Conférences 2010 pour l'actualisation des connaissances des enseignants de SVT

Conférences et Tables rondes 2010.

 
Fonder une éthique sur la morale.

Axel Kahn, généticien, président de l’université Paris Descartes - Paris V

Le champ de l’éthique est l’ensemble des réflexions sur ce qu’est l’action « bonne » associée aux valeurs qui la fondent. Une action « bonne » correspond à ce qu’on considère comme droit, correct de faire. On a ajoute aussi au nom de quelles valeurs ont fait cela. J’en appelle à quels choix ? Le champ de l’éthique et le champ des dilemmes. « Tuer son voisin » est hors du champ de l’éthique et de toute façon c’est hors du droit. En revanche, « Peut-on donner la mort à quelqu’un qui la donne ? », « peut-on donner la vie à un enfant selon des critères particuliers ? » sont des questions éthiques car je peux développer des arguments pour l’une ou l’autre des hypothèses. Prenons l’exemple d’un embryon, merveille de la vie humaine qu’il ne faut pas banaliser et dont le processus de développement est admirable… D’un autre côté, dans la vie réelle, deux fois sur trois les embryons conçus naturellement ne donnent jamais un bébé… Donc, dans le cas d’une FIV, dont les embryons surnuméraires sont congelés et sans projet parental… L’éthique propose des solutions en explicitant au nom de quoi elle propose ces solutions.

La question venant tout naturellement après cet exercice de définition du champ d’action est : est-il illusoire de penser fonder une décision sur des valeurs partagées ? On parle de « morale » qui s’impose à chacun, avec des notions d’autonomie, d’évolution des us et coutumes, des mœurs, etc. L’éthique est-elle illusoire car il n’y aurait pas de valeurs partagées et donc pas de notions d’éthiques et de juridique éthique ? Non, il existe un fondement partagé à la référence morale qui peut fonder cette éthique morale la relativité de la référence morale (au sens du bien et du mal) qui peut fonder cette éthique. La relativité de la référence morale est superficielle. En effet, si j’accepte qu’il n’existe pas de base à la réflexion morale alors un récit à connotation morale issue d’une civilisation lointaine de la mienne devrait m’incompréhensible. L’exemple l’Épopée de Gilgamesh, récit légendaire de l’ancienne Mésopotamie fait partie des œuvres littéraires les plus anciennes de 2500 à 2700 av J.-C. (et probablement bien plus car une longue tradition orale la précède). Gilgamesh, cinquième roi de la première dynastie d’Uruk, est très puissant, il utilise le droit de cuissage mais il est fidèle en amitié. Ce récit pose le « bien » et le « mal » : la solidarité, la fidélité en amitié c’est bien ; le droit de cuissage c’est mal. Autant de valeurs morales invariables. La référence c’est la valeur de l’autre et son respect. La reconnaissance de la valeur de l’autre est la valeur morale.

Quelle est la cause de cette valeur : le partage du génome humain mais aussi l’appartenance à l’humanité laquelle ne peut se construire qu’au pluriel. L’humanité ne peut se faire au singulier : de l’homme émerge de l’homme au sein d’une société humaine. La condition des capacités cognitives d’Homo sapiens est le contexte social. On ne peut prendre conscience de soi à travers le miroir déformant du regard de l’autre. Cette notion est autant fondamentale que celle du partage du génome humain. Mais l’inhumain existe aussi à travers la violence, le mépris… La référence à la valeur de l’autre est une base solide à l’éthique, cela ne conduit pas à des réponses toutes faites mais cela permet des discours différents pouvant être construit en utilisant ce respect. Le débat devient possible, on peut fonder un début d’éthique.

La réciprocité humaine : si j’ai l’impression d’être autonome, je ne peux refuser à l’autre d’avoir la même illusion que moi donc je ne peux pas lui refuser cette autonomie d’où le principe fondateur de la bioéthique.

Le principe de bienfaisance, de solidarité est le second de ces principes et plus aisé à illustrer. Par exemple, Si je me promène dans la baie du Mont Saint Michel et que je voie quelqu’un pris dans les sables mouvants, je ne vais pas le laisser avec son autonomie, je l’aide !

Ce sont les neurosciences qui posent les plus gros problèmes d’éthique : les psychotropes, les stimulations électriques alternatives, le recours à la micro neurochirurgie comportementale sont des techniques qui libèrent des personnes de troubles du comportement mais ces techniques peuvent aussi complètement perturber la personnalité. Alors quelles limites ? Si l’utilisation de ces méthodes permet d’augmenter l’autonomie, de la protéger au maximum, ces conduites sont légitimes alors que si elles conduisent à un assujettissement de l’autre cela devient inadmissible. Voilà comment trancher.

Prise de notes : Caroline LAPLACE-JOURDAIN & Patrice FABRE

 

Droit, bioéthique et enjeux de civilisation

Catherine LABRUSSE-RIOU, Juriste, Professeur émérite à l’université de Paris I Panthéon Sorbonne, Centre de recherche en droit des sciences et des techniques (CRDST)

L’entrée des biotechnologies dans le droit, domaine dont elles étaient absentes, amène le droit à s’interroger sur ses pratiques. Le droit, c’est instituer et borner des pouvoirs ; pour un État démocratique, il ouvre aux citoyens des moyens d’accès par les actions en justice ; le droit se doit d’être très impartial, représenté par le juge et c’est dans la jurisprudence autant que dans la loi que se met en place le caractère opérationnel du droit.

Bioéthique est quant à lui un mot ambigu, dont la justification vient de son usage sans sens juridique. En France, le Comité National d’Etudes pour les Sciences de la Vie et de la Santé n’emploi pas le mot « bioéthique ». Le concept de bioéthique semble réduit aux domaines de la génétique et de la procréation or les neurosciences et l’environnement sont pleinement concernées par la bioéthique.

Le droit fait appel à la notion de démocratie, cette notion est multiforme.

La démocratie substantielle : le droit ordonne, donne forme et légitimité aux actions humaines en établissant, par exemple, des liens. Il faut combiner des actions et pratiques divergentes autour de techniques du vivant.

La démocratie procédurale : l’organisation de la démocratie passe par la mise en œuvre de procédures. Le juriste n’est pas impliqué dans les pratiques, il regarde celle-ci de l’extérieur sans être partie prenante et il confronte ces pratiques à ce que disent les lois.

La démocratie participative : influence de la société civile sur la formation du droit ou des contrôles de son application. La bioéthique fait partie de ce cas de société. Les personnes dites de la société civile vont créer du droit. Si nous sommes assujettis au droit, le droit vient aussi de la société. On notera toutefois que la démocratie participative n’en est qu’à ses balbutiements et que « société civile » nul ne peut définir ce que c’est, on peut y lire un va-et-vient entre spécialistes et les personnes...

Le droit est par ailleurs, scindé en domaines différents, exemple : les défenses d’éléphants. La défense de l’éléphant entre dans le droit des animaux : une défense, dans ce cadre-là, doit être détruite, c’est interdit. Mais selon son âge, elle entre aussi dans le domaine du droit de la propriété privée. Enfin, si elle est sculptée, elle fait partie du droit des œuvres d’art. La même matière physico-chimique peut faire référence à plusieurs domaines du droit.

Souvent, en parlant de bioéthique, on parle de « hors commerce », voici une notion encore bien complexe : ce statut est une notion romaine, liée au sacré. Elle se perd et réapparaît à la Révolution pour biens nationaux de l’État, tombe plus ou moins désuétude et revient actuellement pour la personne humaine. Lee droit d’exception concerne les cas où on peut légalement ne pas appliquer le droit. Le consentement de la personne face à des pratiques est obligatoire « tant que c’est possible », sauf « si on ne peut faire autrement », « si cela amène un progrès technique majeur ». Dès que les situations deviennent complexes, apparaissent alors des notions de restriction du droit. Comment établir cela par un juge ? Impossible de se prononcer et de juger. La loi ne peut se contenter de faire appel à une légitimité de surface. Un exemple est accessible par le don d’organe qui doit se faire dans « l’anonymat du donneur ». Or, le cas de don du vivant, le don se fait avec appariement familial : aucun anonymat. Ce don est aussi « gratuit » certes pour le donneur, mais toute la suite de la chaîne, relève de notions marchandes.

