Mutualiser pour apprendre / Partie 1 : L'accrochage

Partage d'expérience : mutualiser pour apprendre en arts plastiques. Une expérience au Lycée Jean MONNET, Montpellier, par Mme Arzalier.

Il y a cinq ans, en passant du collège au lycée, les apports théoriques se sont faits plus denses et je me suis rapidement retrouvée confrontée à la problématique du cours magistral : des heures passées à faire des diaporamas toujours trop longs, une capacité de concentration assez courte des élèves à la diffusion de ce type de support et ce, malgré l'utilisation de vidéos, une attitude passive de leur part, des notes plus qu'approximatives dans les cahiers de cours, une mémorisation très décevante ... Autant de points négatifs qui m'ont très rapidement poussée à revoir ma façon de faire cours pour leur faire acquérir des savoirs théoriques. L'objectif a rapidement été de mettre l'élève au centre de la recherche du savoir.

Certes, l'idée n'est pas neuve et tous les enseignants d'arts plastiques connaissent les vertus de l'accrochage et de la verbalisation ! Cependant, on a beau connaître la théorie, réussir à mettre en place des dispositifs et des situations d'enseignement qui fonctionnent demande de la créativité mais aussi de la patience. Cela prend beaucoup de temps, à la fois dans la conception mais aussi dans le déroulement en classe, d'où la nécessité de réfléchir vraiment au rythme des activités et à leur durée. Il est aussi nécessaire d'ajuster ses dispositifs au fil des ans pour en améliorer l'efficacité. Il n'y a sans doute rien d'original dans ce qui va suivre mais l'objectif de ce texte est avant tout de partager ce qui fonctionne plutôt bien et peut-être, de donner des idées aux enseignants qui entrent dans le métier et à terme, de multiplier les échanges de ce type entre enseignants de l'académie.

L'accrochage

Un exemple de pratique : la profondeur

Afin d'amorcer une réflexion sur la représentation de la profondeur et notamment la perspective, j'ai demandé à des élèves de 1ère de produire pour la séance suivante une à deux façons différentes de donner de la profondeur à une simple feuille de papier. Les élèves, habitués à ce type d'activité-partage, savent qu'il s'agit ici d'un exercice et non d'une réalisation plastique aboutie. Ainsi, la proposition n'avait pas à être ambitieuse mais devait être visible par l'ensemble du groupe avec 2 ou 3 mètres de recul. Cet exercice peut être réalisé en 15/20mn.

Séance 1 : 2h

Etape 1 / Ajuster et se replonger dans le sujet - En faisant rapidement un tour de table, je me suis rendue compte que peu d'entre eux avaient deux exemples et que leurs propositions étaient majoritairement orientées vers la perspective centrale ou cavalière. Pour avoir déjà fait cet exercice par le passé, je sais évidemment qu'ils peuvent trouver des réponses bien plus riches. Je leur ai alors donné 15mn pour faire une proposition de plus, radicalement différente de la première.

Etape 2 / Accrocher et organiser - Une fois le temps écoulé, la consigne pour l'accrochage a été donnée : les premiers élèves espacent leurs productions mais les suivants doivent regarder le mur pour essayer de regrouper leur essai autour de propositions similaires. En général, cette phase peut prendre un peu de temps, elle est assez brouillonne et manque de cohérence. Laissons faire. Ensuite, je reprends avec eux : y a-t-il une logique dans cet accrochage ? Certaines choses devraient-elles être déplacées ? et les volontaires déplacent ce qui leur semble manquer de cohérence avec le reste. Je finis les détails, souvent en recréant de l'espace entre des propositions et en mettant vers la fin du mur des réponses cumulant plusieurs solutions.

Etape 3 / La verbalisation - C'est le moment de mettre des mots sur ce qui vient de se produire pour tirer du sens et apporter les connaissances attendues. Evidemment, la tentation est grande pour l'enseignant d'intervenir pour faire le bilan mais on comprendra aisément qu'il y a bien plus de bénéfices pour les élèves s'ils le font eux-mêmes. C'est aussi le moment pour l'enseignant de vérifier l'état des connaissances sur un sujet précis. Le constat est très souvent le même : les élèves connaissent un certain nombre de choses, ils ont beaucoup d'intuition mais ils ont du mal à classer et à mettre des mots sur ce qu'ils ont devant les yeux. Les premières fois, il faut beaucoup les solliciter, surtout lorsqu'ils ne se connaissent pas encore bien et qu'ils n'osent pas prendre la parole devant l'ensemble du groupe. Plus la verbalisation intervient souvent (quelque soient ses formes) plus l'exercice devient fluide. La première proposition qui leur est faite est d'essayer de nommer chaque regroupement, le définir et d'essayer d'expliquer le procédé et ses conséquences sur la perception du spectateur.

