Conférences 2008, tables rondes et ateliers pour l'actualisation des connaissances des enseignants de SVT

Conférences (C), tables rondes (TB) et ateliers(A) 2008.

C : Le message des fossiles, témoignage sur l'évolution du vivant.

Armand DE RICQLES, Professeur au Collège de France, Chaire de biologie historique et évolutionnisme

Les données paléontologiques comme preuves de l’évolution parmi les autres preuves que sont l’embryologie et l’anatomie. L’une des preuves classiques : la paléontologie, différentes espèces qui disparaissent. Elles documentent l’histoire de la vie sur les temps longs, illustrent les rameaux, les relais entre rameaux… Pour le public, ce sont des preuves évidentes, spectaculaires : les grands dinosaures…. Il existe une relative acceptation du fait évolutif grâce aux fossiles. Ces données paléontologiques permettent la constitution d’un récit de l’historie de la vie et la reconstitution d’écosystèmes à différents moments précis de l’histoire. L’ensemble est formalisé dans les enseignements depuis les années 40… Il reste toutefois un paradoxe historique : la paléontologie a une origine fixiste (Cuvier) par les révolutions du globe : des faunes, des époques distinctes, séparées par de grandes catastrophes, sans continuité du vivant. Et on découpe en grandes unités pratiques, stratigraphique, les ères (Alcide D’Orbigny, 1860).

Des résultats sont toujours contestés : les néo-créationnismes contemporains sont très variés : des « flat earthers » aux ID. La problématique est que les fossiles ne disent rien, c’est nous qui racontons !

Darwin énumère, aux chapitres 10 et 11, de De l’origine des espèces, les difficultés de la vision partielle et partiale de l’histoire de la vie. Les problèmes de l’interprétation des données. Un cas typique, la « lignée » du cheval avec une linéarité des transformations : en suivant la série stratigraphique on reconstitue les transformations de la lignée évolutive dont les membres ont été trouvés dans des couches de terrains de plus en plus jeunes. La représentation se fait de même : série phylétique ordonnées selon les orthogenèses. La science devient prédictive : on peut donc retrouver des caractères dans un niveau déterminé : ainsi naquirent les chaînons manquants. Et la succession des fossiles devient une généalogie pétrifiée ! L’histoire est la même pour les proboscidiens. A partir de cette histoire, on met en évidence des radiations adaptatives. Ces notions restent en usage jusque dans les années 1960. Dans les années 30, au fur et à mesure des découvertes, sont tracés des arbres de plus en plus précis jusqu’à l’espèce. Avec la théorie synthétique de l’évolution on passe aux arbres phylogénétiques traditionnels, représentations d’anagenèses et de cladogenèses.  A partir des années 1970,  avec la cladistique : on ne recherche plus des ancêtres réels dans les séries stratigraphiques mais des notions d’apparentements relatifs des espèces les unes avec les autres.

Un savoir historiquement construit qui s’améliore constamment.

L’exposé de la construction historique de ce savoir est décisif pour mieux saisir la méthode utilisée et pour tempérer le caractère dogmatique que la « standardisation » pédagogique peut poursuivre. Il convient de distinguer « patterns » et « process » évolutifs.

Les patterns sont les  résultats de l’évolution, la phylogénie. Les process sont les mécanismes de l’évolution. Pour les patterns, on ne peut pas démontrer qu’un fossile est un ancêtre réel d’un autre fossile ou organisme actuel. La relation ancêtre / descendant postulée est une déduction possible mais indémontrable. On peut montrer des degrés d’apparentement relatif des taxons par l’analyse des caractères intrinsèques de ces taxons. Les fossiles sont tellement nombreux que les « formes manquantes » manquent de moins en moins ! Exemple sur l’origine des tétrapodes qui est très détaillée. De même pour l’origine des mammifères depuis le Carbonifère jusqu’à l’actuel ! On assiste à toutes les transformations avec des fossiles ! Les oiseaux s’enrichissent aussi de plus en plus depuis archéoptéryx qui est un dinosaure, et il en est d’autres qui ont des plumes depuis longtemps et qui ne volaient pas, c’est très diversifié !

La plume n’est pas une adaptation au vol, elle préexiste et est cooptée de façon opportuniste pour le vol.

Les mécanismes évolutifs. Il faut des conditions très drastiques pour montrer des mécanismes micro-évolutifs :

Contrôle de la variabilité anatomique et de la trajectoire ontogénique dans les paléo-populations

  • Contrôle de la variabilité géographique entre les populations  synchrones
  • Contrôle des modifications par anagenèse et cladogenèse
  • Contrôle phylogénétique indépendant dans l’analyse des process.

L’analyse des patterns est avant tout historique, c’est l’accumulation d’indices, d’objets, c’est « monstratif ». L’analyse des process est une science expérimentale : on recherche des lois, des preuves par démonstration. La paléontologie évolutive est celle qui unit sciences des patterns et des process. Les preuves sont différentes, la preuve est monstrative, il faut le dire, cette science est inscrite dans le concret, dans l’histoire et elle permet de reconstituer des paysages passés de plus en plus précisément. Elle donne accès à des notions macro-évolutives, sur des temps longs… Il convient de s’intéresser pour cela non aux espèces mais aux clades eux-mêmes… Et avoir une vision globale !

Prise de notes : Olivier MEGEVAND & Patrice FABRE

 
C : Sommes-nous le produit de nos gènes ?

Pierre-Henri GOUYON, professeur au Muséum national d’histoire naturelle

De très nombreux concepts ont été émis en moins de 300 ans, on n’a pas eu le temps de tous les assimiler. La sélection naturelle c’est un processus dans le temps : reproduction, variation, hérédité.  La sélection naturelle intègre la reproduction. Selon Thomas Henry Huxley, « la nature n’est ni morale ni immorale elle est amorale ». Darwin traite les espèces comme un niveau parmi d’autres, ce qui lui vaut des problèmes avec les autres naturalistes.

Les idées de l’hérédité ?

Selon Weissman, « on ne transmet que ce qu’on a reçu »

Selon Mendel, « On n’en transmet que la moitié »

Le rôle de l’individu est limité à être un tuyau de l’information génétique. Les dérives en sont vite l’eugénisme : tenter d’améliorer l’espèce en sélectionnant les meilleurs. Thomas Morgan fait partie de la Société Américaine Eugéniste, ils font des travaux pour comprendre d’où viennent les tares de la société américaine : on cherche les tares dans les rues où traînent les pauvres, dans les asiles,  chez les criminels, les homosexuels, et naturellement on en trouve des tares ! Sur ces concepts, des dizaines de milliers de personnes sont stérilisées…. L’eugénisme s’arrête à Nuremberg, il a fallu un drame pour comprendre que la dignité humaine passe au devant de ce progrès.

Qu’est-ce qui est conservé au cours de l’évolution ? Les individus sont des artifices inventés par les gènes pour se reproduire. L’histoire de l’évolution c’est l’histoire d’informations qui se transmettent.

Que déterminent les gènes ? Au final peu de caractère sont uniquement génétiques.

Quelles sont la part du gène et  celle de l’environnement ? C’est un tout indissociable, mais il y a des notions statistiques, les variables sont multiples. Dans la variation d’un caractère, il y a une part génétique et une part environnementale, si on change l’environnement, on change toutes les données.

On peut définir trois composantes : l’ADN qui a l’information, le corps (épigénétique) qui lit l’information et l’environnement qui modifie l’ensemble. Et le libre arbitre ? Tout l’environnement social, culturel, humain est une partie importante. On ne peut pas faire l’économie de la complexité.

Prise de notes : Olivier MEGEVAND & Patrice FABRE

 
TB : Comprendre l'évolution, un élément de décision pour les démarche de développement durable

Modérateur : Cyril DELEY collaborateur à l’Institut d’Etudes Politiques

Intervenants :

Gérard BONHOURE, Inspecteur Général de l’Education Nationale, Sciences de la Vie et de la Terre
Marc DUFUMIER, Professeur d’agriculture comparée et développement agricole à l’Institut National Agronomique
Pascal PICQ, Anthropologue au Collège de France
Jacques WEBER, Economiste au CIRAD

Pascal PICQ, Professeur au Collège de France

Des relations entre théorie de l’évolution et EDD ont émergées trois façons fondamentales de concevoir le monde : le fixisme (le monde est et a toujours été comme ça, ou il revient régulièrement comme ça) ; progressiste (changement dirigé dans lequel s’inscrit la vie) et l’évolutionnisme (un monde qui change et dans lequel on essaie de savoir comment on intervient).

- Pour les fondamentalistes, tout ce qui est là a été créé par Dieu et tout est à disposition des hommes, le passage sur la terre est une punition, ce qui se passe sur la terre est sans intérêt au regard du Ciel. Les pays les plus créationnistes sont l’Amérique et l’Australie, ce sont des pays non signataires d’importants programmes de sauvegardes internationaux.

- Le progressiste recouvre ce qu’il se passe par sa conception de l’homme : l’homme domine par son génie et selon un programme défini, l’homme va se rendre maître de tout, donc idéologie type Claude allègre, c’est un développement durable mou, on peut atteindre aux ressources, ce n’est pas grave car grâce aux progrès et aux technologies on pourra mieux gérer cela plus tard. Les arguments ne manquent pas (espérance de vie, la paix, la santé…). On peut donc continuer comme on a toujours fait, on est nourri de cette culture : ça a marché comme ça pourquoi cela ne continuerait-il pas ?