L’innovation scientifique place les juristes face à des situations hors des domaines prévus par le droit.

Prise de notes : Caroline LAPLACE-JOURDAIN & Patrice FABRE

 
L'établissement d'une filiation des enfants nés d'une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur.

Valérie DEPADT-SEBAG, Juriste, Maître de conférences habilitée, Université Paris XIII - Nord

Si la femme peut assurer la gestation, le couple est autorisé à avoir recours aux technique de procréation médicale assistée avec donneur. Au cours des débats précédant la loi de 1994, deux options sont proposées : soit assimiler la naissance à une adoption soit à une filiation normale. C’est ce second choix qui a été adoptés avec comme corollaires les principes de confidentialité (secret du mode de conception) et anonymat du donneur. Ces deux notions sont différentes. Le choix de cacher a été fait (confidentialité) et cela interpelle le juriste : le lien de filiation permet la connaissance de soit pour chaque personne, son identification personnelle.

Le lien avec l’état civil : toute modification de cet état civil est lié à la loi (cela passe par un juge). L’adoption nécessite un jugement pour modifier l’état civil de l’enfant ; or, avec le don, on constate que la filiation « charnelle » ne donne pas le lien biologique. Dans le cas de don, un simple consentement du donneur et du receveur est transformé par l’état civil en lien charnel, c’est un faux ! Dans le cas de la reconnaissance par le père, c’est encore plus fort, le père est « obligé » de reconnaître l’enfant qui n’est pas le sien. Cet ensemble interdit tout recours ultérieur sur la filiation. Le secret et l’anonymat dépossèdent le juge de toute information postérieure dans le cas de recours, que ce soient de la part des parents ou de l’enfant.

En fait, l’intervention du donneur est un état intermédiaire entre le lien charnel et l’acceptation volontaire de type adoption. La volonté seule ne suffit pas pour créer un lien de filiation charnelle. En 2005, lors de la révision de la loi, pas de changement. C’est un système très particulier, celui d’un système organisé de « dissimulation » des faits alors que la volonté était de ne pas singulariser des enfants par la mise en place de cet ensemble anonymat et confidentialité.

Une autre possibilité aurait été que ce soit le juge qui autorise le recours au don sans bien sûr de choix entre le donneur et le receveur. Aucun changement pour le don (anonymat et gratuité) sans être non plus une adoption d’un gamète ou d’un embryon. Il suffirait de judiciariser l’histoire prénatale afin que cette histoire soit accessible à l’enfant. Une adoption consiste à apporter une filiation à un enfant qu’il n’a pas – ou plus – de parents ; l’aide médicalisée à la procréation c’est apporter un enfant à une famille qui ne peut pas en avoir. Ce ne serait pas la même procédure judiciaire, mais un simple enregistrement de cette histoire.

Les professionnels demandent la reconnaissance de l’histoire de l’enfant et son accès ultérieur possible : ainsi l’usage de ces techniques n’aurait pas à être indiqué sur l’extrait de naissance mais pourrait figurer dans la copie intégrale de l’acte de naissance. Ce cas de figure ne présenterait pas de confidentialité pour les tiers. Il faut trouver un système qui donne l’information à l’enfant mais pas aux tiers, on pourrait imaginer, à l’image de ce qui se fait ailleurs en Europe, un fichier national auquel lequel seule la personne qui le désirerait pourrait demander si son nom figure sur la liste.

Prise de notes : Caroline LAPLACE-JOURDAIN & Patrice FABRE

 
Les procréations médicalement assistées sont-elles sans limites éthiques ?

René FRYDMAN, Professeur, Chef du service de gynécologie-obstétrique et de médecine de la reproduction à l’hôpital Antoine Béclère de Clamart

Historique rapide de la FIV : première naissance en 1961, chez le lapin (C. Thibault) ; 1966 FIV chez l’homme (Robert Edwards) ; (25 juillet) 1978, 1ère naissance (Louise Brown) ; 1983, naissance après don d’ovocyte. En 1992 a eu lieu la première naissance et par ICSI (un spermatozoïde +un ovule), une première naissance après DPI (diagnostic préimplantatoire) avait déjà eu lieu précédemment après prélèvement d’une cellule. La première détermination du sexe avait été faite 1990. Avec ces techniques, des questions de sélection et de choix des embryons se posent donc (eugénisme ?).

1986, naissance après congélation d’ovocyte congelé par congélation lente. 1999, naissance à partir d’ovocytes vitrifiés. La congélation d’ovocytes est intéressante notamment pour les femmes atteintes d’un cancer ainsi que pour des dons d’ovocyte. Préserver la fertilité lors de traitements de cancers : congeler des ovocytes, des embryons ou des tissus ovariens.

En 2007, 122 056 tentatives et 20 657 naissances après assistance médicalisée à la procréation sur 817 911 au total.

Des questions de société sont soulevées par ces techniques :

La transparence des résultats : actuellement il y a un manque de transparence dans les résultats obtenus. La transparence obligerait à se poser des questions d’efficacité des techniques, et, pour y répondre demanderait d’ouvrir des recherches, c’est-à-dire autoriser – tout en encadrant – les travaux de recherche sur les embryons. En activités de recherche, il n’y a pas d’enfants au bout alors que dans la mise en place des pratiques de techniques issues de la recherche expérimentale, cela donne des enfants, l’intérêt que ce soit au point est donc crucial. Il faudrait donc aussi définir un périmètre pour l’innovation des pratiques.

Femme seule, couple homosexuel, fécondation post-mortem.

Autoconservation.

Anonymat : actuellement aucun recours pour permettre la levée de l’anonymat.

Gratuité du don.

Mère porteuse : une porte ouverte à une utilisation comme esclave du corps de l’autre, même si les cas sont douloureux et que des formes d’esclavagisme ont toujours existé.

Les questions scientifiques portent sur le choix des gamètes, de l’embryon, le clonage scientifique et reproductif, la formation de gamètes artificiels voire d’utérus artificiel.

Prise de notes : Caroline LAPLACE-JOURDAIN & Patrice FABRE

 
Désir d'enfant et maladies génétiques

Mme Marie GAILLE, Philosophe, chargée de recherche au CNRS, CERSES, université René Descartes, Paris V.

La notion du désir d’enfant ne concerne qu’une très petite fraction de la population mondiale car cela suppose l’accès à la contraception et à l’assistance à la procréation. L’enfant devient un choix, l’absence d’enfant, peut donc aussi l’être. Ce discours sur le désir d’enfant a donc émergé dans les années 70 avec les techniques de contraception et elle est devenue une revendication. Le désir d’enfant s’inscrit dans le temps, succédant à un temps où il était inévitable d’avoir un enfant : il était naturel pour la femme de se réaliser dans la procréation, naturel pour le couple de procréer, naturel pour l‘espèce de se perpétuer. C’est une conception très naturaliste. Aujourd’hui le désir est mis au devant de la scène car ces notions de naturel ont partiellement vécu à travers la technique. On a la tendance aux désirs, recevables ou non.

Les objets du désir d’enfant sont multiples : une femme peut avoir le désir de l’expérience de la grossesse, de l’enfantement, d’avoir un enfant sans ces étapes (problématique des mères porteuses, voire de l’utérus artificiel si c’était possible) ; femme ou homme peuvent vouloir fonder une famille avec des variations très importantes dans la conception de ce qu’est la famille (seul, en couple homo ou hétérosexuel, avec un ou plusieurs enfants), que la famille soit le fruit de mes gènes et donc refuser l’adoption ou les donneurs génétiques ou encore peu importent les gènes et avoir recours à un donneur mais au moins un des deux du couple restant géniteur ou encore à travers l’adoption afin de garder une « transmission culturelle ». Bref tous les cas sont imaginables, cette énumération montre l‘extrême diversité des objets possibles du désir d’enfant. Quelques niveaux sont toutefois importants : la continuité génétique et l’appartenance sociale et psychique (situation de l‘individu dans le groupe d’appartenance).

