La chronique Éco de G. Fonouni | La feuille d’impôt n’est pas l’ennemi numéro un du pouvoir d’achat.

La chronique Éco de G. Fonouni|La feuille d’impôt n’est pas l’ennemi numéro un du pouvoir d’achat.

Le pouvoir d’achat est devenu depuis le mouvement des « gilets jaunes » la priorité des français devant l’emploi et devant l’insécurité. Les revendications réclamant son augmentation ont été plutôt fiscales que salariales. Le pouvoir d’achat serait devenu désormais l’affaire de l’État et non plus l’affaire des chefs d’entreprise. Ce déplacement de cible écartant les syndicats faute de revendication salariale, a   fait de l’impôt le principal déterminant du pouvoir d’achat, alors que celui-ci dépend d’abord du niveau du salaire et du niveau des prix. Cette vision partisane et individualiste, a fini finalement par imposer, lors du grand débat national, l’idée que la feuille d’impôt est l’ennemi numéro un du pouvoir d’achat. En effet, de peur que les revendications salariales mettent à mal les petites et moyennes entreprises  et qu’elles mettent à mal l’emploi, celles-ci se sont orientées sur le terrain fiscal, qui quant à lui, est beaucoup moins risqué économiquement. Ce détournement renforce ainsi  les thèses économiques classiques dîtes « libérales » selon lesquelles le salaire, et plus particulièrement le salaire minimum, seraient nocifs pour l’emploi, et selon lesquelles l’impôt découragerait l’esprit d’entreprendre, réduisant ainsi la croissance.

Solidarité ou individualisme…

C’est pourquoi la feuille d’impôt, s’est progressivement substituée à la feuille de paie  pour justifier davantage de pouvoir d’achat. Dans ces conditions, seule une baisse d’impôt peut redonner du pouvoir d’achat à l’ensemble des ménages. Aujourd’hui, la question du pouvoir d’achat est donc devenue un choix économique entre salaire et impôt et aussi, un choix de société entre solidarité et individualisme. Or, choisir la baisse de la feuille d’impôt plutôt que la hausse de la feuille de paie pour redonner du pouvoir d’achat aux ménages, est un choix très risqué économiquement et socialement. En effet, faute de ressources fiscales suffisantes, l’État se voit contraint de diminuer les dépenses publiques afin d’éviter d’aggraver son déficit budgétaire et d’alourdir la dette publique.

L’impôt sert à financer les dépenses publiques, elles-mêmes très utiles à la croissance économique et au bien être de tous.

Or, moins d’impôts, c’est moins de services publics, donc moins de policiers, moins de professeurs, moins d’infirmières, moins de médecins hospitaliers, moins de chercheurs, c’est moins de main d’œuvre qualifiée, moins de connaissances,  c’est moins d’innovation et de progrès technique, moins de compétitivité et donc moins de croissance, selon les théoriciens de la croissance endogène. Sa réduction provoquant celle des dépenses publiques, ralentit à la fois le niveau de la demande et celui de l’offre, pénalisant ainsi la croissance et l’emploi.

…Réduction des revenus sociaux

Cette baisse est également risquée, puisqu’elle contraint l’État Providence à réduire le niveau des revenus sociaux versés aux ménages les plus modestes et creuse davantage les inégalités de revenus entre les 20% les plus pauvres et les 20% les plus riches. Ce qui fragilise la cohésion sociale et la solidarité nationale.

Malgré ses risques, l’idée de payer moins d’impôt nous réconforte toujours autant. Pourtant, le taux de prélèvements obligatoires (impôts+cotisations sociales) est l’un des meilleurs indices du degré de solidarité nationale et permet à tous de bénéficier  d’une protection sociale et d’accéder à l’éducation et à la santé gratuitement grâce aux cotisations sociales. Cette diminution est révélatrice d’un choix de société. Elle répond davantage à des motifs politiques qu’économiques. Elle cimente ainsi petit à petit l’idée fausse, que notre système de redistribution est devenu aujourd’hui inefficace.

Elle réduit l’intervention de l’État, de telle sorte que même ceux qui en ont le plus besoin, acceptent implicitement son désengagement progressif, faisant naître chez les ménages le sentiment de payer toujours trop pour une redistribution en contrepartie peu significative. En légitimant l’individualisme, cette revendication fiscale impose la baisse de l’impôt au détriment de la hausse des salaires, pour donner davantage de pouvoir d’achat aux ménages. Préférant ainsi, amoindrir le bien être collectif pour enrichir le bien être individuel !