- Pour l’évolutionniste, on fait partie d’une histoire et on a une place dans la nature. Nous devons avoir une attitude responsable, connaître le rapport de l’homme à l’évolution. Il ne reste au aujourd’hui qu’une seule espèce d’hommes dans la nature. Il y a 30000 ans,  il y en avait quatre et nul n’aurait pu savoir ce qu’il allait se passer. On peut donc disparaître comme toutes les autres espèces.

Les sciences humaines et économiques, en France, ont une tradition anti-darwinienne de principe (à cause du darwinisme social) : on ne valorise que ce qui est créé par l’homme sans se préoccuper des zones naturelles (exemple : les dégâts causés aux abeilles par les insecticides) or il faut être méfiants,  la coévolution existe, les espèces évoluent au sein de communautés écologiques qui évoluent aussi.

Nous devons nous préoccuper de l’ensemble de notre environnement. C’est pour cela qu’il est extrêmement important de réintroduire les questions d’évolution dans les sciences humaines. On ne peut pas faire abstraction du passé (en archéologie, on constate que la dégradation d’un environnement précède toujours la disparition d’un mode social ou d’une société), il est important de se rappeler que les sociétés peuvent disparaitre…

Jacques Weber, économiste au CIRAD

L’évolution du regard sur l’évolution peut-elle influer sur les théories économiques et réciproquement) ?

Etre anti-darwinien n‘est pas être antiévolutionniste : la théorie de l’évolution, qui a subi de nombreuses modifications depuis Darwin est acceptée en général dans les sciences économiques. L’histoire n’oublie pas non plus la manipulation des idées : eugénisme, darwinisme social… cette version là de l’évolution est préoccupante et elle n’est pas morte. L’écologie comportementale, bien que rigoureuse n’est pas à l’abri : l’utilisation de concepts économistes dans l’évolution… Il ne s’agit pas de dire que les hommes ce n’est pas pareil, il s’agit de dire qu’il faut prendre en compte les spécificités humaines (progrès technique…) permettant de faire tourner des modèles.

Le développement durable est censé permettre de garantir les besoins futurs, or on ne peut peut-être pas imaginer les besoins du futur. Les économistes doivent faire des choix pour conserver un maximum de choix pour le futur, ce qui n’est pas tout à fait pareil.

Marc DUFUMIER, Professeur d’agriculture comparée et de développement agricole à l’INA

En quoi les connaissances des mécanismes d’évolution sont-elles des apports à l’agriculture ?

Connaître l’évolution, notamment des écosystèmes permet de prévoir les impacts sur ces environnements des pratiques agricoles. Ce qui a été un peu trop nié jusqu’à présent. Depuis le Néolithique, les agriculteurs sélectionnaient par eux-mêmes les variétés dans leurs propres champs. Ils sélectionnaient les plus beaux cultivars. Ce que veut dire beau ? Prix, goût, meilleur résistance… Chacun avait ses critères, ses choix. C’étaient des variétés les mieux adaptées aux milieux. Chaque agriculteur faisant ça de son côté, ils sélectionnaient en fonction des conditions de leur environnement immédiat (bassin versant, nature du sol…), environnement qui n’était évidemment pas celui de son voisin sur l’autre bassin versant. La sélection différente d’une zone à l’autre, au bilan, n’affectait pas la diversité génétique globale de l’espèce cultivée. On était loin de l’uniformisation des pratiques de culture et des variants cultivés d’aujourd’hui. On servait donc la  conservation d’une très forte diversité végétale et génétique. Tout cela dans un aménagement de l’espace relativement modéré.

Depuis un siècle et demi, des investissements massifs ont été réalisés avec un critère : il faut du rendement à l’hectare, assimiler un maximum de calories solaires pour les transformer en aliments tout en s’assurant que ces variétés sont assez ubiquiste en gommant les gènes portant les éléments de photopériode pour les implanter sous toutes les latitudes, faire plusieurs récoltes par an… La sélection  ne s’accommode pas des cailloux, des chenilles et des autres plantes alors on remembre, on utilise des insecticides, des herbicides et on  modifie les terres. Cette sélection de très hauts rendements énergétiques en reproduisant les mêmes conditions partout est un essai de plier l’environnement à la variété sélectionné et une réduction de la variété. On a simplifié les génomes, en oubliant le fonctionnement des écosystèmes. On est arrivé à de grandes interrogations sur le devenir de nos écosystèmes et de notre agriculture. Il faut ré-enseigner les processus d’évolution conjointe des écosystèmes et des sociétés.

Gérard BONHOURE, Inspecteur Général de l’Education Nationale SVT

L’enseignement de l’évolution peut-il nourrir l’éducation au développement durable ?

- Les apports scientifiques : souvent on aborde la biodiversité de façon affective (culpabilisante.. .), il faut sortir de ce système là pour éclairer la lucidité du citoyen pour  approcher la connaissance.
- Les aspects méthodologiques : il faut prendre en compte la complexité par des approches différentes, en y intégrant les notions d’échelle de temps.

Il faut faire attention au terme de « stratégie évolutive » : ce n’est que nous qui nommons le comportement stratégie. Les organismes ont-ils une conscience de la stratégie ? Attention donc aux exemples d’écologie comportementale.

Réponse de Pascal Picq : Le mot de stratégie est mal choisi mais le concept fait partie de l’évolution des comportements.

Prise de notes : Olivier MEGEVAND & Patrice FABRE

 
TB : Religion et croyance

Modérateur : Ciryl DELEY collaborateur à l’Institut d’Etudes Politiques

Intervenants :

Jacques ARNOULD, Théologien, Chargé de mission questions éthiques au Centre National d’Etudes Spatiales
Dominique LECOURT, Professeur de philosophie, Université Paris Diderot (P7), Directeur du centre Georges Canguilhem (P7), Président du Comité d’Ethique de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD)

Jean-Baptiste de PANAFIEU, professeur agrégé de SVT, auteur et scénariste scientifique
Yvon QUINIOU, Philosophe, auteur, Professeur agrégé honoraire de philosophie

Jacques ARNOULD, Théologien, Chargé de mission pour les questions éthiques au CNES

On a très peu parlé de Créationnisme en France, le poids et le point de vue des grandes églises chrétiennes se réduit, avec certaines crispation, alors que les communautés musulmanes s’accroissent. Faut-il dresser de réelles et nettes séparations entre science et croyance ? Public et privé ? Ne pose-t-on pas des lignes Maginot ? Il convient de s’interroger sur une stratégie, une tactique car il faut désormais parler de croisade quant aux attaques perpétrées par les Créationnistes. Pour répondre avec efficacité, il faut savoir ce qu’est la science, comment elle fonctionne. Et de la même façon, il faut l’exiger des gens qui relèvent de la religion et de la croyance qu’ils expliquent leurs méthodes et pas seulement leur contenu. N’oublions pas la dimension politique : le Saint Siège est représenté dans des organisations internationales, c’est de l’action politique avec des actions au niveau de l’Europe. Il est nécessaire d’avancer à découvert dans nos intentions.

Dominique LECOURT, Professeur de Philosophie

En 1982, centenaire de la mort de Darwin, Stephen J.Gould, dénonce le créationnisme américain et son absence de traitement par la France. Le mouvement créationniste a concentré ses attaques sur l’enseignement de la biologie : dès 1925, des fondamentalistes protestants ont demandé et obtenu la suppression de l’enseignement du darwinisme, contraire à la Bible et donc à l’Amérique, dans une douzaine d’états aux USA. A coup de procès ces lois ont été annulées. Cela s’est renouvelé en 1970. Les sciences de la Création font une lecture littérale de la Bible, la Bible est approchée comme une description scientifique de ce qu’il s’est passé, c’est la « Young Earth Theory ». Leur demande ? La « balance treatment », un traitement équilibré des deux théories de Darwin et du créationnisme. Là encore, des lois ont été adoptées dans quelques états : mobilisation et par procès, annulation des lois par la Cour Suprême des Etats-Unis. Les éditeurs, voyant les problèmes n’ont pas mis l’évolution dans les manuels. Depuis la fin des années 70 et les années 90 principalement, c’est l’Intelligent Design, qui fait croisade pour modifier « l’enseignement matérialiste », mais Darwin n’est pas franchement rejeté, on prétend que la théorie formulée n’est pas scientifique jusqu’au bout et, pour combler les lacunes, « God in the gap », il s’agit de mettre Dieu dans les trous de ce qu’on ne peut expliquer. Encore une fois, procès et victoire de Darwin (Mac Cain était un adepte de l’Intelligent Design).

Attention au vocabulaire, il faut se positionner clairement entre une théorie fausse ou une fausse théorie, cette locution revenant à poser la question : est-ce une théorie ? L’ID n’est pas une théorie : si on dit que la théorie est fausse alors c’est qu’on envisage que cela puisse être une théorie scientifique, ce qu’elle n’est pas. C’est du pré-darwinisme, c’est un obstacle épistémologique. Il faut être conscient que ce qui est proposé ce sont des articles de foi, on ne peut pas les réfuter de façon scientifique car l’ID fait intervenir la foi ! Il faut absolument distinguer ce qui admet l’adhésion à une recherche existentielle de ce qui est bâtit sur des faits hors contexte spirituel. Le créationnisme scientifique et l’ID gagnent du terrain en Europe : Benoît XVI recule par rapport à Jean-Paul II. La religion n’est pas la connaissance. Comment démêler les choses ?  Le seul moyen de lutter en fait c’est d’en appeler à La philosophie pour résoudre les conflits.