Les fluctuations du désir d’enfant : si l’enfant est l’expression du narcissisme, comme le suggère Freud, le bébé peut se trouver dans un rapport de soi à soi et donc avoir la possibilité de décevoir les attentes narcissique du parent. Le désir peut donc varier selon le diagnostic établi pendant la grossesse. Sur des diagnostics prénataux spécifiques (liés à recherche de pathologie à cause d’histoires familiales) : l’annonce d’un diagnostic de problème génétique peut susciter un désinvestissement maternel et briser le rêve de maternité, cet état est réversible. Il y a ambivalence, un enfant oui… mais anormal… Blessure narcissique difficilement surmontable, incapacité à faire aussi bien que ce que sa propre mère a fait… miroir brisé. Divers cas possibles : le maintien du désir d’enfant aussi fort ; désir plus instable voire qui disparaît.

Prise de notes : Caroline LAPLACE-JOURDAIN & Patrice FABRE

 
Ethique, enhancement et anthopotechnie

Jérôme GOFFETTE, maître de conférence en philosophie des sciences, Université Claude Bernard, Lyon I.

« Enhancement » : terme anglais signifiant augmentation, accroissement, amélioration ;
« Human enhancement » : champ d’activité de l’augmentation ou de l’amélioration des capacités et performances humaines.
« Anthropotechnie » : art ou technique de transformation extra médicale de l’être humain par intervention sur son corps.

Quelques exemples : dopage sportif, de non sportif (psychostimulants), transformations esthétiques non réparatrices, procréation assistée (hors pathologie, avec stimulants….), modulation de l’humeur existentielles (psychotropes…). Soit un certain nombre de pratiques atypiques, hors du champ médical dont la fonction est de lutter contre la pathologie.

Des interrogations sont donc émergentes sur la place de ces pratiques dans la médecine, sur la conception de l’humanité, sur des pratiques non anodines (risque non nul ou rapport bénéfice risque). Etat des réflexions : depuis une dizaine d’année, des rapports américains et européens font état de remarques concernant ces pratiques de santé parfaite, d’amélioration de l’humain de post-humain... en rapport avec la bioéthique.

Le premier animal domestique c’est l’homme lui-même ! Quelle amélioration, domestication, humanisation de cet animal domestique ? (SLOTERDIJK P., L’être domestique, 2000). En France, des recommandations préconisent la création d’une veille des techniques d’amélioration proposées par l’anthropotechnie. Depuis 2010, on trouve des congrès d’industriels sur ces techniques, comme un grand marché de plusieurs centaines de millions de dollars.

Il convient donc de distinguer anthropotechnie et médecine : le concept d’enhancement est flou, le concept de médecine doit quant à lui être précisément défini : « état de complet bien être physique mental et social » (selon l’OMS). Est-ce un état d’euphorie ? Ou « art ou science ayant pour but de lutter contre les maladies ». On se trouve confronté à un paradoxe entre finalité du bonheur contre finalité de santé. C’est un vrai problème de déontologie. Entre ces deux versions comment se place l’obligation de prise en charge ?

Le néologisme « d’anthropotechnie », défini comme l’art ou la technique de transformation extra médicale de l’être humaine par intervention sur son corps, permet de distinguer la médecine des pratiques qui n’en sont pas. Il distingue la médecine qui s’occupe de normal et de pathologique (avec des patients, un diagnostic, un traitement et un pronostic) et l’anthropotechnie qui concerne l’ordinaire et le modifié (avec un client, des propositions, un choix du client, des délais de réflexion de rétractation et une réalisation). Il ya d’un côté, une relation d’obligation d’assistance et un consentement éclaire et de l‘autre, une relation de prestation de service et une décision éclairée.

Propositions éthiques pour l’anthropotechnie : expliquer la démarcation avec les situations de pratiques médicales ; utiliser le principe de bienfaisance orienté vers l’épanouissement humain et le souci de l’autonomie de la personne avec la volonté augmenter l’autonomie. L’autonomie n’est ici pas menacée (comme parfois dans les cas pathologique), cette autonomie doit donc être particulièrement l’objet d’attention en anthropotechnie.

Quelques questions posées par ces pratiques. Une question sur les rythmes d’usage des pratiques d’anthropotechnie : si on se modifie tout le temps, quelle autonomie dans l’identification ? Peut-on intégrer trop de modifications de soi ? Modularité humaine et acquisition de corps propres ; usages aliénants et dépendance à l’égard d’infrastructure de maintenance ; quels choix d’humanité ?

Prise de notes : Caroline LAPLACE-JOURDAIN & Patrice FABRE

 
La génétique, entre mythes et réalités, les problèmes éthiques de la prédiction à la prévention

M. Jean-Claude AMEISEN, Professeur d’Immunologie, Université Paris VII-CHU Bichat, AP-HP, Président du Comité d’éthique de l’INSERM.

Les déterminants de la construction d’un individu, sont des questions qui se sont posées avant les débuts de la génétique. Cela concerne l’hérédité : l’influence des parents, des grands-parents, ce qu’ils transmettent. Ces notions ont servi à justifier l’aristocratie, l’esclavage, les races…. Le déterminisme génétique est depuis longtemps l’objet de questionnements. Dans quels cadres interprétatifs lit-on les données génétiques ? Parfois des résultats très nouveaux sont interprétés dans des cadres très anciens : soit on considère que tout est déjà inscrit soit on pense que tous les organismes peuvent se former sans lien (génération spontanée) ; soit tout bouge soit tout est déjà écrit quelque part. On peut trouver cela dans le domaine religieux : libre arbitre ou déterminisme. Quant au déterminisme génétique, il a 2 bases. La première est idéologique : l’avenir est écrit et la découverte des maladies génétiques transmissibles par la présence d’allèles mutés du gène induites avec une probabilité quasi absolue en est la marque. On connait une centaine de ces maladies qui touchent quelques personnes chacune mais le seul fait d’avoir ces exemple a donné l’idée que, connaître les autres milliers de gènes permettrait de connaitre tout sur cette personne – en supposant que la présence de facteurs internes contraint de façon excessive le devenir de l‘individu. C’est une vision très réductrice mais c’est une vieille tentation. Tout comme on a pu penser autrefois que toute capacité cognitive ou nerveuse serait liée à un emplacement dans le cerveau… Le tout, alors, n’étant que la somme des composantes. La tentation de réduire la personne aux composantes qu’on a réussi à découvrir est grande.

A connaissance égale de la génétique, on a deux visions apparues dans les années 70 :

  • Les gènes sont à l’intérieur d’un « robot » à partir duquel ils manipulent le monde, leur transmission est leur seule raison d’être.
  • L’intérieur et l’extérieur s’interpénètrent et l‘individu est l’interface de ces deux contraires.

C’est à partir de ces éléments-là que le « tout génétique » commence à vaciller et que l’épigénétique viendra se surimposer à cette idée. Le séquençage du génome du chimpanzé a montré une identité avec l’homme à plus de 98% et l’idée que seuls ces 2% de différences expliqueraient toute les différences entre l’homme et le chimpanzé a permis de conforter les idées émergentes que ce ne sont pas seulement les gènes qui sont importants mais leurs utilisation, leur placement (ex. la disposition des gènes homéotiques sur les chromosomes explique leur intervention sur le développement de l’axe antéropostérieur.) La différenciation des gènes est aussi un élément de variation car la différenciation est le fait de l’utilisation ou de la répression de certaines combinaisons de gènes. Si on change l’environnement des gènes – par exemple – de la peau en les plaçant dans le corps cellulaire d’un ovocyte on pourra fabriquer un individu, c’est la technique du clonage. Récemment, on a montré que seuls 4 gène ont la propriété de dédifférencier une cellule de peau et la rendre à nouveau totipotente. Une cellule de peau, n’est pas vieille, c’est son environnement, ses gènes inutilisés qui l’ont spécialisée et on découvre que c’est réversible.

