Partage d'expérience : le carnet de travail en arts plastiques. Une expérience au Lycée Jean MONNET, Montpellier, par Mme Arzalier.

En terminale, le carnet de travail doit être présenté au jury lors de l'oral de spécialité arts plastiques pour le baccalauréat, c'est dire son importance. Bien qu'il ne soit pas évalué en tant que tel, il est un outil indispensable pour les évaluateurs mais il l'est aussi et avant tout pour l'élève ; ses utilisations sont multiples et nous tâcherons d'en aborder certaines ici en nous appuyant sur des exemples concrets observés en classes de 1ère et de terminale.

Si le "Carnet de travail" a des spécificités qui lui sont propres, il faut savoir qu'elles ne sont pas vraiment connues des jeunes qui arrivent en seconde avec des expériences variées du support de l'écrit prenant spontanément des formes très scolaires. L'usage dominant est souvent très formaté, hérité des cours théoriques du collège, voire du primaire. Les habitudes et les codes, bien ancrés après des années d'application rigoureuse, doivent d'abord être déconstruits pour laisser place à la liberté et à la spontanéité que le carnet de travail peut offrir.

Son emploi s'accompagne, se découvre, se construit et se précise au fil des années. Cela peut prendre du temps mais les méthodes de travail acquises de ces usages sont d'une grande richesse. Elles préparent également très bien les élèves qui se destinent à des orientations artistiques : Ecoles supérieures d'art et de design, DNMade, écoles d'architecture, etc. où ce type d'outil occupe une place de choix au sein de la pratique artistique.

Dans les textes officiels, il n'est pas fait usage des termes "cahier", "cahier de cours" ou "carnet de croquis" et sans doute conviendra-t-il dans un premier temps de revenir sur les différences de ces termes, aussi variés que précis.

Cahier, carnet de croquis ou carnet de travail ?

Si cela se met en place petit à petit tout au long de la scolarité au lycée, en classe de terminale, carnet de croquis, carnet de travail et cahier de cours sont des outils bien distincts.

Le dernier est assez classique par rapport à l'idée qu'on peut se faire de l'objet et il recueille les cours de culture, les documents distribués en classe (fiches de mémorisation, cadrage des épreuves, reproductions d'œuvres ...) mais aussi divers exercices de type bac et autres conseils méthodologiques pour l'examen. Ce cahier est l'outil du cours de culture : c'est souvent une pochette, un classeur ou un cahier standard à pages quadrillées et il prépare à l'épreuve écrite. Le lycéen le gère comme il le souhaite avec des habitudes déjà bien installées : couleur de l'outil, surlignage, grosseur des titres, croquis des œuvres, etc. L'objectif premier est de conserver une trace pour mémoriser un écrit qui se veut collectif car commun à l'ensemble d'un groupe ou sous-groupe dans le cas d'un travail en îlots.

De son côté, le carnet de travail est l'outil de la pratique plastique et artistique, il est aussi un support lors de l'épreuve orale. S'il fait la part belle au graphisme, au dessin, à la couleur et aux formes, il est plus riche qu'un simple carnet de croquis dans lequel on ne trouverait que des ébauches ou des dessins de nature et de qualité variées. Dans le carnet de travail, l'écrit et l'image se côtoient et se mêlent, sans forcément respecter de codes, si ce n'est ceux choisis ou inventés par l'auteur. Le carnet de travail est un outil personnel et nous détaillerons un peu plus bas certains de ses usages.