Yvon QUINIOU, professeur agrégé honoraire de philosophie

Penser une morale sur le terrain du matérialisme : Darwin.

Les croyances métaphysiques précèdent la science. Nombre de ces croyances sont réfutées par la science. Dans quelle mesure la religion est-elle affectée par ce processus destructeur, notamment par la théorie de l’évolution ? Toutes les croyances religieuses doivent-elles être abandonnées ? Cela impose-t-il l’athéisme ? Première réponse claire et sans ambiguïté : toutes les croyances n’ont pas vocation à être détruites par l’évolution.

La filiation de l’homme : « l’homme est un produit de l’évolution de la nature matérielle (c’est un fait) donc il n’en est qu’une forme qu’elle que soit la spécificité de cette forme par rapport aux espèces qui l’ont précédé » (mêmes processus intellectuels, spirituels…). Le parti pris philosophique : l’homme est le résultat le plus complexe, avec un homme au sommet. L’évolution comme toute science est une laïcisation de la nature dont l’homme fait partie.

Toute religion est une conception du monde et de l’homme ; les religions (monothéistes) affirment la transcendance surnaturelle supérieure à la réalité accessible par les sens et par construction intellectuelle. La religion fournit des réponses métaphysiques sur le réel : une origine absolue aux origines du monde, de sa finalité dernière et donc de son sens (préoccupation existentielle) mais la religion – aucune religion – ne s’est contenté d’affirmations métaphysiques, elles se prononcent aussi sur des représentations de la nature et de l’homme, sur la réalité physique, ce dont doit s’occuper les sciences : cosmologie chrétienne, genèse de la nature et de l’homme ! Les religions viennent dans le domaine du physique. Les croyances religieuses entrent directement en compétition avec la science et avec la théorie de l’évolution quand elles se prononcent sur la réalité physique. Entre une croyance et un savoir portant sur le même objet, c’est à la croyance à s’effacer. De fait, l’église catholique a officiellement renoncé au dogme de la Genèse par Jean-Paul II : « La théorie de l’évolution est plus qu’une hypothèse ». Cette renonciation n’est pas encore le cas dans l’Islam. Mais, dans son même discours, Jean-Paul II a, simultanément, restreint la portée de la phrase au corps humain et pas à l’esprit : il y a un saut ontologique entre corps et esprit. Darwin inclut pourtant l’esprit humain comme fonction du corps. Le spiritualisme chrétien réaffirmé apparaît en contradiction avec le matérialisme scientifique. Au niveau de l’aspect surnaturel, aucune science ne se prononce : c’est de la croyance et pas du savoir.

La théorie de l’évolution impose un athéisme méthodologique mais pas athéisme métaphysique (type : « il n’y a pas de Dieu »). Darwin un matérialiste qui ne cesse de se poser des questions métaphysiques.

Jean-Baptiste de PANAFIEU, professeur agrégé de SVT, auteur et scénariste scientifique

Il y a une bataille perdue depuis très longtemps : celle contre le créationnisme modéré en France. La bataille contre le créationnisme dur, est moins grave. La société reconnaît la science comme quelque chose d’important, de crédible mais qui a des représentants dont on ne sait pas s’ils parlent en leur personne ou en tant que scientifique. Par ailleurs, il y a une méconnaissance des méthodes scientifiques. Il existe une confusion entre fait scientifique et opinion.

L’idée d’évolution ne fait pas exception : globalement, en France, tout le monde croit à l’évolution, comme on croit à l’astrologie … Fond irrationnel et scientifiques dans un même moule. Il existe un bilan télévisuel sur l’évolution, l’enseignement ne part pas de rien sur l’évolution, il faut démontrer les mécanismes. L’idée d’évolution ne pose pas problème, or l’inconvénient c’est qu’il s’agit d’opinion et on peut donc y opposer d’autres opinions. L’idée d’évolution va de pair avec un finalisme certain (lamarckien), l’évolution a un but : le but est de s’adapter aux conditions de son milieu et donc l’homme s’est transformé à partir du singe pour répondre à des conditions du milieu. Cette opinion se retrouve partout. Cette acceptation de l’évolution (et ce finalisme) est ce qui est perdu, on fait avec, on ne creuse pas cette question.

Tant qu’il s’agissait d’élèves de culture catholique, pas trop de problème à cause des positions souples de l’église : pas de conflit par juxtaposition des deux croyances. Cette juxtaposition a été la règle pendant des décennies. C’est actuellement différent : la position des différentes religions change et le problème commence à venir des jeunes musulmans. Les cultures familiales sont différentes et les écoles coraniques fournissent des enseignements autres, les refus sont beaucoup plus forts. Pour certain d’entre eux, la stratégie est la même que pour les chrétiens, on juxtapose et ça passe. Pour d’autres, c’est un sujet qui devient politico-religieux et prosélyte : convaincre non sur la position scientifique mais sur le domaine religieux. La croyance prend le pas. Le scepticisme initial est mis à profit ! On peut être sceptique face à des opinions émises par des profs…

Comment faire : il est vain de nier ces problèmes. Il faut sortir un peu de sa stricte position de science et expliquer que le débat n’existe pas sur la réalité mais sur les modes de pensée… Ce sont des niveaux d’affirmation différents, la liaison avec le professeur de philosophie est essentielle.

Prise de notes : Olivier MEGEVAND & Patrice FABRE

 
A : Ecologie comportementale

Modérateur : Annie BOUSQUET, IA-IPR, Académie de Toulouse

Intervenants :
Franck CEZILLY, Professeur à l’Université de Bourgogne, Directeur de l’Institut Buffon ;

Luc-Alain GIRALDEAU, professeur et directeur du département des Sciences Biologiques, Université du Québec – Montréal ;
Tatiana GIRAUD, chargée de Recherches CNRS, Université Paris Sud

Luc Alain GIRALDEAU, Professeur et Directeur du département des Sciences Biologiques.

Écologie comportementale, le dessein apparent : un exemple d’approche expérimentale à travers un modèle économique

Lorsqu’un paléontologue trouve un crâne, à partir de la seule forme des dents, il est capable de proposer un certain nombre d’hypothèses, la forme des dents est suffisante ; il en est de même pour la forme du bec des oiseaux : un bec « fait pour » sonder le sol, sonder les fleurs, déchirer la chair, casser les graines… Ce genre de raisonnement ne choque personne et semble normal.

Et pour le comportement ? Les caractères morpho-anatomiques peuvent avoir évolué… Pas le comportement ? Il serait étonnant que la sélection naturelle agisse sur les structures et pas sur le comportement. Le premier à avoir apporté sa contribution est Charles Darwin, en 1872, dans « The expression of the emotions in man and animals ».

Exemple : le système de l’étourneau.

Une nichée d’étourneau doit être nourrie par ses parents. Les parents doivent parcourir les prairies, ils doivent sonder les sols avec leur bec, mais plus il a de proies dans son bec, il est moins efficace. Alors quelle stratégie adopter : effectuer plusieurs allers-retours avec la perte de temps de trajets mais une plus grande efficacité dans la recherche ou augmenter le nombre de larve dans le bec en diminuant le nombre de trajet avec donc moins de perte de temps de trajet mais avec plus de temps de recherche et moins d’efficacité ? Il faut optimiser le nombre de proie avec un minimum de temps et de trajets, la question est donc : combien de larves à la fois ?

Les paramètres temporels sont le temps de l’aller retour et le temps passé dans la parcelle pour chasser : plus il a de larves et moins il est efficace. L’efficacité est le rapport temps / larve. Il existe un temps et une charge optimale. Si l’évolution a joué, on doit avoir un système proche de l’optimum. Par ailleurs, si la distance entre le nid et la prairie augment, la charge en larves doit aussi augmenter pour rester à un optimum.

Une expérimentation a été menée : des étudiants sont placés dans une tente et donnent des larves à intervalle déterminé (qui augmente en fonction du nombre de larves) à des étourneaux dont le point de nidation est maîtrisé et déplacé par rapport à la tente. On trouve des valeurs identiques aux prévisions. On se rend compte que ce modèle se retrouve pour prévoir toutes les formes de l’exploitation des ressources. Exemple, chez certaines mouches mâles, l’analyse du temps passé à copuler et du temps de gardiennage de la mouche femelle pour être sûr que ce sont ses spermatozoïdes qui seront fécondants, montre des résultats conformes à ce modèle.

Le comportement n’est donc pas différent des autres caractères. L’évolution a optimisé le système…

Complément de Frank CEZILLY : la démarche de l’écologie comportementale est de poser comme présupposé que le comportement est optimal. On cherche à connaître le modèle qui rend compte du caractère optimal de ce comportement. Ce qu’on cherche ici est le meilleur modèle correspondant à ce comportement. C’est visible ici car ce comportement se retrouve dans des groupes dont on ne peut supposer de grande capacité cognitive : les insectes.

