La chronique Éco de G. Fonouni | Les inégalités : le défi de notre système de redistribution !
Les inégalités économiques continuent de se creuser en France et dans les pays développés. Depuis une dizaine d’années dans notre pays, elles sont devenues plus fortes que pour les générations précédentes malgré une baisse ponctuelle du rapport entre le niveau de vie moyen des 10% les plus riches et les 10% les plus pauvres entre 2012 et 2013. Notre système de redistribution tel qu’il est organisé aujourd’hui en France, consiste à prélever grâce aux impôts et aux cotisations sociales chaque année près de la moitié de la richesse nationale créée c'est-à-dire sur l’ensemble des revenus primaires versés en contrepartie de la production, pour ensuite la redistribuer sous forme de prestations monétaires et de services publics (école, santé, sécurité…).
Par ce mécanisme, pourra-t-il relever le défi d’une réduction significative des inégalités sociales ?
Les chiffres parlent d’eux-mêmes, la moitié du patrimoine (capital immobilier et capital financier) est détenu par les 10% les plus aisés, les 90% restants se partage l’autre moitié. Autrement dit il y a une reproduction intergénérationnelle des inégalités économiques. Le rapport interdécile c'est-à-dire le rapport entre les 10% les plus aisés et les 10% les plus modestes est passé de 6,4 en 2003 à 6,7 en 2016. Les ménages les plus pauvres se sont donc davantage appauvris et les plus riches se sont davantage enrichis. L’indice de Gini, indicateur compris entre 0 et 1, mesurant les inégalités de revenus, confirme cette tendance. Plus il est proche de 0, plus on s’approche d’une égalité des revenus et au contraire, plus il est proche de 1, plus les revenus sont inégaux. Pour notre économie, il est passé de 0,27 en 1990 à 0,288 en 2016. Il est ainsi en légère hausse, signe que les inégalités de revenus stagnent depuis une vingtaine d’années alors qu’elles avaient tendance à se résorber depuis les années 1970.
Plusieurs raisons peuvent expliquer ces inégalités de revenus. La première est liée à la mondialisation de l’économie gouvernée par le libre échange. En effet, face à des économies devenues de plus en plus ouvertes et en compétition les unes contre les autres, les entreprises recherchent à réaliser des gains de productivité soit en comprimant leurs coûts salariaux, soit en flexibilisant davantage le travail. Or cette course effrénée à la recherche de la compétitivité prix, a précarisé une grande partie des emplois et avec elle, celle des salaires. Ces emplois précaires, de mauvaise qualité, peu rémunérateurs placent fréquemment les travailleurs dans une situation de pauvreté et aggravent ainsi les disparités sociales. De plus, l’exigence de toujours plus de compétitivité, a incité les États à réduire leur niveau de fiscalité afin d’attirer des investisseurs et d’éviter une fuite des capitaux, ce qui s’est traduit par un accroissement des très hauts revenus.
Quant à la seconde raison, elle trouve son origine dans la faiblesse des taux de croissance et dans le choix de la combinaison des facteurs de production (travail et capital) des entrepreneurs.
Contraints par les progrès technologiques et numériques, les chefs d’entreprises donnent l’avantage au capital par rapport au travail dans leurs choix de production, ce qui réduit la contribution du travail à la croissance et donc du revenu versé en contrepartie. La part du revenu du capital a tendance à augmenter du fait de sa plus forte contribution à la production contrairement à celle du travail. Or comme l’a si bien démontré Thomas Piketty dans le capital au XXI siècle, lorsque le rendement du capital devient supérieur au taux de croissance, la rente se substitue progressivement au rendement car le placement devient plus profitable que l’investissement. L’entrepreneur se transforme ainsi en rentier. Il s’enrichit davantage sans une véritable hausse de la production en contrepartie, creusant ainsi les inégalités entre le revenu du travail et le revenu du capital. Dans ces conditions, plus la fortune des très hauts revenus s’accroît moins la croissance devient forte. Et moins la croissance devient forte, plus le chômage augmente et plus celui-ci augmente, plus les inégalités s’aggravent.
Notre système de redistribution fondé sur la solidarité sociale, peut-il mettre fin à cette spirale inégalitaire dans un contexte de faible croissance ?
S’il parvient à ralentir cette spirale grâce aux effets redistributifs des allocations et des services publics sur le revenu final des ménages comme le confirme l’indice de Gini qui est passé en 2014 de 0,497 avant redistribution, à 0,292 après redistribution, ce n’est pas pour autant que les inégalités se réduisent réellement. Dans une conjoncture morose, son dispositif serait devenu trop coûteux en prélèvements et trop généreux en aides sociales enfermant trop souvent leurs bénéficiaires dans l’assistanat et aurait donc atteint ses limites. C’est pourquoi il devient nécessaire de renforcer la redistribution verticale grâce à une taxation accrue des revenus du capital financier afin que le rentier redevienne entrepreneur. Cela relancerait la croissance et l’emploi et permettrait d’augmenter le niveau de vie des classes moyennes et populaires qui tirent la croissance économique. Mais pour que la taxation de la rente soit effective, il faut harmoniser nos systèmes fiscaux au niveau européen pour éviter l’évasion fiscale et combattre les paradis fiscaux. De plus il faut réduire en priorité les inégalités des revenus primaires (le coefficient avant redistribution est de 0,50, c’est un des plus élevés de la zone euro) en mettant en œuvre une régulation sociale dans la formation de ces revenus, en augmentant les impôts progressifs et en baissant les non progressifs afin de rendre la redistribution moins coûteuse et plus efficace. C’est à ces conditions que la justice sociale et l’efficacité économique devenant ainsi complémentaires, redonneront à la solidarité la légitimité qu’elle est en train de perdre sous la poussée populiste !