"Ce carnet de travail est un objet personnel mobilisant, selon la sensibilité et les intentions de l’élève, les potentialités des langages des arts plastiques et de l’image, articulant volontiers le visuel et l’écrit." (Programme d’enseignement de spécialité d’arts des classes de première et terminale de la voie générale, arrêté du 19 juillet 2019, BOEN spécial n° 8 du 25 juillet 2019)

"Le carnet de travail est obligatoirement apporté par le candidat le jour de l'épreuve. C'est un objet personnel qui témoigne de la diversité des projets et démarches, des réalisations abouties, inachevées ou en cours, des expériences, des rencontres et des références ayant pu jalonner l'ensemble de l'année de terminale et que l'élève a décidé de retenir ou de valoriser. La forme et les données matérielles du carnet de travail sont libres." (Épreuve terminale de l'enseignement de spécialité arts à compter de la session 2022, Note de service du 15-7-2021)

La nature du support

Dès la seconde, il est demandé un carnet de travail aux élèves du lycée Jean Monnet. Celui-ci peut prendre la forme de leur choix : A5, A4, relié ou à spirale, bricolé à la main ou acheté dans le commerce, il peut également prendre une forme numérique, peu importe. Ce qui compte c'est qu'il soit composé de pages blanches en nombre suffisant pour tenir l'année (ou au moins une bonne partie), qu'il soit confortable et pratique pour dessiner. D'une année sur l'autre, l'usage précise les choix : certains élèves optent pour un format plus grand ou pour une version reliée moins fragile là où d'autres préfèreront une reliure avec une spirale. Chaque usage est personnel et je trouve intéressant que les élèves fassent leurs propres choix en expérimentant eux-mêmes plusieurs supports lors de leur cursus au lycée. Parfois, certains élèves gardent le même support sur l'ensemble du cycle terminal.

Le choix d'un carnet de travail exclusivement numérique est plutôt rare mais nombreux sont les élèves à opter pour des solutions hybrides : conserver un carnet papier pour les croquis, les collages et autres expérimentations plastiques tout en utilisant le BYOD* pour son côté pratique et spontané est très fréquent. Ce peut être pour prendre des photographies lors d'une exposition et se souvenir d'un cartel, utiliser une application de prise de notes, photographier le tableau ou le mur suite à un accrochage des travaux réalisés en classe sont des pratiques aujourd'hui communes intégrées comme méthodes de travail à part entière et qui contribuent à l'ancrage des connaissances.

Le carnet de travail, un support pour l'écrit ?

La trace écrite a toute sa place dans le carnet de travail. Pour mémoriser, annoter, légender, mais aussi écrire des textes libres, des textes à considérer comme des graphismes par le travail de la calligraphie ou de la couleur et de la forme. Ici, son usage n'est pas normé. L'écriture n'a pas besoin d'être en bleue, soulignée de rouge, parfaite et sans rature. Elle n'a pas non plus toujours besoin d'être complète ou parfaitement construite. L'écrit, la prise de notes, même succincte, permet de rendre pérenne une pensée fugace. On peut alors la relire, s'en souvenir voire la partager. On peut la faire aller un peu plus loin, l'approfondir et surtout, ne pas l'oublier, au risque de repartir en arrière et de se retrouver indéfiniment au point de départ. Aussi, l'écriture dans ce carnet offre la liberté d'y revenir, de modifier, de reprendre ou de raturer. Le respect de la chronologie n'est plus une règle absolue.

Parfois, le dessin se substitue aux mots, comme une sorte d'instantané entre l'image mentale et sa matérialisation sur le papier. Par le dessin, le lien entre la pensée et la main est direct, sans passer par les filtres du langage. Un croquis, un schéma, légendé ou non, vaut souvent mieux qu'un long discours. Le dessin présente aussi l'intérêt de tenter une approche de la situation de l'objet dans l'espace en choisissant ses points de vue (élévation, plan, vue en perspective, vues multiples ...) comme une projection complexe de l'image mentale immatérielle considérant déjà toutes les dimensions de l'objet avant même sa réalisation.

Pour quels usages ?