Franck CEZILLY, Professeur à l’Université de Bourgogne, Directeur de l’Institut Buffon

Sélection sexuelle et régimes d’appariement : modes d’organisation sociale de la reproduction.

Comment expliquer l’existence du dimorphisme sexuel chez certaines espèces et pas chez d’autres ?

La première réponse apportée par Darwin est celle d’une variante de la sélection naturelle, de l’avantage reproductif de certains individus par rapport aux autres individus de même sexe. L’élément clé du dimorphisme est la variance du succès reproducteur (VSR) de chaque sexe. On constate que le sex-ratio est presque toujours à l’équilibre. En cas de monogamie stricte : VSR mâle = VSR femelle chacun ayant la même probabilité de reproduction. En polygynie : VSR mâle >>> VSR femelle (certains mâles se reproduisent, leur VSR est très important ; les femelles de reproduisent en fonction du nombre de leur œufs. En cas de polyandrie c’est le contraire.

En cas de polygynie, un mâle qui a un avantage sur les autres mâles voit son caractère se développer plus facilement dans la population. Cela constitue une sélection intra-sexuelle des caractères présents chez des mâles et pas présents chez les femelles et les jeunes. Par exemple, les bois des cerfs ne sont pas des armements anti-prédateurs car il n’y a que les mâles qui en ont, et ils ne sont pas les seuls à être des proies : les femelles et les jeunes le sont aussi. Ce sont donc des caractères sélectionnés à travers une compétition par interférence entre mâles : celui qui gagne la femelle a le droit à la reproduction ;  ce sont des organes de combats, de défense, intra-spécifiques. Il existe de la même façon des organes de repérage, de sensibilité…

La sélection peut aussi être intersexuelle, ce sont les caractères ornementaux présents : couleurs vives, le plumage, meilleur cri… Ces caractères sont uniquement présents chez les mâles ou avec une certaine extravagance car les femelles choisissent et donc sélectionnent le caractère. Pourquoi toujours chez les mâles ? La réponse vient du système de production des gamètes, l’anisogamie : les mâles produisent beaucoup de gamètes de faible taille, alors que chez la femelle les gamètes sont de  taille importante avec un faible nombre. Du point de vue génétique, pour distribuer son caractère, il faut se reproduire un maximum de fois : pour la femelle il faut maximiser la qualité des partenaires ; pour le mâle, il faut maximiser le nombre de partenaires. Le taux potentiel de reproduction est élevé chez le mâle et faible chez la femelle. Mais ce n’est pas aussi simple… Le potentiel en polygynie est limité par la capacité des mâles à monopoliser les ressources essentielles aux femelles : la répartition des ressources dans l’espace permet un système de regroupement des femelles dans l’espace avec un coût lié à la vie sociale et un avantage lié à la baisse du risque de la prédation. En fonction de ces paramètres, on trouve une stratégie d’occupation de l’espace par les mâles : selon leur capacité à défendre un territoire, le nombre de femelles est plus important. Mais si les femelles sont dispersées car les ressources sont disséminés, les mâles les plus efficaces, car ne pouvant pas défendre des territoires dont l’extension est très élevée, seront ceux qui auront investi dans le soin au jeune, la protection des femelles…

L’exception la polyandrie chez les jacanas : les femelles entretiennent plusieurs mâles. Elles présentent des caractères liés à un dimorphisme sexuel : couleurs vives, ergots, bataille… chez les femelles. Elles parcourent les mâles de leur territoire, se font féconder, pondent les œufs dans le nid construit pas le male et laissent le mâle soigner les petits. Un exemple qui permet de rétablir l’équilibre ! Il faut toutefois signifier que la prédation des petits dans cette espèce est très importante, les femelles doivent donc pouvoir se reproduire un nombre maximum de fois…

Tatiana GIRAUD, chargée de Recherches CNRS, Université Paris Sud

Évolution de l’altruisme

L’évolution de l’altruisme est un problème évolutif en particulier chez les insectes sociaux : comment un comportement qui fait qu’on ne se reproduit pas a-t-il pu être sélectionné ? L’évolution par sélection naturelle repose sur la variabilité génétique dans une population. Tous les individus ne laissent pas le même nombre de descendants, donc les populations, les espèces évoluent. La plupart du temps, l’évolution est intra-spécifique. Comment un gène rendant stérile l’individu qui le porte peut il se transmettre et donc se répandre dans les générations ? Par définition évolutive : tout ce qui a un coût sur le nombre de descendant est en opposition avec sa probabilité à être transmis.

William HAMILTON, 1964, propose l’altruisme par sélection de parentèle. Les individus qui font cet acte d’altruisme aident les apparentés à se reproduire, donc l’allèle est transmis. Un gène d’altruisme est sélectionné si le bénéfice de l’altruisme est supérieur au coût de l’altruisme. Une fourmi a le choix de former une nouvelle colonie ou de rester au nid pour permettre à sa mère (ou sœur) de faire des descendant : le système le plus efficace pour la transmission de gènes sera sélectionné.

Le rôle de l’haplo-diploïdie n’est pas un facteur explicatif ici : le ratio global de partage des gènes est le même dans ce système-là que dans les diploïdie classiques. La preuve, les rats taupes sont diploïdes et fonctionnent dans un système d’altruisme reproductif.

Les preuves de la sélection par parentèle des marqueurs génétiques : les conflits dans les colonies d’insectes sociaux ; certaines abeilles pondent parfois des œufs en « cachette », ces œufs sont détruits par la sœur ou mère pondeuse. C’est donc bien un élément de sélection naturelle.

L’altruisme sans apparentement : les comportements de surveillance pendant que la colonie chasse (suricates) : voir le dilemme du prisonnier. On promet des peines de prison différentes à deux personnes selon qu’elles avoueront ou non qu’elles ont commis un délit en commun ou non, la trahison est la stratégie la plus efficace mais si on répète le test de nombreuses fois, l’altruisme devient de plus en plus présent par répétition des comportements. Si les comportements ne sont pas reproduits, l’altruisme disparaît. Il existe donc un bénéfice réciproque qui est sous surveillance !

 
A : Problématiques actuelles sur les origines et l'évolution de la lignée humaine

Modérateur : Catherine BOURSE, IA-IPR de SVT, Académie de Rouen

Intervenants :
Evelyne HEYER, professeur au Muséum National d’Histoire Naturelle.

Pascal PICQ, anthropologue au Collège de France.

Evelyne HEYER, professeur au Muséum National d’Histoire Naturelle.

La différence génétique entre l’homme et le chimpanzé est très faible, ceci a été montré à l’issu du séquençage du génome de l’homme (2003) et de celui du Chimpanzé (2005). Il est apparu que très peu de gène sont sous sélection et ceux-ci se réfèrent exclusivement à l’Immunité, à la Reproduction, à l’Olfaction, au Développement précoce.

Concernant l’origine et la divergence génétique de notre espèce, en 1990 on a pu établir à partir de l’étude de l’ADN mitochondrial que l’origine d’Homo sapiens était récente et africaine.

En effet, chez un non africain, on a pu établir que l’ancêtre commun des populations européennes était plus récent que celui d’un africain, ce qui indique une dérive à partir d’une population africaine. Jusqu’alors, il existait deux modèles quant à l’origine de l’espèce Homo sapiens : le modèle du « multi régionalisme » qui proposait que l’apparition se soit faite à partir des erectus sur site mais avec un minimum d’échange génétique et le modèle « Out of Africa » prônant une émergence unique et africaine de l’espèce avec un remplacement progressif par migration.

Les données phylogénétiques mitochondriales plaident en faveur du modèle « Out of Africa » car elles conduisent à un âge pour l’apparition de l’espèce Homo sapiens d’au plus 200 000 ans alors que la validation de l’hypothèse du multi régionalisme impliquerait un âge d’environ 2 Ma. Il est vrai que certaines parties de l’ADN mitochondrial n’ont intrinsèquement pas le même taux de mutation (1 zone à haut taux de mutation) mais après calibrage (avec le chimpanzé) toutes les données convergent vers un âge de 150000 ans environ.

D’autres travaux ont permis d’établir qu’il y avait peu de différence entre les populations d’homo sapiens, seulement au plus 15 % de variabilité génétique et qu’au sein d’une même population on avait 85% de variabilité génétique. Ceci est du à l’aspect récent de l’apparition de l’espèce et aux réguliers échanges entre populations. Un tel constat amène à la réflexion suivante que si une grande catastrophe venait à faire disparaître les différentes populations humaines à l’exception d’une seule, la variabilité intra-populationnelle de 85 % assurerait une biodiversité suffisante pour reconstruire l’espèce.

Il y a donc peu de structuration géographique du point de vue de la différence génétique même s’il est possible, en combinant beaucoup d’informations différentes, de retracer l’origine géographique de telle ou telle population.

Pour quelques gènes sous sélection (part de facteurs sociaux et culturels), on observe des différences fortes entre continents ou populations. Il en est ainsi pour des gènes impliqués dans la couleur de la peau (10 gènes sous sélection) ou encore le gène de la lactase où nous avons un fort effet de sélection bio-culturelle. (Mutation du gène en Europe du Nord et dans les populations Nomades d’Afrique mais les mutations sont différentes). Pour ces gènes sous sélection, la variabilité entre populations monte à 70%-80%.

