La chronique Éco de G. Fonouni | Une révolution numérique avec peu de croissance et peu d’emploi !

La chronique Éco de G. Fonouni | Une révolution numérique avec peu de croissance et peu d’emploi !

Depuis les chocs pétroliers des années 1970, le chômage s’est enraciné dans notre économie et ne régresse que rarement. Il se situe aujourd’hui en France, autour de 10,4% de la population active. La cause essentielle de sa progression tient principalement au ralentissement de la croissance économique. Celle-ci ne parvient plus à dépasser la barre des 2% du PIB par an malgré le soutien des politiques de l’offre. Le temps des trente glorieuses est bien terminé. Nous sommes en train de vivre aujourd’hui la troisième révolution industrielle, celle du numérique, sans croissance économique et donc sans emploi. En effet, l’innovation numérique malgré ses nouveaux produits d’information et de communication, n’est pas autant créatrice de croissance forte et d’emploi que les innovations industrielles d’autrefois. La croissance des pays industrialisés ne cesse de reculer. Elle est passée par habitant en Europe de 4% pendant les trente glorieuses, à 1.5% durant les années 1990 et à 0.5% de 2001 à 2014. Quant au chômage, il ne cesse de progresser.

Comme l’a si bien démontré l’économiste autrichien Joseph Schumpeter (1883-1950), l’innovation possède une double face : l’une créatrice et l’autre destructrice. La croissance est un processus permanent de création et de destruction des activités économiques. Ce processus de destruction créatrice est à l’origine des fluctuations de la croissance sous forme de cycles. Ces vagues successives de création et de destruction de richesses économiques s’accompagnent ainsi d’une transformation du tissu industriel, des structures de l’économie et de celle des emplois. La vague de destruction de richesses précède celle de la création. Chaque vague d’innovations périme des activités entières, obligeant les entreprises soit à se reconvertir, soit à fermer ou à se délocaliser, ce qui entraîne des destructions d’emplois et du chômage. Mais les innovations ont aussi un aspect constructif. Elles donnent naissance à de nouveaux besoins, qui à leur tour donnent naissance à de de nouvelles activités créant ainsi de nouveaux emplois. Une innovation en appelle très souvent une autre. Aujourd’hui, la vague de création qui remplace celle de destruction tarde à arriver. Nous vivons une période dans laquelle la vague de la destruction provoquée par les progrès de l’informatique ne parvient pas à tirer suffisamment vite celle qui est créatrice de nouvelles activités et de nouveaux emplois. On ne voit pas se créer avec Internet, Google, Facebook, Twitter et les nouveaux logiciels, les millions d’emplois qui avaient accompagné les précédentes révolutions industrielles. L’avancée exponentielle des nouvelles technologies créées par le numérique réduit les emplois intermédiaires en les remplaçant par des « logiciels ». Cette perte des emplois dans la classe moyenne n’est pas compensée par de nouveaux emplois issus de nouvelles activités. 

Nous sommes dans une phase de transition, dans laquelle le progrès numérique pour l’instant, ne génère pas de gains de productivité aussi puissants que ceux de la révolution industrielle pour pouvoir faire émerger la deuxième vague de l’innovation garantissant une croissance soutenue. La faiblesse de ces gains de productivité crée une spirale de décroissance dans laquelle moins de productivité provoque moins de croissance donc moins d’emploi et de revenus, ce qui réduit la demande et décourage ainsi de nouvelles innovations. De plus, dans une conjoncture où la demande reste globalement faible à cause des politiques d’austérité imposées en Europe et dans laquelle l’investissement a du mal à décoller à cause d’une finance favorisant davantage l’actionnariat que l’entrepreunariat, il semble difficile de promouvoir l’esprit d’entreprendre nécessaire au démarrage de cette deuxième vague. Dans l’attente de l’arrivée de ce nouveau cycle, nous sommes condamnés à une prospérité avec peu de croissance et peu d’emploi malgré un progrès technique quasi-infini. Or nous pourrions supporter cette croissance durable faible créant peu d’emploi à la condition que celle-ci s’accompagne d’une réduction réelle des inégalités grâce à une fiscalité progressive et équitable. Et aussi, à la condition de mettre en œuvre un pacte de responsabilité sur le partage du temps de travail faisant de la durée du travail une variable d’ajustement du marché du travail. Toutefois ces deux politiques ne doivent pas nous faire accepter cette stagnation séculaire comme étant une fatalité. Bien au contraire, elles doivent être l’occasion pour les États de développer et d’encourager les investissements dans la recherche pour favoriser l’innovation afin de rendre le progrès technique pourvu en productivité et donc plus riche en croissance et en emploi !