La chronique Éco de G. Fonouni | Augmenter les salaires pour plus de pouvoir d’achat, c’est possible !

La chronique Éco de G. Fonouni | Augmenter les salaires pour plus de pouvoir d’achat, c’est possible !

Aujourd’hui, avec la même quantité de monnaie, les ménages ont le sentiment bien réel de ne plus pouvoir acheter la même quantité de biens et services, en raison de la hausse des prix de certains produits alimentaires, du prix du pétrole renchéri par les taxes sur le carburant, du prix du gaz, des loyers et de la hausse de la CSG en 2018. Cette sensation de vie chère s’est amplifiée dans un contexte où de nouveaux modes de consommation couplés à des besoins toujours plus nombreux, font face à des salaires qui ne progressent que très faiblement ou stagnent le plus souvent. Le salaire mensuel de base a progressé de 1,5% tandis que les prix ont grimpé de 1,7% au deuxième trimestre 2018. Si l’inflation ne baisse pas et si les salaires n’augmentent pas, les fins de mois pourraient être de plus en plus difficiles pour les ménages aux revenus moyens.

Ce sentiment pourrait se poursuivre en 2019 à cause de la faible revalorisation des pensions de retraites, des prestations familiales et des allocations logement. La modération salariale des salariés du secteur privé imposée par la compétitivité et celle du secteur public justifiée par la réduction des dépenses publiques, pourraient renforcer ce sentiment.

Quant aux grands patrons ayant vu leur salaire augmenter de 14% en 2018 pourraient voir leurs salaires poursuivre leur progression.

Et les 1% les plus riches, verront leurs revenus grimper de 6% grâce à la réforme de l’impôt sur la fortune et du prélèvement forfaitaire unique sur les revenus du capital. A ce sentiment de vie chère s’ajoute  ainsi celui d’une injustice. Rien d’étonnant, dans ces conditions que les ménages s’inquiètent pour leur pouvoir d’achat.

Le pouvoir d’achat dépend de deux variables : du prix et du revenu. Dès lors, pour distribuer davantage du pouvoir d’achat deux types de mesures sont possibles. Le premier type consiste à réduire les salaires considérés comme un coût par les économistes orthodoxes afin de favoriser la compétitivité des entreprises et d’en faire bénéficier les consommateurs grâce à la baisse des prix qui en résulte.

Cette recherche accrue de la baisse des prix à travers la réduction du coût du travail, tend à opposer les intérêts de ceux qui achètent aux intérêts de ceux qui produisent, oubliant au passage que ceux qui produisent et qui achètent sont les mêmes agents économiques dénommés autrement. Cette course effrénée à la baisse des  prix  précarise le travail et encourage la concurrence par les salaires. Elle contraint les ménages à consommer moins cher,  obligeant ainsi les entreprises à leur tour, à produire encore moins cher en comprimant davantage leurs coûts salariaux pour maintenir leur marge et trouver des débouchés. Elle enclenche ce cercle vicieux et paradoxal où la baisse des prix entraîne moins de débouchés pour les entreprises résidentes sur le territoire faute de salaire suffisant.  Elle appauvrit ainsi  à la fois les entreprises et les ménages.

Le second type de mesure consiste en l’augmentation des salaires dans toutes les branches professionnelles. Celle-ci peut s’effectuer de deux manières. La première, choisie par le gouvernement, consiste à accroître le revenu disponible en baissant les cotisations salariales et la taxe d’habitation pour certains ménages. Or, bien que soutenant le pouvoir d’achat, ces mesures fiscales auront du mal à étendre la hausse à l’ensemble des ménages puisqu’elles ne s’appliquent qu’à certains d’entre eux. Elles auront donc des difficultés à soutenir la demande globale. De plus, elles réduisent les ressources de notre système de redistribution  et creusent les déficits sociaux. 

Ce qui contraint l’État à diminuer les dépenses publiques pour 2019 au risque d’aggraver les inégalités et d’amoindrir le  gain de pouvoir d’achat amorcé au dernier trimestre de 2018. C’est pourquoi, il serait préférable d’augmenter la part des salaires dans le partage de la valeur ajoutée afin d’accroître durablement le pouvoir d’achat. L’État pourrait parfaitement, à travers cette mesure, influencer la distribution des salaires à partir de la production.

La valeur ajoutée : richesse créée par l’entreprise, se répartit en deux grandes parts. Une part revenant au travail qui est versée par l’entreprise sous forme de salaires et de cotisations sociales. Une autre part, lui revenant sous forme de profits, qu’elle utilise pour payer ses impôts, investir ou verser des dividendes. Depuis la fin des années 80, la part du travail diminue au profit du capital ce qui ralentit la progression du pouvoir d’achat. Dès lors, l’État pourrait conditionner les allègements des cotisations sociales patronales voire leur suppression, à l’augmentation du niveau des salaires afin d’inciter les entreprises à modifier le partage de la valeur ajoutée en faveur des salariés. Il pourrait ainsi réduire les charges sociales proportionnellement aux augmentations des salaires accordées par les entreprises. Et même, il pourrait aller plus loin structurellement, en imposant juridiquement aux entreprises l’obligation de négocier annuellement avec les parties prenantes internes  la hausse des salaires en fonction de celle  du résultat net. Ce qui permettrait d’inciter les entreprises à accroître les salaires sans amoindrir leur compétitivité. Ces dernières pourraient ainsi augmenter les salaires sans en supporter entièrement le coût total. Le niveau de vie des salariés s’améliorerait très nettement. Ils seraient plus motivés, plus productifs et en feraient profiter l’entreprise. Celle-ci serait doublement gagnante. Gagnante, grâce à des salariés plus performants et gagnante grâce à des carnets de commandes remplis. Cette hausse généralisée des salaires relancerait ainsi l’activité économique et l’emploi par son effet multiplicateur sur la demande, encourageant ainsi les entreprises à investir sans s’engager dans une concurrence par les salaires.

Malgré la baisse de ses prélèvements, l’État maintiendrait quant à lui, ses recettes fiscales grâce au dynamisme économique, lui évitant ainsi de creuser les déficits et de programmer une baisse des dépenses publiques. Augmenter les salaires pour soutenir davantage le pouvoir d’achat deviendrait alors possible.

Cette politique de soutien du pouvoir d’achat pourrait être encore beaucoup plus efficace à condition qu’elle soit relayée  à l’échelle européenne par la commission européenne. En effet, une hausse généralisée des salaires  serait une des  meilleures choses qui pourrait arriver à l’Europe, sur le plan économique comme politique, en cette période.