A la question de savoir si l’on doit considérer l’homme de Neandertal comme une espèce à part ou une sous-espèce, les travaux sur l’ADN nucléaire de Neandertal de l’automne 2007 sont clairs : ils témoignent d’une divergence de 500 000 ans soit bien avant l’apparition d’Homo sapiens. Pour autant l’on peut avoir une affection particulière pour cet homme et en faire une sous-espèce en voyant en lui un sapiens comme nous, dans ce sens où il fit preuve d’un culte certain des morts. En revanche il est bien une espèce à part entière si l’on se fonde sur les données génétiques (pas de brassage génétique, au plus 1% !)

Pascal PICQ, anthropologue au Collège de France.

Comme l’a exposé Guillaume Lecointre, l’espèce doit s’entendre comme un flux continu d’individus, elle a valeur d’entre-nœud dans un arbre phylogénétique. Concernant la relation Neandertal / Sapiens, 4 arguments paléoanthropologiques plaident en faveur d’une différence spécifique. La divergence de 500 000 ans, les caractères crâniens de Neandertal, une spéciation géographique liée à la glaciation, la contemporanéité au Proche-Orient entre les deux qui ne s’accompagna pas clairement d’une altération morphologique.

Si l’on regarde bien, il a fallu attendre 1990 pour avoir une définition biologique du genre Homo alors que jusque là la définition était purement culturelle. Ainsi, au Proche-Orient on recense une même culture (le Moustérien) mais deux espèces au sens des scientifiques, une espèce au sens des philosophes. Il ya dans cette confusion une cause affective.

Il en est de même dans la difficulté à accepter notre condition… de singe. L’homme ne descend pas du singe, nous sommes des singes (certaines civilisations d’ailleurs (Japon) vénèrent spontanément et culturellement les singes). En 1871, déjà Darwin pressentait les relations de parenté homme/grands singes et avait déjà proposé une hypothèse de l’origine africaine de l’Homme (Afrique berceau des grands-singes). Il n’est alors pas question d’admettre ceci dans la société bien pensante de l’époque. Pourtant ces relations de parenté n’ont pas changé, ce qui a changé c’est notre façon de les percevoir, de les interpréter.

 On connaît aujourd’hui 2 fossiles Orrorin et Toumaï qui sont les premiers représentants de la « lignée humaine » après le DAC (Dernier Ancêtre Commun), ils vécurent dans des milieux forestiers. La bipédie (ou plutôt devrait-on dire les bipédies) existe de longue date chez les hominidés. Il s’agit d’une exaptation, c’est à dire une commodité qui pour une raison vraisemblablement sociale se développa en tant que caractère adaptatif (sélectionné). Homo sapiens est la seule espèce actuelle d’homme et quand on regarde la diversité fossile des Hominines groupe très récent au demeurant, on est frappé par son ampleur d’autrefois. Cette perte de diversité est d’ailleurs marqué dans tout le groupe des Hominoïdes, qui fut un groupe dominant il y a 25 Ma mais qui peut être considéré aujourd’hui comme en voie d’extinction.

On présente souvent et à tort l’homme comme un individu néoténique (cf. « l’homme pourrait être le descendant néoténique d’un animal qui aurait conservé à l’âge adulte des traits que l’on trouve aussi chez les jeunes Chimpanzés ou Bonobo »). La Néoténie n’est pas un résultat de l’évolution mais un processus. La comparaison des caractères crâniens de jeune de chimpanzé et de jeune d’homme, que l’on fait souvent pour montrer la persistance chez l’homme de caractères de juvénile de chimpanzé a cette erreur grossière qu’elle tend à indiquer que l’on utiliserait comme profil d’ancêtre commun, un animal qui ressemblerait au chimpanzé alors qu’il n’en est rien. Il est évident que des phénomènes d’hétérochronie sont à l’origine des caractères de l’homme mais elles se définissent dans une relation d’ancêtre à descendant et pas entre deux espèces actuelles. De même dans la définition des caractères dérivés propres à l’homme, on présente l’émail fin comme un état dérivé par rapport à l’émail épais des grands singes auquel on octroie l’état ancestral. Or il n’en est rien, cet émail épais constitue un état dérivé par rapport à l’émail fin dont nous disposons. Il y a dans l’appréhension des caractères de l’homme, une vision parfois tronquée inhérente à l’imaginaire culturel et historique. La polarisation des caractères ne pourra véritablement être faite tant que l’on n’aura pas de fossile et en nombre suffisants dans la fourchette 7 – 10 Ma.

Prise de notes : Olivier MEGEVAND

 
A : Enseigner une théorie scientifique

Modérateur : Emilien-Pierre PETIT, IA-IPR de SVT, Académie de Martinique.

Intervenants :
Corinne FORTIN, professeur de SVT, chercheur associé à l’institut national de recherche pédagogique - ENS Cachan (UMR STEF).

Guillaume LECOINTRE, chercheur systématicien, professeur au Muséum National d’Histoire Naturelle, directeur du département Systématique & Evolution, directeur de l’école doctorale sciences de la nature et de l’homme.
Emilien-Pierre PETIT, IA-IPR de SVT, Académie de Martinique

Essai de définition d’une théorie

Une théorie souvent associé à un auteur, c’est un essai, une tentative d’explication du monde. Elle  s’inscrit dans un contexte historique et culturel, cette influence s’exerce aussi sur les limites de l’époque de la théorie. Une théorie se doit de proposer un énoncé universel, de permettre de prédire des résultats lesquels seront corroborés ou infirmés par l’expérimentation. Le raisonnement se fait par hypothèses et utilise les principes de causalité et de déterminisme, il aboutit à l’établissement de lois, de règles générales. Une théorie doit pouvoir être réfutée si de nouveaux constats viennent en contradiction avec elle. La pratique scientifique cherche à multiplier les preuves. La théorie fait abstraction des croyances et elle n’a pas pour fonction de les nier, c’est en dehors de son champ d’action. Ce sont deux domaines différents. La théorie de l’Evolution présente une conception matérialiste de l’homme, comme un produit de l’évolution.

Les obstacles auxquels se confrontent cette théorie :
- La recherche de spirituel par les élèves : les faits sont certes indiscutables mais ils ne parlent pas d’eux-mêmes, l’interprétation des faits est le lieu des débats.
- La dimension temporelle : les temps longs sont difficilement perceptibles.
- Les notions de parenté : confusion entre parenté évolutive (entre les espèces) alors que le sens commun fait appel à la parenté intra-spécifique.
- L’histoire de la construction d’une théorie peut aussi aider à comprendre la théorie : les homologies ne constituent pas une question simple, elles peuvent changer selon les états des connaissances.

D’autres questions restent ouvertes :
- Il n’existe pas une théorie unique de l’évolution et les discussions entre « spécialistes » ne facilitent pas la perception pour les « néophytes ».
- La valeur prédictive de la théorie de l’évolution n’est pas très élevée : les mécanismes sont connus mais les résultats sont imprévisibles.

Il convient donc, pour augmenter la perception de cette théorie de distinguer les spécificités de la démarche propres à la biologie au regard des autres disciplines

Guillaume LECOINTRE, chercheur systématicien, professeur au MNHN.

L’Évolution faits et théories.

Pour cette théorie, ni spéculation ni dogme. Une théorie sert de grand cadre explicatif qui fédère des faits, des explications, des hypothèses… Avec deux grands régimes de preuves :

La part hypothético-déductive dans laquelle des lois et des prémices permettant de conclure : cet ensemble fonctionne sur des mécanismes évolutifs. Ce qui peut faire office de loi, c’est la variation et la sélection des variants qui valent à tous les niveaux d’évolution. Le vivant se définit par son instabilité. Le vivant devrait être défini à partir de ce concept : le vivant c’est ce qui est sélectionnable. L’autre partie étant le mode historique : la phylogénie. La question : « qui partage quoi avec qui » ? Permet d’informer sur les états ancestraux, cela s’apparente au régime de preuve des historiens. Les éléments de preuves de l’histoire sont les mêmes que les éléments de preuve de la théorie de l’Evolution. Et à l’argument « on n’est pas allé voir donc on ne sait pas », on peut répondre qu’il y a une multitude de choses que l’on n’est pas allé voir mais que l’on sait quand même.

Les brouillages du statut des théories scientifiques :

« Le darwinisme n’est qu’une théorie » : on n’oppose pas les faits et la théorie. La théorie n’est pas une élucubration et l’opposition « fait = incontestable et « théorie = spéculation » ne reflète pas la réalité de l’organisation de ces concepts : les faits et la théorie s’interpénètrent. La théorie permet de rendre compte de la cohérence des faits, de mettre des faits en connexion, d’assurer de la cohérence. Si cette théorie  a été choisie c’est parce que c’est celle qui assure la plus grande cohérence entre les faits. Pour appréhender un fait, on fait appel à des connaissances et des théories, un fait s’appréhende à partir d’un cadre. « Une théorie sans faits n’est qu’une fantaisie et des faits sans théorie ne sont que chaos » (Charles Otis Whitman). Faits et théorie ne sont pas dissociables.