Quelques exemples en dehors de l’hérédité cellulaire pour passer au niveau individuel. Chez les crocodiliens et les tortues : la température extérieure détermine le sexe ; chez les insectes sociaux, selon l’environnement (ou l’alimentation) on différencie des individus ouvrière ou soldats ou mâles… Les gènes ne sont donc pas les seuls intervenants, l’environnement est aussi fondamental. Dans les phénomènes d’hérédité – ce qui dans le descendant rappelle l’ancêtre et le parent – les gènes sont un des éléments de cette hérédité : les parents peuvent transmettre, dans les régions non-codantes de l’ADN, la capacité de fabriquer des ARN qui ne donneront pas de protéines mais qui changeront l’expression d’autres gènes ou aideront à leur utilisation. Par ailleurs, des mécanismes d’amplification existent dans les cellules, ils se retrouvent dans le cytoplasme et peuvent continuer à être fabriqués. C’est de l’hérédité non génétique.

Une autre forme d’hérédité qui n’est pas dans la transmission génétique, ce sont les caractéristiques qui influencent systématiquement de la même façon l’expression des gènes : alimentation… Exemple, chez les souris le comportement maternel, à travers la relation mère / nouveau né est reproductible et donc la possibilité pour certaines cellules du cerveau de se différencier en utilisant ou non certains gènes ; c’est une empreinte importante qui a été découverte et qui soulève des nouvelles problématiques concernant les mères porteuses… La mère dans laquelle se développe l’embryon a un impact sur le développement de cet embryon. L’environnement crée des interactions entre éléments à la fois causants et causés (Pascal) : A cause B qui cause C qui rétroagit sur A… Les causalités sont rarement linéaires. Les boucles de rétroaction peuvent bloquer ou imposer des voies et ne sont pas réversibles.

Prédiction et prévention : la notion de prédiction concerne l’avenir. Aucun scientifique n’a jamais prétendu pouvoir lire l’avenir. Quand on prédit, c’est qu’on extrapole à partir d’une expérience du passé. Si les conditions changent, ce qui s’est déjà produit par le passé pourra ne pas se reproduire. La prédiction est toujours statistique, c’est donc une probabilité. Pour une personne, c’est probable avec un certain pourcentage mais cela ne dit pas si la personne fait partie de ce pourcentage ou non. La prédiction parle d’un ensemble pas d’un individu. Une fois que c’est arrivé, la probabilité passe à 100% pour l’individu à qui s’est arrivé ! La reproduction du passé n’est pas vraie dans l’absolu et elle ne nomme pas les personnes concernées. Prédire c’est médire… Prédire qu’à 70%... est-ce que cela aide la personne ? En particulier en matière juridique, le fait de choisir ce qu’on veut ou ne veut pas savoir est important, savoir peut être plus néfaste… Exemple dans le cas d’une maladie neurodégénérative grave survenant vers l’âge de 25 ans, 100% des jeunes qui viennent pour se faire dépister veulent savoir, ils ont, avec les médecins, un dialogue qui initie un parcours de réflexion pour savoir s’ils veulent savoir, à la fin du processus, la moitié ne se fait pas dépister et ne veut pas savoir. Prédire quelque chose comme un avenir possible n’est ce pas écraser ce qui peut advenir entre cette prédiction et sa survenue : Si on avait pu prédire que Mozart allait mourir à 35 ans, était-ce dire ce qu’il ferait avant… Et l’aurait-il fait ?

La prévention, c’est d’essayer de protéger le groupe contre la personne ou pour protéger la personne ? Si c’est le premier cas, cela peut vite devenir de l’eugénisme et les exemples historiques existent (stérilisation de force…) : dépister la violence précoce chez les enfants de 3 ans, c’est pour protéger l’enfant ou pour protéger la société contre ces enfants. Attention à ce que la prévention ne soit pas appliquée de force à des gens contre leur avis : ce qu’on ferait pour nous si on était dans ce cas, n’est pas forcément ce que désire la personne. Attention à laisser l’autonomie de décision tant dans la prédiction que dans la prévention. Il s’agit de ne pas créer un contexte idéologique ou une chosification de la personne qui devait alors se comporter comme, ou faire ce, qu’on attend d’elle. Conjuguer prédiction et prévention avec respect du droit commun.

Prise de notes : Caroline LAPLACE-JOURDAIN & Patrice FABRE

 
Cellules souches et médecine régénérative, nouvelles frontières

John DE VOS, Docteur, Professeur à l’institut de Recherche en Biothérapies, Responsable de l’Unité thérapie cellulaire à l’hôpital Saint Eloi de Montpellier.

De toute part, dans un organisme pluricellulaire, des cellules sont présentes, des cellules disparaissent et sont, normalement, selon le tissu auquel elles appartiennent, remplacées par des cellules souches. Une cellule souche est une cellule présentant des capacités d’auto-renouvellement et de différenciation (cas emblématique : le sang). Avec le vieillissement, certaines pathologies, des cellules souches disparaissent, les tissus lésés ne pourront plus être réparés. Exemple : si on est capable de prévenir l’infarctus du myocarde, on est en revanche incapable d’en réparer les effets ; de même pour le diabète, on sait soigner par injection d’insuline, on ne sait pas réparer le pancréas.

Comment réparer ? En mettant des cellules matures ? Il est peu probable que ces cellules se placent correctement, soient efficaces et elles peuvent même présenter des problèmes d’intégration à l’organisme. Peut-on alors réparer en mettant des cellules souches pour renouveler les cellules manquantes ?…

Il existe différentes sortes de cellules souches : différenciées (donnent une seule cellule), unipotentes (donnent un seul type cellulaire), pluripotentes (donnent une lignée de cellules, exemples les cellules du sang) et totipotentes (donnent tout type de cellules) : « One stem cell to rule them all » !

Au cours du développement embryonnaire, on passe du stade zygote au stade blastocyte (64 à 128 cellules) en environ 5 jours. A ce stade-là, le trophoblaste (futur placenta) est distinct de l’embryon constitué de cellules totipotentes. Techniquement, il faudrait pouvoir multiplier ces cellules-là en maintenant leur caractère multipotent puis être capable de les faire se différencier selon les besoins. Des étapes expérimentales ont déjà été franchies chez la souris (Kaufman, 1981) et chez l’homme (Thomson, 1998). Les deux ayant fait l’objet d’un prix Nobel en 2007. Depuis, les modèles animaux se sont diversifiés, des essais cliniques ont été effectués chez l’homme (2010) et, dans le futur, un élargissement progressif des techniques, pour chaque organe, chaque pathologie se mettra en place. Sur plusieurs dizaines d’années. On a déjà réussi à fabriquer des cellules productrices d’insuline, à les encapsuler et à les placer sous la peau mais cela fonctionne encore mal.

Ces techniques vont devoir faire face à des limites : un gramme de tissu contenant environ 109 cellules, la capacité de multiplication doit donc être importante. Mais alors le risque de produire des tumeurs apparait alors si elles se multiplient trop. Chez un adulte, les lignées cellulaires et les cellules présentent aussi un certain état de maturité que n’auront peut être pas des cellules souches nouvellement différenciées. Afin de veiller à la complémentarité immunologique, on pourrait partir de cellules pluripotentes du patient mais en les reprogrammant. La reprogrammation cellulaire paraît d’ailleurs plus source de réussite que le clonage thérapeutique, trop difficile. Pour faire avancer nos connaissances sur ces lignées et leur différenciation, des recherches sur les embryons sont indispensables. Or, elles sont aujourd’hui interdites sauf dans les rares cas de dérogation exceptionnelle. Il faudrait peut-être étendre ces autorisations aux embryons surnuméraires issus de la FIV et destinés à être détruits en absence de projet parental.