Elaborer un projet plastique : le l'idée à sa matérialisation

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Dans le cadre de la pratique plastique, le carnet de travail permet de matérialiser sa pensée, de lui donner corps tout en lui laissant de temps et l'opportunité de se transformer, au gré des recherches et de l'évolution des idées. C'est une étape essentielle du processus créatif durant laquelle les choix plastiques et les intentions se mettent en place. Il permet de réfléchir en faisant, d'essayer sans craindre de rater. D'ailleurs ici, l'erreur a toute sa place puisqu'elle permet d'anticiper une impossibilité technique, une incohérence, une mauvaise retranscription ou tout autre dysfonctionnement avant même d'avoir commencé la réalisation plastique en tant que telle. Une idée peut émerger par le biais de mots clés, de phrases ou de courts paragraphes mais c'est aussi (et c'est là la spécificité de notre discipline sans doute) par l'image qu'elle est rendue visible aux autres. Dessiner l'idée qu'on a en tête, donner corps à l'image mentale, permet à l'élève de mieux comprendre les choix qu'il est amené à faire. Les premières ébauches peuvent avoir un aspect imparfait, fragmenté, qui laisse place à l'erreur, au changement, à la modification. C'est un usage fluctuant, mouvant, vivant, dans lequel le projet naît petit à petit, s'élabore et se transforme jusqu'au moment de la réalisation.

Tout le monde a en mémoire les Codex de Léonard de Vinci, remplis de fragments, d'éléments hétéroclites : d'une liste de courses à un dessin anatomique en passant par les inventions les plus variées. Le carnet de l'élève garde cet esprit spontané, il n'a pas à être une œuvre en tant que telle même si parfois les lycéens sont tentés d'en faire "un bel objet". En dessinant, en annotant, on comprend le monde, on comprend aussi ce qu'on a parfois du mal à expliquer avec des mots. Poser ses choix par le biais de dessins ou de textes fragmentés est un moyen d'accéder petit à petit à ces compétences : comprendre ce qu'on fait et savoir en parler. C'est aussi pour cette raison que le carnet de travail, au-delà d'être une aide à l'élaboration du projet plastique est un réel support pour l'oral. L'élève candidat peut alors se saisir des pages qu'il aura sélectionnées pour expliquer comment l'idée est venue, comment elle a évolué et comment elle a fini par exister en tant qu'œuvre autonome perceptible par un public.

projet

Toutefois, toutes les réalisations plastiques ne suivent pas forcément le même schéma. Le centre de la pratique peut aussi être l'expérimentation plus que le concept. Dans ce cas, une fois l'idée succinctement décrite, le carnet de travail peut être utilisé pour garder la trace des essais, récolter les échantillons, permettre les comparaisons et les rapprochements pour ensuite faire des choix en vue d'une production aboutie. C'est aussi le lieu privilégié de la référence choisie par l'élève et le support du bilan : que se passe-t-il après l'exposition ? Quelles conclusions tirer de ce travail ? etc. 

Mémoriser : dessiner, colorer pour retenir

Un bilan de fin de séance, de fin de travail

Le carnet de travail est aussi le lieu du retour réflexif sur sa propre pratique ou sur un moment de verbalisation collective. Faire une production, la rendre visible par le biais de l'accrochage ou de l'exposition puis en parler sont des étapes essentielles de la métacognition. Il se pose ensuite la question de la mémorisation. Juste écouter c'est aussi rapidement oublier. Bien que la pyramide de l'apprentissage soit désormais considérée comme un neuromythe, il reste qu'en arts plastiques, on apprend en faisant plus qu'en écoutant. Expérimenter, profiter de l'expérience des autres par la mutualisation puis restituer sur le papier les informations nouvelles permettent aussi de les comprendre, de les retenir et d'y revenir ultérieurement si le besoin s'en fait ressentir.

Mutualisation1

Ci-dessus et ci-dessous, deux exemples différents issus d'un dispositif qui sera détaillé dans un article à venir (Mutualiser pour apprendre)

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Donner une place de choix à la référence

Quoi de pire qu'une recherche sur l'art avec un texte monolithique sans image ? Dessiner, coller, intégrer des reproductions d'œuvres ou des expérimentations permet de comprendre et de mémoriser. C'est également bien plus agréable à relire et à partager. Dans les exemples ci-dessous, les élèves étaient invités à faire une recherche sur l'expressionnisme abstrait et sur le vocabulaire spécifique qui lui est propre tout en privilégiant l'image ou les expérimentations.