L’exemple classique est la répartition des fossiles d’animaux et de plantes en Amérique du Sud et en Afrique au Trias. C’est le fait. Deux théorie s’affrontent : la théorie de la Dérive des continents de Wegener et la théorie de la fixité des continents et pour faire coïncider les faits, dans cette théorie, il faut supposer l’existence de ponts continentaux. Or il n’existe aucune trace de ces ponts au fond de l’Atlantique, on entre dans des éléments non parcimonieux… Alors qu’on connait des arguments pour la théorie de la dérive de continents. On choisit la théorie la plus parcimonieuse. Cette parcimonie est-elle réelle ? C’est l’observateur qui décide de la parcimonie, l’Evolution (ou toute autre mécanisme naturel) n’a pas à être parcimonieuse. Les arbres phylogénétiques ne font que dire qui partage quoi avec qui et c’est à travers le cadre de la théorie de l’évolution qu’on analyse le partage des éléments communs. Ce qui est partagé est initié par un ancêtre commun. La théorie permet de transformer cet arbre en processus d’évolution.

Corinne FORTIN, professeur de SVT, chercheur à l’INRP.

Représentation des élèves et transmission des connaissances

Il existe une interaction entre les représentations des élèves sur l’histoire du vivant et la transmission des connaissances sur l’évolution. Il existe 5 types de représentations des élèves sur l’histoire du vivant :

1. La représentation pseudo-évolutionniste : les élèves reconnaissent l’origine commune, les évolutions possibles et les extinctions, mais cela reste une représentation de l’histoire du vivant. Cette histoire n’est pas explicative.

2. Le transmutationnisme : il existe un ancêtre commun, des transformations mais pas d’extinctions.les espèces se transforment en d’autres espèces. C’est le cas classique des images d’enchaînement des espèces qui viennent les unes des autres. Aucun processus d’extinction. Le vivant se développe en permanence vers de nouvelles formes.

3. La représentation non évolutionniste : dans cette acception, chaque organisme est issu d’origine différente des autres, tous les groupes sont présents dès le début de la vie et disparaissent totalement ou partiellement grâce aux transformations : ce sont les idées de lignée des équidés,  de lignée humaine…

4. Le créationniste : C’est la même conception que la précédente mais avec une explication religieuse à la source de la Création et pas ou très peu d’évolution (de très petites modifications).

5. Le concordat ou la conciliation de la croyance et la représentation évolutive : l’idée d’évolution est déjà dans le Coran, Dieu a créé la vie et les modifications pour modifier la nature.

L’idée de transformation est acceptée.

La cause de la transformation est l’adaptation : par métamorphose (le têtard et la grenouille), sous l’action d’agents mutagènes qui font les modifications évolutives.

La parenté fait obstacle avec origine commune partagée

Quelques pistes pour résoudre les conflits et modifier les représentations :

Distinguer fait brut et fait scientifique : le fait brut, c’est celui qu’on peut observer ; le fait scientifique est celui qui est analysé. Exemple : le nombre de phalènes blanches et noires est le fait brut, leur accès à la reproduction différentielle au cours des générations par prédation est le fait scientifique, c’est la lecture explicative du fait brut.

Réfuter le fixisme : il faut étudier les arguments présentés par le fixisme et en faire un débat contradictoire avec l’évolutionnisme pour montrer la pertinence de la théorie de l’Evolution.

Il faut enfin donner une vraie place à l’enseignement des théories en science (théorie cellulaire, théorie de l’Evolution, théorie de l’hérédité, théorie de la tectonique des plaques) et discuter de la notion de théorie dans le cadre de l’histoire des sciences. Tout en rappelant le fait brut et le fait scientifique : voir une cellule, voir un crossing-over : on voit des formes et, à travers un cadre théorique, on les analyse et on leur donne du sens.

Prise de notes : Patrice FABRE

 
C : Idéologie de l'enseignement de l'Évolution pour un enseignement explicite du contour des sciences

Guillaume LECOINTRE, Chercheur systématicien, Professeur au Muséum d’Histoire Naturelle Directeur du département Systématique & Évolution, Directeur de l’Ecole Doctorale Sciences de la Nature et de l’Homme

Qu’appelle-t-on « Evolution » ? Si on réalisait un micro-trottoir, voici les idées qui ressortiraient :
C’est un processus par lequel les espèces se transforment.
C’est une théorie générale de la biologie.
C’est le déroulement historique des formes de la vie à la surface de la planète, un scénario.
C’est un arbre qui établit les relations d’apparentement entre espèces.
C’est la marche vers le progrès.
Pourquoi des pans entiers de notre société ont ils besoin de nier une théorie scientifique ? Et pourquoi celle-là en particulier ?

Dès Darwin, sont posées :

La variabilité au sein des espèces, c’est-à-dire l’aptitude naturelle à varier. Ce qui caractérise une espèce c’est sa variation dans le temps présent et dans le temps/

La sélectionnabilité, l’aptitude naturelle à être sélectionné (héritabilité des traits). Que ce soit en horticulture ou en agriculture, l’homme utilise ce trait depuis des centaines d’années, les espèces sont sélectionnables.

Les attributs du vivant semblent s’organiser de façon emboitées : ceux qui ont des doigts ont des membres, ceux qui ont des membres ont des vertèbres, ceux qui ont des vertèbres ont une mâchoire.

Si on sort une espèce de son milieu, soit elle ne s’adapte pas et disparaît soit elle pullule. Le potentiel à la pullulation existe pour toutes les espèces or, dans un milieu naturel – non contrôlé par l’homme – il  existe un équilibre et une diversité donc, chaque espèce est un facteur de sélection à l’égard des autres et l’existence de chaque espèce est le fruit de ce qui est toléré par tous les facteurs biotiques et abiotiques : c’est la sélection naturelle qu’on aurait du appeler « succès reproductif différentiel ».  Les individus se succèdent dans le temps, les variants les plus en adéquation avec le milieu transmettent plus leurs caractères. Le mot « évolution » ne figure pas dans l’édition de Darwin de  1859, il arrive plus tard. La sélection naturelle n’est pas une affaire de destin individuel mais de fréquence populationnelle.

Dans ce processus, certains évènements constituent des coupures qui empêchent les individus de se croiser ensemble : le problème de la notion d’espèce est d’arriver à mettre des mots sur un flux générationnel divergent. L’espèce est le point de rupture d’un flux générationnel.

Les conditions du milieu conditionnant le succès reproductif, et en ne sachant pas ce que seront,  demain,  les conditions du milieu, il n’y a donc pas de destin, de finalisme.  Or ça, c’est contradictoire avec nos conceptions classiques, nos habitudes de prédictibilité : l’absence de destin n’est pas rassurante pour les populations. L’attitude spontanée est de demander d’être rassuré alors que ce n’est pas la fonction de la science.

 
Qu’appelle-t-on Créationnisme ?

Au sens large, philosophique, il existerait une identité créationniste à l’origine de la matière. La source de toute matière aurait été créée par une entité supérieure. Cette conception faisant intervenir une cause « extra » ou « supra » naturelle, s’oppose au matérialisme (existence de la matière de façon indépendante de toute intervention supérieure) et ce sens là n’est pas celui sur lequel les sciences peuvent statuer. La science n’a pas pour mission de se situer sur le sur ce terrain matérialiste philosophique

Au sens restreint, le Créationnisme est la négation de la théorie de l’Evolution ou la prétention à une théorie scientifique de remplacement, le « Créationnisme scientifique ». Il s’agit là d’une intrusion métaphysique (ou religieuse) dans le domaine scientifique. Les différents types de Créationnisme :

Les Créationnismes intrusifs :

Nier la science (Harun Yahya) : il n’y a pas d’Evolution et à preuve, dans le livre sont présentée des photographies comparées entre des fossiles et organismes actuels, dont la « ressemblance » « montre » que ce sont en fait les mêmes organismes et qu’il n’y a eu ni évolution, ni extinction… las, cet ouvrage est entaché de nombreuses erreurs et on y rend Darwin responsable de l’eugénisme hitlérien, de tous les malheurs du monde et de l’effondrement des Twin Towers !

Mimer la science (H.Morris et D.Gish) : présenter une pseudo-démarche scientifique pour construire une autre histoire de la vie dans laquelle l’élément indubitable est la Création.

Plier la science (P.Johnson) : réintroduire de la transcendance en tant qu’explication scientifique, c’est la base de l’ « Intelligent Design ». La cause unique omnisciente et omnipotente. La transcendance est évoquée pour tout expliquer, l’argumentaire favori est la merveilleuse adéquation entre structure et fonction (exemple favori : l’œil, organe si bien adapté à sa fonction ne peut pas être le fruit d’un hasard évolutif, il est bien la marque d’une Intention particulière, d’un But final : la vision).

Le spiritualisme englobant :

Science et théologie sont complémentaires et convergents, ceci pouvant aller jusqu’à l’incorporation de spiritualité dans la démarche scientifique. UIP, JTF, Vatican… sont des organisations qui travaillent au brouillage des cartes entre la démarche scientifique et la coordination avec la métaphysique : la science n’a pas à discuter de ce à quoi on croit. Ils convoquent donc des « scientifiques » de manière collective pour justifier leurs conceptions.