La reprogrammation cellulaires est possible car les tissus sont très stables dans le temps (la peau reste de la peau), c’est un avantage mais aussi un inconvénient car les sauts entre lignés sont difficiles : pour faire du foie, on ne peut pas prendre du cœur… Donc, les cellules de sang fœtal ne feront pas toutes les lignées cellulaires. Le schéma de différenciation en lignées cellulaires puis types cellulaires a été proposé en 1997 par Wilmut (Nature n° 585) comme un ensemble de « vallées à l‘envers ». Le clonage de Dolly a été un premier pas franchis dans la reprogrammation mais c’était avec le cytoplasme d’un ovocyte (cellule non différenciées). Depuis, on a depuis montré que seuls 4 gènes sont responsables des différenciations. Forcer ces 4 gènes permet de recouvrer les capacités embryonnaires des cellules différenciées. On peut alors envisager leur reprogrammation : fibroblaste —> cellule embryonnaire —> cellule cardiaque. La reprogrammation n’est pas totale, il reste toujours des traces de ce qu’était initialement la cellule. Ce n’est pas le cas avec des cellules embryonnaires. La transdifférenciation est une nouvelle voie qui consiste à passer d’une lignée à une autre en évitant le stade embryonnaire.

Mais de nombreuses questions apparaissent : manipuler le destin cellulaire est-ce manipuler le destin humain ? Quelles recherches sur l’embryon ? Comment penser alors les limites de la mort ? Quelles recherches sur l’animal ? Jusqu’à quels coûts ? On ne peut espérer avoir, pour chaque personne la totalité des souches prêtes à l’emploi et la mise en œuvre d’une séquence de reprogrammation prend plusieurs mois, ce qui est trop long dans la majorité des attentes médicales, il faudrait donc constituer une « banque » de lignées cellulaires compatibles avec la majorité des individus. Le calendrier lui, laisse plusieurs années voire dizaines d’années avant que ces techniques ne soient opérationnelles.

Prise de notes : Caroline LAPLACE-JOURDAIN & Patrice FABRE

 
Don d'organes et de tissus : faut-il respecter la loi dans notre relation avec les proches

Renaud GRUAT, Médecin anesthésiste réanimateur, Centre hospitalier René Dubos. Coordinateur du réseau nord-francilien de prélèvements d’organes et de tissus, responsable de l’espace éthique du centre hospitalier de Pontoise.

Avant tout prélèvement d’organe ou de tissu sur des personnes décédées, un entretien avec les proches est nécessaire. Si l’acte de greffe est souvent mis en avant, car valorisé, on ne parle que très peu du prélèvement. Seules 49,2% des personnes décédées de mort encéphalique sont effectivement prélevées. Les autres ne les sont pas par obstacle médical (8,9%), antécédents incompatibles (11%), obstacles logistiques (0,3%) et refus à 30,6%.

Par la loi de 1976, on est passé du don volontaire et exprimé à un consentement supposé (en absence d’opposition formulée). L’opposition se faut par une inscription nominative sur un fichier (actuellement environ 60000 inscrits) Le concept de la mort encéphalique constatée fait suite à celui de coma dépassé (1959) et de « brain death » (1968). Cette définition est fondamentale car c’est elle qui permet d’une part d’interrompre le fonctionnement de l’appareillage de respiration artificielle et d’autre part d’autoriser le prélèvement d’organes.

Dans la quasi-totalité des cas, le médecin n’a pas connaissance de la position du « donneur » potentiel (non inscription sur le fichier).… Il se doit alors d’effectuer un « recueil, auprès des proches, de l’opposition éventuellement exprimée de son vivant du défunt et d’informer des finalités du prélèvement ». Cette définition juridique soulève quelques difficultés dans la pratique : qui sont les « proches » ? Comment aborder le prélèvement, selon l’organe considéré, auprès d’une famille qui doit faire face à un deuil la plupart du temps brutal ? De plus, si le défunt est mineur, le consentement parental doit être écrit.

Le prélèvement d’organes est encadré par la loi, il n’y a pas de pratiques médicales qui ne soit plus encadrée par la loi. Le constat de la mort encéphalique est régi aux mêmes déclarations que toute autre mort (certificat de décès signé par un médecin) auquel s’ajoute un autre acte signé de 2 médecins appartenant à une équipe différente de celle qui a signé le certificat initial.

La notion de mort est ici interrogée de près : habituellement la mort c’est lorsque le cœur ne bat plus, qu’il n’y a plus de respiration que le corps se refroidit et se rigidifie. Mais l’état de mort encéphalique, constatée sur des critères neurologique, amène à un tout autre constat (mort « à cœur battant ». La motricité d’origine médullaire est aussi conservée et cela pose un problème vis à vis des proches, la situation ne se prêtant pas forcément à un cours de biologie. La mort encéphalique c’est l’arrêt de la perfusion cérébrale, le cerveau ne recevant plus de sang, les destructions occasionnées sont irréversibles. Les causes majeures en sont l’arrêt de l’irrigation par arrêt cardiaque ou pendaison et atteinte cérébrale sévère par suite d’une augmentation de la pression intracérébrale (AVC, traumatisme crânien ou anoxie cérébrale). Sachant que la plupart des AVC affectent des personnes âgées (au-delà des 75 ans souvent), il est souvent difficile d’expliquer au conjoint qu’on désire prélever un organe… un vieil organe… Il faut alors expliquer que de nombreux receveurs sont également âgés.

Le prélèvement d’organes est encadré par la loi, il n’y a pas de pratiques médicales qui soit plus encadrée par la loi. Le constat de la mort encéphalique est régi aux mêmes déclarations que toute autre mort (certificat de décès signé par un médecin) auquel il faut ajouter un autre acte signé de 2 médecins appartenant à une équipe différente de celle qui a signé le certificat initial.

Par ailleurs, lorsqu’une mort encéphalique a été annoncée, L’appareillage est maintenu afin de pouvoir procéder à un éventuel prélèvement (d’où les battements cardiaques, la respiration…) les proches du défunt en viennent souvent à douter même de la mort.

Enfin, qui sont ces « proches » ? La famille ? L’épouse légitime dont le mari vivait séparée depuis un an ou la maitresse qui partageait sa vie ?

Donc il faut, pour le praticien, annoncer cette mort particulière, s’assurer que les proches ont bien compris, respecter les émotions, être bienveillant. Cela doit être suivi de la demande de prélèvement. Théoriquement ces deux éléments du dialogue devraient être séparés dans le temps. Mais on ne peut pas laisser le corps avec une apparence de vie (entretenue par les machines) pour la famille. Au-delà de la compassion, il y a des techniques d’entretien. Ce qui est recherché, ce n’est pas le consentement des proches, c’est la connaissance par ceux-ci d’une opposition déclarée par le défunt de son vivant. La façon de poser la question est aussi importante, le vocabulaire du « don » est différent de celui de « prélèvement ».

A la question « en avez-vous déjà parlé ? » la réponse est non à 80%. Donc d’après la loi, le défunt n’ayant pas exprimé son opposition, le prélèvement est légal mais il y l’aspect humain, la prise en compte d’une famille face à un deuil. Alors, appliquer la loi ? Modifier la loi ? Mieux faire connaître la loi ?

Prise de notes : Caroline LAPLACE-JOURDAIN & Patrice FABRE

 
Don d'organes entre êtres vivants, enjeux éthiques et contemporains

Valérie GATEAU, Philosophe. Post-doctorante au CERSES, Université René Descartes Paris V.

Dans le cas de don d’organes par donneur décédé, il faut préalablement constat de la mort cérébrale. Le consentement est présumé si l’opposition n’a pas été formulée. Ce don est gratuit pour le donneur et respecte l’anonymat du donneur et du receveur. En revanche, le don d’organes du vivant nécessite un consentement obligatoire et une proximité familiale.

La greffe est une technique de plus en plus efficace et donc de plus en plus proposée. Donc la demande augmente. Mais les états de mort cérébrale faisant majoritairement suite à un AVC ou à un accident de la route, et le nombre de ces accidents diminuant, le nombre de donneurs potentiels diminue. Ainsi, la situation de pénurie s’installe et relance les tentatives de greffe avec donneurs vivants. Ces types de greffes sont plus rares à cause du risque encouru par un donneur qui, lui, est sain.

