La chronique Éco de G. Fonouni | Concurrence ou coopération : un dilemme pour notre économie !

La chronique Éco de G. Fonouni | Concurrence ou coopération : un dilemme pour notre économie !

Au cœur de l’analyse économique se trouve désormais le concept de l’efficacité servant de fondement à toutes les politiques économiques. De simple moyen, il est devenu aujourd’hui, une fin. L’efficacité mesurée par l’adéquation des moyens aux objectifs, est aussi recherchée par toutes les entreprises produisant dans un environnement concurrentiel. Dans cet environnement, les firmes parvenant à optimiser leurs ressources c'est-à-dire à maximiser leurs profits sous contrainte de coûts tout en recherchant à satisfaire les besoins de leurs clients, peuvent se développer, conquérir de nouveaux marchés ou encore se différencier des concurrents et donc créer des emplois. Alors que celles qui n’y parviennent pas, sont éliminées par la concurrence à défaut d’efficacité. Telle est la loi du marché, celle du plus fort, à partir de laquelle se sont tissées les relations économiques entre les acteurs économiques et entre les pays. La libre concurrence entre les entreprises privées, permet en théorie de concilier les intérêts divergents des producteurs et des consommateurs grâce aux prix fixés librement en fonction de la loi de l’offre et de la demande. Elle garantit, ce que les économistes appellent « l’allocation optimale des ressources ». En effet, la concurrence contribue  à stimuler l’esprit d’entreprise, contribue aussi à encourager l’innovation et à inciter les entreprises à améliorer leur compétitivité prix ou hors prix. De plus, elle garantit la diversité des produits en offrant toujours plus de choix aux consommateurs. Cette compétition entre les entreprises favorise la baisse des prix et améliore la qualité des produits. Elle profite ainsi, à la fois aux entreprises les plus compétitives et aux consommateurs dont les besoins sont satisfaits soit par les prix, ou soit par la qualité. Grâce à elle, le bien-être de chacun permet le bien-être de tous. L’idée que la concurrence est un gage d’efficacité est au cœur de notre système économique. Elle demeure si puissante dans les discours publics, qu’elle s’introduit désormais progressivement dans la gestion des services publics pour justifier la réduction des dépenses publiques afin d’optimiser les ressources fiscales. Elle s’introduit aussi dans la gestion des entreprises publiques pour les contraindre à s’ouvrir sur la concurrence afin d’améliorer leur rentabilité, comme le préconise par exemple la réforme de la SNCF pour 2019. Cependant à côté de ses vertus incontestables, la concurrence en institutionnalisant le « chacun pour soi », ne conduit pas toujours à une harmonie optimale comme l’a si bien démontré l’économiste John Nash en 1951 à travers la théorie des jeux illustrée par le dilemme du prisonnier et selon laquelle la coopération se révèlerait plus efficace que la concurrence. Le dilemme du prisonnier[1] met en scène deux prisonniers soupçonnés de meurtre. Le juge les interrogeant séparément leur propose plusieurs solutions : « si l’un des deux dénonce l’autre, il est remis en liberté alors que le second qui se tait est condamné à 10 ans. Si les deux se taisent, la peine ne sera que de six mois. Et si les deux se dénoncent, ils seront condamnés chacun à 5 ans ». Leur intérêt mutuel serait donc de se taire tous les deux. Mais comme ils sont en concurrence et donc animés par la recherche de leur propre intérêt, ils font le calcul suivant : « si je le dénonce, je serai libre et au pire je ferai 5 ans. Si je me tais et que l’autre me dénonce je serai condamné à 10 ans ». Or, ne pouvant pas savoir ce que va faire l’autre, ils vont dès lors faire le calcul rationnel en évaluant leur intérêt suivant ce que l’autre pourrait faire. Cherchant leur propre intérêt, les deux faisant le même raisonnement, se dénonceront et seront condamnés à 5 ans chacun alors que s’ils avaient coopéré, ils auraient pris six mois. L’harmonie ne vient pas de l’égoïsme de chacun mais au contraire de la bienveillance de chacun. Coopérer s’avère plus efficace que le chacun pour soi. Si chacun anticipe que les autres vont être égoïstes, et si les autres pensent de même, alors nous serons tous perdants. C’est l’exemple parmi tant d’autres, de la surpêche ou de la surproduction agricole en 2016 provoquant une baisse des cours consécutivement à la levée des quotas.

La maximisation du bien-être individuel permise par cette suppression a conduit à l’appauvrissement de tous. Cette situation de manque de confiance ou de non coopération est le résultat d’un individualisme qui s’est forgé dans notre économie par la compétition. Celle-ci recherchée par les entreprises qui se livrent une concurrence, les oblige à réduire leurs coûts et plus particulièrement celui du travail, pour être compétitives. Cette recherche accrue de la compétitivité- prix à travers la réduction du coût du travail, tend à opposer les intérêts de ceux qui achètent aux intérêts de ceux qui produisent, oubliant au passage que ceux qui produisent et qui achètent sont les mêmes agents économiques dénommés autrement. Cette course effrénée à la compétitivité prix  précarisant le travail, contraint les ménages à consommer moins cher,  obligeant ainsi les entreprises à leur tour, à produire encore moins cher en comprimant davantage leurs coûts salariaux pour maintenir leur marge et trouver des débouchés. Elle enclenche ce cercle vicieux où plus de compétitivité prix entraîne moins de débouchés pour les entreprises résidentes sur le territoire faute de salaire suffisant.  Elle appauvrit ainsi  à la fois les entreprises et les ménages. C’est le dilemme du prisonnier de la compétitivité. Alors, qu’avec une hausse coordonnée des salaires, décidée par l’ensemble des entreprises et des États de la zone euro, toutes les parties prenantes de l’activité économique seraient gagnantes en évitant le nivellement par le bas. La coopération serait donc beaucoup plus efficace que la compétition. Il en est de même pour le dérèglement climatique. Face à la menace qui se précise davantage et aux signes qui se multiplient, nous avons tous collectivement intérêt à endiguer le dérèglement en cours. Mais nous avons tous également, intérêt en vue de maximiser notre bien-être individuel à court terme, à poursuivre nos habitudes de consommation et nos modes de production. C’est ainsi que chacun : États, entreprises et particuliers, retarde les mesures préventives et compromet l’avenir de la génération future par son individualisme. Il en est aussi de même pour la gestion des services publics. Nous avons tous collectivement intérêt à développer nos hôpitaux, nos écoles, nos armées et notre recherche, pour être bien soignés, bien éduqués et bien protégés. Et en même temps, nous voulons tous payer moins d’impôts en vue de maximiser notre bien-être individuel. C’est pourquoi l’État gestionnaire s’est substitué progressivement à l’État Providence fonctionnant selon les règles de la concurrence. Or, cette substitution limite son effet redistributif et amoindrit son efficacité pour réduire les inégalités.

Le dilemme du prisonnier nous montre qu’il est bien dans des cas, essentiel de coopérer pour maximiser le bien-être de tous plutôt que de rechercher la maximisation du bien-être individuel. La coopération permet une allocation optimale des ressources profitant à tous. Telle est la loi de l’entraide, l’autre loi du plus fort. Loi, à partir de laquelle pourrait se tisser de nouvelles relations économiques entre les États et entre les agents économiques pour relever les défis économiques de demain !

 


[1] Bernard MARIS expliqué à ceux qui ne comprennent rien à l’économie de Gilles Raveaud, Ed. Les Echappés 2017