La chronique Éco de G. Fonouni | Compétitivité prix : un engrenage paradoxal !
Dans le contexte international actuel, notre modèle social devient de plus en plus coûteux et pèse sur la compétitivité-prix des entreprises qui ont du mal à gagner des parts de marché avec des coûts de travail supérieurs à leurs concurrents étrangers. Elles sont alors tentées de considérer les salaires uniquement comme un coût, et non plus comme la condition des débouchés de leur production.
La protection sociale est, elle aussi, victime du même préjugé qui la présume, à tort, attentatoire à la compétitivité, sans envisager un seul instant qu’elle puisse être une richesse nationale.
Face à la vivacité de la concurrence des pays émergents, et en particulier face à celle de la Chine qui affiche des coûts du travail très faibles, n’admet aucun mécanisme de protection sociale fut-il sommaire et pratique le dumping social, nos industries des secteurs du textile et de l’équipement ménager ont toutes fermé. D’autres, se sont délocalisées, provoquant la désindustrialisation de certaines régions où la disparition des filières industrielles a considérablement aggravé le chômage et le déficit du commerce extérieur.
Le coût du travail serait, à lui seul, responsable du déclin industriel et de la hausse du chômage.
Cette idée reçue conduit notre économie en quête de compétitivité prix dans une spirale conflictuelle qui oppose les producteurs et les salariés. La modération salariale pourrait alors devenir l’alternative au chômage comme s’y étaient résignés en période de croissance, ces salariés allemands que certains économistes ne cessent de donner en exemple.
Faudrait-il alors accepter, au nom de la compétitivité, une modération des salaires ou une flexibilité sociale pour relancer la croissance et maintenir l’emploi sur le territoire ?
Cette recherche accrue de la compétitivité- prix par les entreprises à travers la dévalorisation du travail, tend à opposer les intérêts de ceux qui achètent aux intérêts de ceux qui produisent, oubliant au passage que ceux qui produisent et qui achètent sont les mêmes agents économiques dénommés autrement.
Il s’agit là d’une stratégie économique selon laquelle la réduction des droits sociaux serait le levier de la compétitivité favorisant l’activité économique. Cette stratégie qui suppose un délitement de la cohésion sociale fait naître un modèle de croissance dans lequel la précarité serait une source de compétitivité prix qui serait quant à elle source de prospérité, vers lequel s’orientent de plus en plus de pays européens au risque d’aggraver les inégalités.
Les entreprises appartenant à des grandes enseignes qui veulent maintenir leur marge et satisfaire des clients dont les revenus sont comprimés en raison de la course à la compétitivité, achètent des produits étrangers pour ensuite les distribuer sur le marché intérieur si bien que le « Made in China » se substitue progressivement au « Made in France ».
Les consommateurs n’auraient d’autre choix, pour maintenir leur pouvoir d’achat, que de préférer des produits importés aux produits fabriqués en France, certes de meilleure qualité, mais plus chers.
Cette substitution est désormais devenue une évidence dans un contexte où la production domestique a soit disparu, soit été fortement réduite. Les consommateurs sont contraints d’acheter des produits délocalisés au détriment de l’emploi en France.
Cette course effrénée à la compétitivité prix précarise le travail, incite les ménages à consommer moins cher, obligeant ainsi les entreprises à leur tour, à produire encore moins cher en comprimant davantage leurs coûts salariaux pour maintenir leur marge et pour satisfaire les besoins des ménages.
Elle constitue un cercle vicieux qui dresse les salariés contre les consommateurs ou autrement dit, les salariés contre eux-mêmes.
En omettant qu’au niveau macroéconomique les salariés sont aussi des consommateurs, ce cercle vicieux dans lequel des prix peu élevés conduisent à des salaires peu élevés qui entraînent à leur tour une consommation timide et qui débouchent sur des prix encore plus bas faute d’un niveau de demande suffisant, est à l’œuvre .
Il enclenche cet engrenage paradoxal où plus de compétitivité prix entraîne moins de débouchés pour les entreprises résidentes sur le territoire. Il appauvrit ainsi à la fois l’entreprise et les ménages. Quel paradoxe !
A cause de ses effets contradictoires, cette course à la compétitivité prix n’est plus adaptée à la situation économique actuelle. Car, sans harmonisation sociale et fiscale européenne, vouloir l’instaurer à l’ensemble des secteurs de l’économie ne fait qu’aggraver ce rouage conflictuel.
Or, pour faire face à la concurrence des pays émergents, les entreprises avec l’aide des pouvoirs publics doivent développer davantage la compétitivité hors prix fondée sur la qualité. Le rétablissement et le renforcement de cette compétitivité passe non seulement par un investissement accru dans la recherche et développement mais aussi par une montée en gamme de tout notre appareil productif en suivant l’exemple de l’industrie du luxe et de l’industrie de défense.
Au-delà du luxe et de l’industrie de défense, la démarche fondée sur la qualité doit être présente sur toute la chaîne de valeur de notre système productif et être transversale à toute activité industrielle ou de service. Pour amplifier cette montée en gamme, il est nécessaire de valoriser les ressources humaines et d’améliorer la qualification des salariés les moins qualifiés grâce à la formation, car il ne peut y avoir de qualité sans qualification. Cette recherche de la compétitivité par la qualité permettrait aux entreprises d’échapper à la concurrence par les prix et d’impliquer pleinement les salariés dans la création de la valeur ajoutée.
Elles seraient ainsi incitées à se concurrencer en améliorant la situation des salariés plutôt que de la précariser. Il s’agit là, d’une stratégie selon laquelle le capital humain deviendrait le tremplin de la compétitivité. Cette stratégie aiderait notre économie à sortir de l’engrenage paradoxal de la compétitivité prix en faisant naître un nouveau modèle de croissance préservant à la fois notre protection sociale, les revenus, l’emploi et l’environnement.