La réflexion se base sur les résultats d’une étude sur la transplantation de foie entre vivants. Cette technique date des années 90. Les situations sont toujours liées à des risques vitaux imminents : on ne peut pas vivre sans foie. D’un autre côté, le foie est un organe qui se régénère (organe à plusieurs lobes qui repoussent). L’opération a de fortes probabilités de succès (plus de 80% de survie à 5 ans). Mais, il existe aussi des risques majeurs pour le donneur qui, dans 30% des cas, présente encore des séquelles à un an. Dans quelques cas rares, le foie du donneur ne se régénère pas (33 cas de donneurs qui sont morts depuis que ces opérations sont réalisées au niveau mondial, cela n’apparaît pas de façon statistique mais ces cas existent).

Le respect des 4 principes clés de bioéthique est ici fondamental. Le receveur se trouve face à des bénéfices importants et le donneur face à des risques importants… La question de la balance risque/bénéfice, tant du point de vue physique que psychologique, mérite d’être posée. La part psychologique est importante : est-ce qu’on peut réellement refuser de soigner un proche ? Est-ce que je peux demander à un proche de se mettre en danger ? Se pose également la question de la gratuité : est-il juste d’accepter de prendre des risques sans compensation (mais sans entrer dans des situations commerciales non plus) ?

Résultats de l’enquête :

Principe d’autonomie : d’après les professionnels, ces situations ne semblent pas se conformer au point d’autonomie (je ne peux pas refuser d’aider un proche !). Interrogés, ce sont les donneurs qui se sentent en situation de libre consentement, alors que les receveurs se sentent contraints : dans une situation d’urgence, il y a absence de choix.

Principe de bienfaisance : 80% de bénéfice pour le receveur et 30% de risques pour le donneur Chez 30% des donneurs, on se trouve donc plutôt dans une situation de malfaisance … 25% des donneurs parlent de conséquences professionnelles ou financière.. Certaines assurances allant même jusqu’à qualifier le don de « mutilation volontaire ». C’est injuste pour le donneur. Depuis longtemps, un statut particulier est demandé pour le donneur vivant et ainsi qu’une indemnisation. Mais dans l’exemple de la perte de revenus, si l’hôpital a l’obligation de compenser les pertes de salaires, il risque de préférer les donneurs à petits revenus (ce qui lui coûterait moins cher…). Il est également envisageable d’indemniser les complications éventuelles d’un don, mais, dans ce cas, qui aurait la charger d’estimer ces « complications ». En France, quelques premiers pas ont été faits : prise en charge à 100% des donneurs pour tous les soins liés à la transplantation. Mais qu’en est-il, en cas de nécessité de soins à long terme ? Le problème liés à tous ces débats d’indemnisation sont plus liés à chercher à compenser la pénurie d’organes que de recherche d’une véritable reconnaissance et valorisation du donneur : il faut mettre en place un système qui puisse témoigner, sous une forme ou une autre, de la reconnaissance de la société envers le donneur.

Mais il ne saut absolument pas perdre de vue l’idée qu’en cas de refus de don, le malade meurt de la maladie, et non pas du refus du donneur.

Prise de notes : Caroline LAPLACE-JOURDAIN & Patrice FABRE

 
L'enfant mineur et le consentement libre et éclairé dans la situation de soin

Edwige RUDE-ANTOINE, Directrice de recherche au CNRS, Directrice de laboratoire Centre d’Etudes et de Recherches « Sens, Ethique et société » (CERSES), Université René Descartes, Paris V.

La notion de « consentement » se doit d’être le fruit d’une concertation entre le patient (ici mineur), les parents et l’équipe de soignants. Pour les patients de moins de 18 ans la participation aux prises de décision est variable : le mineur a-t-il la possibilité de participer aux décisions concernant sa santé ? A-t-il la possibilité de refuser une situation de soin ? Ses parents conservent-ils leurs prérogatives pleines ?

Le mot de « consentement » figure depuis longtemps dans le code civil. Il s’est d’abord agi plus de consentir au contrat qu’au protocole de soins en lui-même. Le consentement a pris son sens actuel avec les lois Veil de 1975 concernant l’IVG. En effet, le droit à l’information préalable a été ajouté afin de permettre d’éclairer le choix. L’atteinte à l’intégrité de la personne ne peut être retenue que dans le cas d’urgence vitale. Dans tous les autres cas – sauf impossibilité immédiate – le consentement est impératif. La loi Kouchner instaure la participation du mineur à la décision de soin, selon son degré de maturité. Des articles plus récents augmentent la place de la relation du mineur avec le soignant au détriment des parents. Le médecin doit tenir compte de l’avis du mineur en fonction de son degré de discernement du mineur. Plus l’âge augmente, plus cette autonomie dans le discernement augmente. Actuellement, le mineur doit être respecté et une consultation ne peut plus se faire sur le seul avis médical ou parental. Il ya donc nécessité d’information et que le patient puisse s’expliquer sur son état de santé. La loi définit les contenus de l‘information (protocole, effets, risques et aussi le cas du refus). En cas de litige, c’est à l’établissement de santé ou au médecin, d’apporter la preuve que le patient a été informé.

La phase d’information, notamment dans les cas graves, est aussi à pondérer en fonction des conséquences même de l’annonce : risque de dépression, de tentative de suicide… Le médecin doit tenir compte des capacités psychiques de l’individu ; c’est là toute la différence entre dire la vérité et donner des informations de façon brutale. La prise en compte des effets de l’annonce fait aussi partie de l’éthique.

Dans le cas de refus de soin, le médecin doit essayer de convaincre sauf si le pronostic vital est en jeu et où l’obligation d’action est prioritaire. En revanche, le refus ne fait obligatoirement obstacle à la poursuite de l’intervention que dans deux seules situations : les cas d’IVG ou de prélèvement de moelle osseuse.

Le choix du moment opportun pour livrer son diagnostic est également très important car révéler, c’est déjà décider. Celui-ci est mieux accepté si la relation de confiance a déjà été établie. Mais cette confiance doit être mutuelle. Les patients ont besoin du côté humain des médecins. Le degré d’acception d’un traitement est lui aussi variable : accepter un traitement n’est pas accepter un diagnostic et non plus accepter des soins douloureux. Une relation de confiance est à construire, le cheminement du malade est important. Concernant les parents, dans le cas de diagnostic de maladies graves, ils peuvent ne pas être affectivement capables d’accueillir les informations, de comprendre les traitements proposés et de les accepter. Dans le cas où la vie est en danger, si le consentement ne peut être obtenu, au moins faut-il une non-opposition. Le médecin peut aussi faire appel au juge. Les 6-10 ans s’en confient souvent à leurs parents mais ils souhaitent recevoir des informations de la part d’un professionnel de santé. Au-delà de cet âge-là, la décision est davantage collective.

Les médecins se sont longtemps positionnés comme détenteurs de savoir mais, de même, que cela est remis en question, la suprématie de la volonté parentale sur celle du mineur est également remise en question. Enfin, qu’est-ce que consentir ? Consentir n’est pas « obtempérer » à la volonté médicale.Il faut trouver un équilibre entre diagnostic, probabilité et singularité, humanisme.

Prise de notes : Caroline LAPLACE-JOURDAIN & Patrice FABRE

 
Éthique et philosophie de la biologie

M. Philippe HUEMAN, Philosophe, chargé de recherches à l’Institut d’Histoire et de Philosophie des Sciences et de Techniques, Université de Paris I – Panthéon Sorbonne.

La philosophie biologique a pour objet le contenu des sciences biologiques alors que la philosophie de la biologie s’interroge sur la biologie en tant que telle. Le discours ici, concernera la philosophie de la biologie, elle s’articule autour de 3 dimensions : Une analyse conceptuelle descriptive (ex. le concept de « fonction » en biologie ». Une analyse normative : comment faire de la « bonne » science à travers l’étude des séquences méthodologiques ? Résoudre de manière biologique des questions philosophiques (ex. Qu’est-ce qu’un individu ?)