recherche

Un compte rendu d'exposition

Lors de chaque rencontre avec les œuvres d'art, les élèves doivent en garder la trace dans leur carnet de travail. Il n'y a pas vraiment de règle formelle, ce qui compte c'est de trouver un moyen personnel pour se souvenir de ce qui a attiré leur regard. Faire un compte rendu d'une exposition peut passer par le collage : du flyer, de la plaquette, d'informations complémentaires trouvées sur Internet etc., mais elle passe aussi par le dessin. Nombreux sont les élèves qui prennent un plaisir certain à travailler sur les croquis faits sur place et parfois retravaillés à la maison à partir des photographies prises avec leur téléphone. Le texte y est plus ou moins présent mais n'est jamais une obligation.

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Le regard de l'évaluateur

Nous l'avons dit, le carnet de travail est un objet personnel. Toutefois, les élèves savent dès le départ qu'il sera montré au jury lors de l'oral de spécialité du baccalauréat et ils doivent s'y préparer. Il n'est donc pas aussi personnel que peut l'être un journal intime. Le carnet est régulièrement consulté et j'invite les élèves à expliquer leurs idées en s'appuyant sur leurs pages de projet. D'une façon plus scolaire, ces carnets sont évalués au moins deux fois par an et une note en découle. En y portant moi-même l'attention qu'ils méritent, leur élaboration se fait ensuite avec plus d'investissement et de sérieux. Ce travail, souvent conséquent, ne doit pas être transparent si on veut le voir durer dans le temps et gagner en complexité.

Et le plaisir dans tout ça ?

Avoir un "beau carnet de travail" peut être un leurre. J'ai pour exemple quelques élèves qui s'appliquent beaucoup dans la mise en forme d'un objet qu'ils veulent parfait. Ils retouchent, refont, réécrivent, arrachent des pages, pour que la forme corresponde à l'image qu'ils se font du carnet de travail idéal. Evidemment, dans ce cas de figure, on perd toute la spontanéité et le naturel que cet outil pourrait offrir mais il fait aussi gagner l'envie de bien faire et de se faire plaisir. Cela donne aussi l'envie de passer parfois un peu plus de temps sur les croquis. Cette extrême rigueur fréquente en début de première reste passagère et laisse place ensuite à des carnets plus spontanés et plastiquement intéressants. La plupart de ces élèves finissent par accepter une page ou un croquis imparfaits.

Si les débuts de l'utilisation du carnet de travail sont parfois un peu artificiels, le chemin qui se construit petit à petit au fil des mois et des années finit par donner des carnets d'une grande richesse. Valorisés dans le cadre du cours lors d'exercices ponctuels ou de verbalisation, ils le sont également lors de moments plus "officiels" comme peut l'être la Journée Portes Ouvertes où depuis quelques années, les carnets des élèves volontaires sont offerts à la vue du public. Une table est alors consacrée à leur exposition et elle a toujours beaucoup de succès ! Les élèves aiment montrer leur travail mais aussi découvrir celui des autres. La curiosité est notre amie ! Voir qu'il y a d'autres façons de procéder enrichit alors les pratiques. Il faut bien l'avouer, si être joli n'est pas une fin en soi, découvrir des carnets investis par leur auteur est un vrai plaisir, en posséder un également.

L'exposition, au-delà d'être en elle-même une valorisation, est aussi un moyen de donner envie de faire plus, de faire autrement, ou juste de faire un peu mieux.

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Mme Arzalier, Professeur d'arts plastiques, Lycée J.MONNET, Montpellier

   

RESSOURCES / pour aller plus loin

- Apprendre des carnets aujourd'hui, Centre d'Enseignement Multimédia Universitaire (C.E.M.U.) Université de Caen Normandie, Conférences, 2013. Accéder aux vidéos.
- Fiche EDUSCOL : Enseigner le projet en arts plastiques au lycée. Accéder à la fiche.
- Quelques références bibliographiques, articles et ouvrages. Accéder à la liste.
- Des carnets de patrimoine, Accéder à l'article.
Le portfolio numérique, BA GAILLOT, 2005/2014, Accéder à l'article