Etape 4 / Nommer - La première fois, j'ai écrit les textes en direct au feutre avec les élèves, sur des feuilles A4 et les années suivantes, je suis venue avec les titres déjà inscrits sur les feuilles histoire de gagner un peu de temps. Je pense les optimiser encore l'an prochain en en faisant une version dactylographiée en couleur pour bien identifier les différentes solutions.

Accrochage

"les propositions sont-elles toutes de même nature" amène tout de suite à parler du réel, du volume, du relief, des trous faits dans la feuille ... On en profite pour revoir les termes bidimensionnel / tridimensionnel et on qualifie le tableau relief. On évacue ensuite la question du réel en remarquant que toutes les autres réponses sont des représentations, des illusions.

En général les élèves poursuivent avec "la perspective avec point de fuite". C'est alors le moment d'apporter les connaissances théoriques : d'abord définir la perspective puis viennent quelques explications sur la perspective conique ou linéaire, quelques mots sont expliqués tout en sachant que nous y reviendrons plus tard : ligne d'horizon, point de fuite, fuyantes. La différence entre la perspective centrale avec un seul point de fuite, et celle qui en a deux, voire trois. On découvre le point de distance avec certains exemples.

Le groupe en vient rapidement à identifier un nouveau type : la perspective cavalière est un nom familier de certains élèves. On la range dans la catégorie des perspectives métriques et on se rend compte qu'il y en a deux autres : l'isométrique et l'axonométrique. Ces termes sont nouveaux et je ne m'attends pas à ce que les élèves retiennent tout du premier coup. Quoi qu'il arrive, nous aurons l'occasion de revenir sur tout ça.

En regardant les croquis au tableau, on relève que les dessins figurant des volumes géométriques sont faits avec ces deux types de perspective mais que pour les paysages, ça fonctionne autrement. Les plans sont connus des élèves. On parle alors de rapport d'échelle et rapidement on évoque les couleurs, les nuances et les valeurs, ce qui me permet de glisser sur la perspective atmosphérique puis sur le rôle du clair-obscur. On explique alors le rôle des ombres et de la lumière qui permettent de créer du relief et on termine avec les "inclassables" : les superpositions et ceux qui cumulent plusieurs solutions décrites ci-dessus.

A ce stade de la verbalisation, il ne reste plus que 10 à 15mn. Tout le cours a été fait par les élèves, classé au tableau, nommé et expliqué. Pour retenir, il faut désormais noter et conserver. Ils ne retiendront sans doute pas tout mais cette séance permet de clarifier et d'organiser beaucoup de choses sur lesquelles ils avaient déjà des connaissances partielles. Certains commencent à prendre des notes, d'autres font des photos du tableau qui seront partagées sur le groupe des élèves.

Le travail à faire pour la séance 2 est donné : rédiger un bilan de la séance sur son carnet de travail. 

Séance 2 :

Je vérifie la prise de notes dans les carnets, corrige notamment les éventuelles erreurs, il y en a toujours, puis on passe à un travail individuel sur la perspective.

Evidemment ce cours ne suffira pas à assurer une totale maîtrise de ce qui aura été vu. Il faudra réinvestir souvent le vocabulaire spécifique découvert lors de cette séance : en parlant des œuvres ou des productions faites en classe et en sollicitant les élèves à chaque fois qu'une description évasive peut être remplacée par un mot qu'ils connaissent.

La solution n'est pas magique mais je peux constater de gros progrès chez mes élèves. Dans la mise en activité, l'élève ne peut pas être complètement passif et le fait de réfléchir, créer son visuel, le classer, le nommer, comprendre son sens et/ou son origine par des explications, faire l'effort de rédiger un bilan, en intégrant des mots et des croquis, tout cela permet à l'élève de mieux mémoriser et de mieux fixer les connaissances nouvellement acquises. En cas d'oubli, le carnet de travail, les autres élèves ou l'enseignant peuvent également apporter leur aide. Cette année, j'avais laissé l'accrochage en place pour le cours d'après et entre temps, j'ai eu un cours avec les terminales. En début de séance, plusieurs d'entre eux se sont approchés du mur et se sont remémorés cet exercice fait l'an passé. Finalement, cette redécouverte imprévue a permis à d'autres élèves de réactiver des connaissances abordées l'année précédente.

Pour améliorer ce dispositif, il me reste à concevoir une fiche bilan à distribuer après la trace écrite/dessinée des élèves. Cela peut permettre d'apporter de la clarté à ce qui est encore un peu confus et d'avoir un écrit plus complet que celui des élèves.

carnets

 

J'ai expérimenté ce dispositif avec différentes propositions :
- "Représenter le temps"
Afin d'évacuer la question des représentations stéréotypées avant d'aborder la notion de temps comme matériau en 1ère.
- Restituer les expérimentations d'une dictée plastique pour introduire mon cours sur les notions.
- "Faire une production abstraite" pour découvrir la variété de l'abstraction et ses grandes catégories.

Mme Arzalier, Professeur d'arts plastiques, Lycée J.MONNET, Montpellier