Il s’agit donc de s’interroger sur des questions cruciales de la biologie : la théorie de l’évolution (ce qui est spécifiquement biologique dans la biologie c’est l’évolution) ; les gènes et le déterminisme génétique….

Si on s’attarde sur les questions soulevées par la génétique, on dit que les gènes portent « l’information », l’information sur quoi ? Les protéines, les ARN ? Avec le séquençage du génome humain, on pourra sémantiquement et conceptuellement glisser du « dans mon sang » à « dans mes gènes ». Comment quantifier le poids de la causalité du gène et celui de l’environnement ? Il faut prendre aussi ne compte la robustesse : si un caractère est conditionné par plusieurs gènes, parfois, la suppression de l’activité de l’un ou plusieurs de ces gènes ne supprime pas le caractère. Alors, quid du rôle de ces gènes ? Ainsi, ce questionnement entre bioéthique et causalité génétique trouve ses applications, par exemple, dans les enjeux des politiques de dépistages des maladies génétiques : la présence des gènes augmente la probabilité de porter un caractère mais probabilité n’est pas certitude. Par ailleurs, le dépistage ne risque-t-il pas d’induire une perte de diversité allélique ? L’analyse coût/bénéfice pose la question de la pertinence du dépistage. Au-delà, on peut se demander que dépister : qu’est-ce qu’une maladie génétique ? Est-ce un concept bien formé ?

De même, la notion de causalité est aussi à interroger. La « causalité » peut revêtir deux acceptions : causalité en tant que mécanisme causal (comment la présence du gène X cause-t-il la maladie Z ?) ou comme facteur causal (avoir X provoque Z). Selon le niveau de causalité entre gène et le risque de maladie, l’amélioration du génome est plus ou moins tenable. Cela remet en question également l’aspect quasi mystique de l’ADN, le « grand livre de la vie ». Tous les traits ont-ils une composante génétique ? Pourquoi une telle importance donnée au gène ? N’est-ce pas parce qu’il serait plus économique d’agir sur les gènes que sur l’environnement ? Si lire les « gènes » induit des déterminismes d’avenir (les gènes déterminent-il la capacité à « faire du kayak ? », par exemple) l’usage du « déterminisme » génétique pose des problèmes d’(e) (bio) éthique. Doit-on utiliser l’information génétique pour prendre des décisions sur l’avenir de nos enfants ? Sur quoi porte cette information génétique ? Quelle est la relation entre les gènes et les traits que l’on porte réellement ? Enfin, des questions d’usage social vont aussi se poser : séquençage du génome, information génétique et relations causales avec des éléments de risques sont-ils compatibles avec leur mise à disposition auprès des assureurs ?

Prise de notes : Caroline LAPLACE-JOURDAIN & Patrice FABRE

 
Éthique et philosophie de la médecine

M. Lazare BENROYO, Professeur d’éthique et de philosophie de la médecine, Président de la plateforme interdisciplinaire d’éthique, Université de Lausane.

Éthique : quelle éthique ? Il est utile ici de donner un cadre normatif ; éthique dans le sens nord-américain. La bioéthique est le cadre normatif pour s’occuper des contrôles des pratiques alors que dans le champ clinique, les problèmes doivent faire appel à l’éthique. Quand on parle de bioéthique il faut savoir dans quel champ on se situe. La bioéthique présente un intérêt moindre dans le champ de la recherche que dans celui de la médecine. Attention à la confusion même des termes car le même mot est employé dans des registres différents.

Qu’est-ce alors que la bioéthique au sens « nord-américain » ? Quels sont les défis posés par cette bioéthique en clinique ? Où se situe la limite entre recherche (expérimentale) et pratique de la médecine ? L’éthique prend ses racines dans le matérialisme et l’individualisme et se concentre autour des progrès des biotechnologies. L’éthique (d’Hippocrate) traditionnelle était devenue inadaptée aux nouvelles pratiques, telles que transplantation d’organes, ventilation artificielle sur long terme, génie génétique…. Il convenait alors expliciter le champ « respect du corps et de la dignité des patients ». La « bonne conscience du chercheur » qui légitimait son acte (selon Claude Bernard) n’était plus suffisante... Il fallait alors une légitimité externe pour instaurer des normes, d’où l’appel au législatif. La « bonne conscience du chercheur » (selon Claude Bernard) n’est plus suffisante. L’émergence de la bioéthique classique nord américaine : La bioéthique naît dans les années 70 à l’Université Georgetown. La commission pluridisciplinaire pour la protection des êtres humains, fondée en 1974, a produit le rapport Belmont qui définit la bioéthique comme éthique des sciences du vivant. Son objet est de concilier droit, pratiques et bien-être des êtres humains. Le mandat de cette commission était de désigner les principes fondateurs de la bioéthique et d’ensuite déterminer les modes d’action pour les mettre en application. Les membres étaient médecins, chercheurs, politiques, philosophes et un bioéthicien (nouveau type d’expert …. Ils initient une réflexion pour fonder l’éthique de la recherche sur des lois universelles qui devront être suivies dans toute recherche sur l’être humain.

Trois ou quatre principes cardinaux sont déterminés, puis transmis à des comités d’éthique locaux, garants du respect de ces principes. De tels comités se sont développés dans la plupart des centres de recherches et hôpitaux américains. L’environnement du malade a rapidement été inclus aussi dans ses domaines d’action. Les 4 principes opératoires :

Principe d’autonomie : obligation d’informer le patient afin d’obtenir son consentement libre et éclairé avant de procéder aux soins. En découlent le devoir de véracité et le secret médical. L’information doit être réelle et comprise : la personne comprend, parle la même langue…. Cette information et cet accord sont indispensables, que ce soit directement ou si la personne est dans l’incapacité de prendre cette décision par l’intermédiaire de représentants (les « proches »…). En informant, on se fonde forcement sur la bienfaisance.

Principe de non malfaisance : il était au début inclus dans celui de la bienfaisance, mais a été séparé ensuite pour s’accorder avec le serment d’Hippocrate de ne pas nuire. C’est différent du principe de bienfaisance car on n’est jamais certains de ne pas nuire en médecine mais il s’agit de ne pas le faire sciemment.

Principe de bienfaisance : concerne la suppression du mal, la promotion du bien-être individuel en maximalisant les bénéfices et en minimisant les risques.

Principe de justice : c’est le principe d’équité principalement par la répartition des ressources, de la non-discrimination, quels que soient l’âge, l’ethnie, la religion, les aspects économiques et idéologiques…

Dans le champ de la recherche il faut respecter des principes en allant dans le détail, en soumettant un protocole de recherche où tout est soumis pour d’assurer, à travers les débats de la commission interdisciplinaire, que tout est bien conforme à ces principes.

Application de ces principes cardinaux : Dans le domaine clinique (Hasting center report 11 ; 1981) une éthique minimaliste (« minimalist ethics ») est requise. Le prix à payer pour la reconquête de la dignité des personnes en difficulté a pu être de bafouer les principes minimaux, notamment celui de l’autonomie. Entre technologie et volonté du malade, un conflit est à lever par la restauration de l’autonomie de la personne. Il convient de repenser le sens du soin en se fondant sur les champs fondamentaux, mais aussi la place du malade dans notre société. « La notion de sagesse pratique » consiste à trouver la norme juste dans une situation particulière, non de façon théorique mais par la pratique. Les caractéristiques éthiques de la pratique clinique. Dans la situation particulière du soin, il faut trouver la norme juste, en privilégiant la prudence et la sagesse dans la pratique. La démarche en clinique passe par les étapes suivantes : Le moment de l’éveil éthique à la souffrance (sollicitude face à la vulnérabilité, le respect de l‘intégrité, de la dignité). Le moment du pacte de soin basé sur la confiance (la relation médicale de confiance). Le moment de la technique, de la lutte contre la maladie (respect de l’autonomie, de la bienfaisance et de la non-malfaisance, de l’équité) Le moment du rétablissement personnalisé du malade (la prudence médicale, réalisation du projet de soin)

Prise de notes : Caroline LAPLACE-JOURDAIN & Patrice FABRE

 
Repères juridiques et enjeux politiques de la bioéthique

Mme Elisabeth G.SIEDZIEWSKI, philosophe, maître de conférences en sciences politiques à l’Institut d’études politiques Université de Strasbourg ; Espace éthique de l’Assistance publique des hôpitaux de Paris ; Équipe d’accueil de Paris Sud IX.