Le Créationnisme est polymorphe, souvent davantage philosophique, plier la science à des domaines qui ne relèvent pas de sa compétence et ce dernier est d’autant plus dangereux qu’il peut apparaître souvent comme un rempart au Créationnisme nihiliste. Il y a une évolution… Elle va quelque part ! C’est toutefois antiévolutionniste !
Les idéologies qui utilisent les sciences à d’autres fins qu’elles mêmes
- Visées mercantiles : les crèmes à ADN végétal, le dentifrice…
- Visées politique : Lyssenko, Himmler…
- Visées religieuses : science créationniste, plier les sciences au besoin religieux propre.

Pourquoi utiliser la science ? Elle a un prestige symbolique, mais peu de matériel, peu de moyens de défense si ce n’est symbolique, en effet un tribunal ne peut pas juger des faits scientifiques ! Beaucoup d’acteurs ont intérêt à utiliser le vernis de la science et c’est dès 1969 qu’on est passé d’un Créationnisme négateur à du mimétisme scientifique.

La science comme méthode

La réponse à ces incursions est d’expliciter la démarche, la méthode scientifique, c’est la boîte à outils pour enseigner l’évolution. Il nous faut donner aux élèves l’explicitation du contrat déontologique que les scientifiques ont passé avec la science. Ce « contrat » existe depuis le XVIIIe siècle :

On n’explique la nature qu’à partir des ressources de la nature (ex : Diderot et l’expérience de Buffon).

L’effort expérimental n’est concevable que si on exclut les entités transcendantales, immatérielles…

Le but est de chercher à produire des connaissances objectives, c’est-à-dire vérifiable par des observateurs indépendants en dépit des dimensions sociales et historiques de l’activité des scientifiques. Il s’agit de pouvoir corroborer, totalement indépendamment et dans une dimension collective la construction de ces savoirs.

L’arbitre est l’expérience sur le monde réel.

Ce qui conditionne la science comme méthode ; les 4 piliers sans lesquels il ne peut y avoir de science :

- PILIER 1 : le scepticisme initial sur les faits et leur interprétation. Exemple, en 1981, le programme « scientifique » créationniste annonce ce qu’il faut démontrer, ce n’est pas de la science, on peut annoncer des recherche, des hypothèses mais pas les conclusions auxquelles on doit aboutir. Il faut être sceptique sur ce qu’on fait : la découverte scientifique est souvent une surprise et cette surprise doit être mise à l’épreuve d’autant plus solidement car les autres chercheurs vont l’attaquer ! Cette mise à l’épreuve est fondamentale. On ne programme pas ce qu’on doit trouver, si on cherche des réponses par des expérimentations c’est qu’on doute.

- PILIER 2 : le réalisme. Il existe un monde qui ne dépend pas de la perception et des idées que nous en avons. Le monde réel existe en dehors de mon approche.

- PILIER 3 : tout ce que la science appréhende du monde réel est matière ou propriété de celle-ci. C’est du matérialisme méthodologique. Ne pas confondre avec le matérialisme vulgaire (les scientifiques ne sont tournés que vers les biens matériels), ontologique, idéologique, réductionniste… Ce dont les créationnistes accusent les scientifiques. L’Intelligent Design annonce clairement vouloir « faire échec au matérialisme scientifique et à son héritage destructeur sur le plan moral, culturel et politique et le remplacer par la vision théiste qui veut que la nature et les êtres humains ont été créés par Dieu. »

- PILIER 4 : la rationalité = logique + parcimonie. La logique organise des tests d’hypothèses, la parcimonie permet de choisir une théorie, celle qui fait appel au moins de facteurs possibles.

 
Identifier les confusions à l’œuvre

Confusion entre valeurs et faits : faire dire aux sciences ce qu’elles ne disent pas. Exemple, l’Intelligent Design : « 80% des Américains refusent que soit enseigné à l’école publique que : la vie d’un vers de terre n’a pas plus de valeur que la vie d’un homme ». Il ne s’agit pas de valeur morale mais de dire que la vie de l’animal et la vie de l’homme sont à aborder avec les mêmes méthodes. Dire « que l’homme est un singe », « un animal » ne passe pas si on ne dit pas dans quel contexte on se place, le contexte culturel distingue l’homme des animaux (par son esprit…. Il faut poser des préalables méthodologiques, il faut contextualiser : l’homme est un singe car il a un seul os frontal, on définit le « singe » comme un animal qui n’a qu’un seul os frontal (entre autres critères). L’homme n’a qu’un os frontal, il appartient donc au groupe des singes. Pour arriver à cette conclusion on compare le crâne de l’homme et du singe au crâne du chien et d’autres animaux. Il convient de s’attacher à ce qui est observable. Cette observation est fondamentale : on se doit de séparer le champ des valeurs et le champ des faits. Cette séparation du champ des valeurs et des faits pour fondamentale qu’elle soit, n’a pas été chose aisée ; il n’y a qu’à se référer à l’histoire des sciences pour s’en convaincre.

Associer l’échelle évolutionniste et la notion de progrès entraîne une confusion avec une échelle de valeurs : Le progrès, c’est de la valeur, l’évolution c’est du fait. L’échelle des valeurs, c’est de mieux en mieux. Les organismes sont issus l’un de l’autre et, au bout, il y a l’homme, on fait une assimilation qui ne doit pas être ! La logique créationniste permet dans ce cas de faire dire aux sciences ce qu’elles ne disent pas pour mieux les annexer.

Confusion amoralisme et immoralisme des méthodes scientifique  : « les sciences sont immorale » ? Non, elles sont amorales. L’amoralisme : ce n’est pas prendre pour base une morale comme champ d’action. Les méthodes scientifiques sont hors champ de la morale, c’est amoral. Par contre le contrôle social de l’activité des scientifiques s’inscrit dans une morale dont le cadre est fixé par la société dans laquelle cette science se développe. Il ne s’agit donc pas de confondre les méthodes de la science et l’organisation de ces méthodes qui elle s’inscrit dans le champ des lois éthiques et donc le moralisme. Exemple : je compare les séquences de la morue et du St Pierre ; pour cela je dois anesthésier la morue pour effectuer le prélèvement sanguin ou cellulaire parce que c’est lié à des lois qui luttent contre la cruauté chez les animaux. Il est vrai que cette étape de la démarche, l’anesthésie, n’apparaîtra pas dans l’article qui parle de ce séquençage car cela n’apporte rien à la découverte faite. Autre exemple : la bombe atomique. Ce n’est pas un scientifique seul (ou un groupe de scientifiques) qui est allé dans le désert et a créé la bombe, c’est un ensemble social autour d’un projet dans un contexte historique précis : une lutte contre l’ennemi qui cherche lui aussi à se doter d’une arme très puissante avant les autres… La bombe atomique a été financée, par qui ? C’est une attaque classique : la science est mauvaise, il faut remettre de la morale dans cet ensemble… immoral !

Confusion entre le résultat scientifique acquis collectivement et les options personnelles métaphysiques d’un chercheur : la manipulation du statut des théories. La science st un universaliste, non dogmatique avec un cadre collectif épistémologique (le scepticisme, le matérialisme méthodologique, le réalisme et la  neutralité métaphysique) et politique (laïcité institutionnelle, neutralité morale et politique). Le cadre personnel est de la responsabilité individuelle : un cadre métaphysique personnel mais ce n’est pas une connaissance objective. La neutralité métaphysique personnelle ne doit pas être publique : le scientifique a un devoir de réserve (neutralité morale et politique) ! Le cadre personnel existe toujours mais il reste personnel.

Le rapport entre science et philosophie

Le matérialisme philosophique a permis d’émanciper la science, mais la science ne doit rien à aucune philosophie : elle ne peut produire « sur commande ». Exemple du racisme, l’argumentaire avancé est qu’on ne peut pas être raciste car les sciences ont dit qu’il n’y avait pas de races. Et alors ? En quoi cela empêche-t-il e racisme ? Et si les sciences avaient démontré qu’il existe des races, devrait-on pour autant justifier le racisme ? Le racisme est un problème moral et politique, ce n’est pas un problème scientifique. La science ne peut opérer qu’une contrainte passive, libre à toute philosophie d’en tenir compte ou non.

La réception des critiques non scientifiques de l’Évolution dépend largement de ce qu’on sait des méthodes et raisonnements de la science. Pour lutter contre l’impact que pourraient avoir ces arguments antiévolutionnistes, il faut un enseignement explicite du contour méthodologique des sciences, il faut expliciter le pourquoi des  expériences : on doute, alors on cherche…

Prise de notes : O.Mégevand - P.Fabre

 
TB : Gérer les ressources, énergie et matériaux, former des géo-scientifiques, prendre de décisions

Modérateur : Guy MENANT, Inspecteur Général de l’Education Nationale
Bernadette MERENNE-SHOUMAKER, Professeure de Géographie, Université de Liège

Mieux évaluer les ressources

Les ressources fossiles : mieux connaître les ressources implique de réfléchir à distinguer ressource et réserve. Les réserves sont des ressources identifiées et exploitables. Elles sont souvent mal connues ce sont toujours des estimations. Elles dépendent des prix et sont dépendantes des stratégiques. La réserve est géopolitique. Les ressources sont aussi mal connues à cause des progrès technologique, des économies d’énergie possible à réaliser. Evaluer c’est aussi discuter du choix des échelles spatiales et temporelles : travailler du niveau local, au niveau mondial, sur quel temps ? Les incertitudes varient avec ces échelles. Tout n’a pas été prospecté de la même manière, on ne connaît pas les ressources car elles ne sont pas toujours dites pour des questions de stratégie.

