraints au nom de cette forme de solidarité, d’abandonner leur rente sociale afin de permettre aux exclus de trouver un emploi. C’est donc sur les bases de la flexibilité du travail pour tous, rendue nécessaire pour lutter contre le chômage, que se construit ainsi ce nouveau modèle économique et social dans lequel il semble beaucoup plus facile au nom de la solidarité de réduire la rente sociale plutôt que la rente financière pour le bien-être de tous.

Notre économie doit-elle faire le même choix de société que nos voisins européens pour lutter contre le chômage ou au contraire doit-elle être plus audacieuse dans la lutte contre le chômage ? La France a un taux de croissance économique qui a toujours du mal à franchir le seuil de 1% par an et qui pourrait bien devenir malheureusement la norme. De plus, elle est pénalisée par son fort dynamisme démographique contrairement à ses voisins européens. Chaque année arrivent plus de 150000 personnes sur le marché du travail. Or avec un tel taux de croissance, beaucoup d’entre elles ne peuvent pas trouver d’emploi.

Pour doper la croissance, les Pouvoirs Publics ont mis en œuvre depuis deux ans une politique de l’offre cherchant à réduire le coût du travail grâce à une diminution des cotisations patronales et au C.I.C.E (Crédit d’Impôt pour la Compétitivité et l’Emploi) afin d’inciter les entreprises à investir et à embaucher.

 Cette politique montre aujourd’hui ses limites. C’est pourquoi la voie de la flexibilité du marché du travail et du code du travail qui semble toutefois moins audacieuse que celle de nos voisins a aussi été choisie. Pourtant une autre voie solidaire, plus osée et beaucoup plus efficace que la flexibilité, pourrait être explorée dans notre économie. Face à un tel chômage aggravé par la révolution numérique et face à des perspectives de croissance aussi basses, la réduction du temps de travail sous toutes ses formes permettrait de résorber le chômage en travaillant moins individuellement mais plus collectivement sans affecter les résultats des entreprises ainsi que ceux de notre économie. Aujourd’hui, avec moins d’heures de travail nous subvenons largement à nos besoins et nous produisons beaucoup plus et beaucoup mieux. Alors pourquoi ne pas utiliser la variable temps de travail pour se débarrasser du chômage de masse ?

 Réduire le temps de travail en diminuant parallèlement le salaire brut et les cotisations sociales patronales ainsi que celles de l’assurance chômage du salarié, afin de ne pas augmenter le coût de production des entreprises, favoriserait le maximum d’embauches sans amoindrir le salaire net des salariés. Le manque à gagner pour le budget de l’État serait comblé par la baisse du chômage et par une hausse des recettes tirées de la TVA du fait d’une consommation devenue plus soutenue. Au final, cela se traduirait donc par un accroissement de la production grâce à l’augmentation du volume de travail lié au nombre d’actifs garantissant ainsi le niveau de la croissance et donc celui de l’emploi. Le partage du travail est toujours une politique solidaire, qui suppose que ceux qui ont un emploi fassent des efforts et laissent une place à ceux qui sont au chômage. Ce choix ne sera accepté que si ce partage n’appauvrit pas les uns pour aider les autres. Or la baisse de la durée du travail accompagnée d’une baisse des cotisations sociales et assortie d’une embauche, profite à tous aussi bien aux « insiders » qu’aux «outsiders ». Elle permet de gagner plus tous ensemble sans chômage et d’améliorer les conditions de vie des salariés. C’est sur cette base qu’un nouvel ordre social et économique pourrait naître.

 Ce choix ne sera efficace et possible que si le monde patronal accepte l’idée que la durée du travail est un des facteurs qui équilibre le marché du travail contrairement au seul facteur coût du travail. Il le sera d’autant plus que s’il s’effectue par la négociation collective prenant en compte la situation de chaque entreprise pour déterminer le niveau de la baisse. Il est donc difficilement compréhensible, qu’à une époque où la lutte contre le chômage est devenue une urgence nationale, l’option de la réduction du temps de travail ne soit pas envisagée. Accepter de travailler moins individuellement mais plus collectivement est avant tout un choix idéologique au même titre que celui du choix de la flexibilité. La lutte contre le chômage est désormais devenue un choix de société !