Pourquoi le droit peut-il se mêler de bioéthique, qui touche au corps, à l’inimité la plus grande « l’articulation intime » ? Les enjeux politiques sont sous-jacents ou explicites dès qu’il est question de droit. Dans notre civilisation occidentale, le corps est devenu objet de connaissance. Au cours des âges, dans les différentes civilisations depuis l’Antiquité, à travers la Renaissance puis l’époque baroque, ce corps a fait l’objet de considérations tant sur lui-même que sur sa relation à la société. L’émancipation du corps à travers le bien-être et l’hygiène, après la Révolution (Condorcet), suivi par la promotion du physique (réconcilié avec l’esprit ?), a trouvé ses limites au cours du XXe siècle : ne serait-il pas devenu un bout de la nature – comme tous les autres éléments qui la constituent – qu’il convient de maîtriser, d’exploiter. Le corps est alors soumis aux mêmes objectifs de perfectibilité et de sélection, comme les animaux ou les végétaux…. L’Homme devient une espèce ressource parmi d’autres. L’humanisme moderne ne consiste qu’en une désacralisation de l’Homme, pour en faire un objet comme d’autres. La réhabilitation de l’humanisme déshumanise l’Homme, lequel est relégué au rang d’objet mieux assujetti aux « biopouvoirs ». Les normes de la cité, de la technique, du marché prennent en charge le vivant et l’Homme. C’est là qu’on croise la bioéthique, à l’encontre de l’exercice normatif du « biopouvoir ». Les questions soulevées sont bien politiques et le procès de Nuremberg en est un des révélateurs principaux, notamment lors des comparutions des « médecins » nazis. Dans ce contexte catastrophique, la monstruosité même de ce qui a été rendu possible par un état totalitariste rend indispensable cette réflexion sur les principes éthiques plus que juridiques. Mais, dans un procès c’est sur le droit que l’on s’appuie et les références juridiques deviennent incontournables. Le verdict de 1947 reste un texte fondateur qui énonce les dix principes fondamentaux qu’il convient d’observer pour la recherche sur l’Homme. Pour énoncer les principes de droit encadrant les pratiques, une expertise morale devient nécessaire. L’éthique, experte en humanité, permet d’informer, d’instruire mais aussi de tempérer l’État pour éviter qu’il ne s’érige en pouvoir incontrôlable. Alors qu’auparavant le droit distinguait clairement choses et personnes, cette séparation a tendance actuellement à s’atténuer d’où la nécessité que le droit soit alimenté par la réflexion éthique et philosophique. Le droit se doit d’être humaniste pour reconnaître à cet humanisme, la capacité de dire l’Homme sujet de sa propre humanité.

Prise de notes : Caroline LAPLACE-JOURDAIN & Patrice FABRE

 
La prise de décision aux limites de la vie, questions d'éthique

Régis AUBRY, Médecin, Chef du service du Département douleur et soins palliatifs au CHU de Besançon, Président du programme national de développement des soins palliatifs.

Souffrance existentielle et maladies chroniques inguérissables, quel accompagnement ?

Conséquence des progrès de la médecine, on allonge la durée de vie. La durée des soins palliatifs est en train de s’étirer. Or, il faudrait que l’espérance de vie cadre avec la qualité de vie Le sens de la vie revêt une importance fondamentale. Les souffrances existentielles liées à cet état de vie malade demandent des progrès dans l’accompagnement de ces longues maladies. Quel est le prix humain à payer : Faut-il engager des traitements sous prétexte qu’on sait le faire, quelles que soient les conséquences sur la qualité de la vie ? La perte du sens de la vie peut aller jusqu’à vouloir arrêter cette vie-là. Il faut donc penser un accompagnement et des lieux pour cet accompagnement, penser à de nouvelles structures au delà des deux seules existant actuellement, l’hôpital et le domicile. Par ailleurs, il faut éviter de céder à des idées trop simplistes, sans affect : une vie hors norme ne serait-elle pas néanmoins une vie ?

Denis ORIOT, Professeur de pédiatrie, CHU de Poitiers, Département de pédiatrie.

Décisions de fin de vie en réanimation néonatale en France.

En France, tous les ans, environ 20 000 naissances sont en détresse vitale soit par suite de malformations graves, d‘ischémie cérébrale, soit des prématurés aux limites de la viabilité (entre 22 et 25 semaines d’aménorrhée) ou grands prématurés (25 à 32 semaines), ces derniers représentant la moitié de ces naissances (soit environ 10 000 naissances). Les naissances de prématurés ont augmenté ces dernières années. Ces 20 000 naissances représentent 1,6% des naissances mais mobilisent 50% des moyens de réanimation néonatale. Elles représentent aussi 80% de la mortalité néonatale et 50% des séquelles neurologiques. A 5 ans, 39% ont un déficit cognitif (grave pour 5% ; modéré pour 9% et léger pour 25%). A la lumière de ces informations, quel bien-fondé des thérapeutiques proposées et dans quelles limites les appliquer ? Que faire : ne pas réanimer, arrêter les réanimations, laisser faire la nature (logique hétéronomique), procéder à une euthanasie active (logique autonomique) ? 50% des décisions collégiales concernant les fins de vie en réanimation néonatale, sont, en France, prises uniquement par le corps médical, les parents n’étant pas décideurs, ni même informés.

Louis PUYBASSET, Professeur, Responsable du service de neuroréanimation chirurgicale à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris.

Situations limites en neuroréanimation

En neuroréanimation, les interventions se font dans un contexte d’urgence extrême. La mort est alors certaine en cas de non intervention. Dans ces conditions de grande incertitude, des situations problématiques sont crées par la réanimation elle-même. En phase aigüe, la question de la poursuite de l’action de réanimation se pose au bout de 2 à 3 semaines. C’est la recherche d’arguments sur l’état neurologique du patient tout au long du premier mois qui va permettre d’appréhender le devenir probable du patient. Le diagnostic doit donc être anticipé par un suivi de l’évolution du patient avec des outils fiables. Pour cela, une banque mondiale d’IRM, associés aux conséquences observées, est en train d’être constituée. Elle permettra d’établir un pronostic le plus précocement possible, et de discuter, le cas échéant, avec les familles du bien-fondé de la poursuite de la réanimation. Les terrains familiaux sont souvent complexes et le niveau d’acceptabilité du handicap est variable selon les familles. Les cérébraux-lésés sont bien souvent utilisés comme porte drapeaux pour des associations dans le but de militer pour l’euthanasie. Enfin, il y a un lien avec les dons d’organes : ce n’est pas un cas de mort cérébrale et un traitement ne doit pas sciemment tuer un malade.

Ces problèmes se posent car, lors de l’intervention des services d’urgence (SAMU…) des décisions (aide à la ventilation, etc.) sont prises sans concertation avec les proches : on engage les soins sans argument réel, dans l’urgence et avec une incertitude complète quant au diagnostic… qui attend le plus souvent le premier bilan à 15 jours. Et ensuite, si on n’observe pas d’évolution, que fait-on ? Qui prend la décision ? Car si aucune décision d’arrêt de l’appareillage n’est prise, un patient peut tenir pendant 15 ans en vie végétative. A contrario, il faut savoir aussi que 75% de ces actions engagées dans l’urgence permettent de sauver, sans séquelle (ou avec des séquelles acceptables) les personnes qui en bénéficient…. Et créent donc 25% de situations vraiment problématiques.

Prise de notes : Caroline LAPLACE-JOURDAIN & Patrice FABRE