L’énergie se répartit en quatre secteurs de consommation : la production d’électricité, le résidentiel / tertiaire, l’industrie et le transport.

Les ressources renouvelables : quelles énergies : fossile, renouvelables ?

Les économies d’énergie issues des progrès technologiques et des nouveaux comportements : de nouvelles technologies (huiles lourdes, courants marins et vagues, hydrogène, pile à combustible, fusion thermonucléaire, réacteurs nucléaire de 3ème et 4ème génération), de nouvelles façon de consommer, de nouvelles technique qui permettront d’économiser…

L’énergie issue de pistes technologiques nouvelles : malgré tout les énergies renouvelables resteront limitées : le solaire en premier, le vent et les courants marins ne permettront pas beaucoup plus de production et les ressources agricoles ne sont pas une bonne idée actuellement…
Mieux les gérer en prenant en compte quatre contraintes

La croissance de la demande : prendre en compte les contraintes socio-économiques, l’inévitable croissance des pays émergents et des pays du Sud. Entre 2005 et 2020, la consommation énergétique devrait augmenter avec les demandes croissantes de l’Asie (Chine) et de l’Amérique Latine et passer de 11,5 à 14,9Gtep (giga tonnes équivalent pétrole).

La réduction des gaz à effet de serre : réduire les impacts environnementaux, la contrainte majeure est le réchauffement climatique (qui pénalise les énergies fossiles que sont le charbon, le pétrole et le  gaz…) mais attention, il existe d’autres pollutions de l’eau, de l’air, des sols : les déchets nucléaires,  les affaissements de terrain, les risques et les accidents, les marées noires, les barrages…

Des coûts et des prix en hausse : la confrontation offre et demande mais aussi l’emprise de cartels et des distributeurs, la fiscalité des Etats… La hausse des prix est inévitable car les techniques sont de plus en plus sophistiquées, l’incertitude est générale, les stratégies et spéculations des acteurs réelles… Et les coûts externes, ceux supportés par la collectivité, il faudra bien les intégrer aussi un jour.

Des jeux d’acteurs de plus en plus complexes : les pouvoirs sont inégaux entre acteurs, il faut les responsabiliser, à tous les niveaux, états et organismes internationaux, entreprises et citoyens. Gérer les ressources c’est aussi des efforts financiers et politiques pour former des scientifiques

Pierre MAURIAUD, Ecole Nationale Supérieur Pétrole et Moteurs, Chef du Département Formation chez Total

Les grandes sociétés pétrolières sont l’ARAMCO, NIOC (Iran), Inoc (Irak), KPC (Koweït), PDV (Venezuela) ADNOC (UAE), NOC (Libye). Ce sont des sociétés d’Etat, elles ont des réserves incroyables et les gèrent très bien. Leur seule demande est de la technologie pour améliorer leur production, l’extraction et c’est la demande majoritaire, des personnes à très haute technologie en géosciences et en ingénierie. Total vit de cette expertise. L’activité pétrolière c’est 10%.

Histoire d’une exploitation :

- De l’évaluation de la découverte, obtention des droits, décision de développement au début de la  production, il faut 10 ans
- La production dure entre 20 et 30 ans.
- La fermeture de la production et l’abandon du site dure de 1 à 3 ans.
- La première étape est pilotée par les géologues de terrain : découverte et évaluation du bassin (sa découverte, son potentiel…), évaluation du prospect (modélisation du réservoir, de ses capacités… Ce sont des probabilité de succès), évaluation du réservoir (type de fluide, ses données de perméabilité…), évaluer la production (produire le mieux possible, le plus possible sans abîmer le réservoir). Il faut des géologues pour cela.

Perspectives d’exploitations de nouveaux types sur le long terme : réservoir de hautes pressions hautes températures, forages en zones arctique, de zones gazeuses, stocker le CO2, utiliser enfin le solaire  avec des cellules photovoltaïques pas chères pour inonder la planète…

Jack TESTARD, Chef de Service en Ressources Minière BRGM, Docteur en pétrographie

Les ressources sont inégalement réparties : quelques pays détiennent la majorité de ces ressources (les pays varient selon la ressource). Un écart est prévu entre les gisements disponibles et les besoins en métaux car les étapes des exploitations minières sont cycliques. Une phase de recherche avec des projets qui avancent et nouveaux engins, de nouvelles techniques permet une importante production. La phase suivante est celle des acquisitions et fusion de sociétés. Au bout d’un moment, on commence à manquer de métaux, on recommence donc le cycle.

Les besoins en métaux sont différents selon l’état de développement du pays. Les métaux de haute technologie sont le lithium, le cobalt, le tantale, le germanium… Alors que des pays peu développés auront besoin de fer, de chrome, de manganèse.

Christian N’GO, Chimiste, Physique Nucléaire et Appliquée, Directeur Scientifique du Haut Commissaire à l’Énergie Atomique

État des lieux : la population mondiale augmente et les pays en voie de développement aussi, le monde est dominé par les combustibles fossiles or ces éléments s’épuisent et ont un effet sur le changement climatique. Les énergies renouvelables représentent 0,5%. Le charbon est la source d’énergie présente en plus grande quantité mais c’est aussi le plus polluant.

Il faut faire des choix raisonnables : une maison zéro énergie à 100km du travail, ce n’est pas rentable pour l’environnement !

Il faut mieux utiliser le renouvelable mais pas n’importe comment, juste pour remplacer du pétrole. Il faut former des gens pour installer des énergies renouvelables, cela a un coût, il va falloir investir,  et pour chaque pays les énergies à développer ne sont pas les mêmes.

En France, 90% de la production électrique se fait sans CO2 il reste 10% à changer.

Le transport : véhicule hybride, véhicules rechargeables (gain d’énergie fossiles possible 30%), biocarburants de 2ème génération (biomasse  marine) gain possible 20%.

Les bâtiments : isolation (par l’extérieur !), économies, solaire thermique, pompes à chaleur… gain de l’ordre d’un facteur 4.

En moyenne, le gain envisageable de CO2 est de l’ordre d’un facteur 2.

L’énergie n‘est pas chère, au baril, l’eau minérale est plus chère que le pétrole ! Elle va devenir plus chère. Il faut donc économiser avec la technologie et l‘éducation, utiliser de la multi énergie (un bateau à moteur et à voile, si le vent est favorable on déplie la voile et on économise).

Les pouvoirs publics peuvent influer ces consommations par les taxes.

P.Fabre & O.Mégevand

 
TB : Nourrir les hommes en 2050

Modérateur : Gérard DOREL

Full security, avoir assez à manger.

Jean-Paul CHARVET, Géographe, Professeur à Paris X Nanterre,

Depuis 2006, les prix des principales commodités agricoles ont augmenté sur les marchés mondiaux. Arrivons-nous à certaines limites de la planète ? Il a déjà existé deux époques pendant lesquelles la population de la Terre a doublé : entre 1810 et 1920 on est passé de 1 à 2 milliards. Le mode d’adaptation de l’agriculture a été la première révolution agricole, la mise en culture des jachères et le défrichage de nouveaux territoires immenses en Amérique du Sud et en Australie. La réponse à la demande a été compensée par les augmentations de superficie. Ensuite entre 1960 et 2000, on est passé de 3 à 6 milliards d’individus : on a un peu gagné de nouvelles terres cultivées passant de 1500 à 1600 millions d’hectare, soit une stabilité des surfaces agricoles, malgré de nombreux défrichements (au détriment des forêts tropicales) dans certaines régions, mais on perd par l’étalement urbain. La production agricole suit plus ou moins (mis à part 250 millions d’humains qui n’ont pas assez à manger et 2 milliards qui ont des carences), la réponse majoritaire a été d’augmenter considérablement les rendements par l’utilisation d’engrais, de produits phytosanitaires, de semences sélectionnées à haut potentiel, en consommant plus d’énergie, plus d’eau.

Le problème actuel est de produire plus mais en ménageant les ressources. Le défi lancé aux agriculteurs de la planète entière est de produire plus. Actuellement 2 milliards de tonnes de céréales sont produites et permettent de nourrir plus ou moins 6 milliards d’hommes, ce sont donc 330kg de céréales par personne et par an. Pour maintenir le niveau actuel, il faudra produire 1 milliard de tonnes en plus. Les États-Unis produisent 330 millions de tonnes… Il faut trouver le potentiel de production de trois fois les États-Unis et ce sans pour autant, améliorer les conditions actuelle d’inégalité d’accès à l’alimentation.

Michel GRIFFON, ANR, Centre de Coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement (CIRAD)

Une population en augmentation qui a besoin de plus défricher pour assurer son alimentation, si elle rencontre des limites se met à souffrir de disette : soit elle migre soit c’est la famine et la mort, soit la technologie améliore les rendements. L’Europe a connu les périodes de disette et de famine. En effet, sa surface agricole est limitée. Alors elle a résolu son problème par les grandes immigrations vers les Amériques… Ce ne sont que des révolutions techniques qui ont permis de combler les lacunes. Jusqu’il y a une dizaine d’année, l’idée de base était que le rendement allait augmenter grâce à la technique or ce n’est pas le cas, les rendements plafonnent. La question se pose à nouveau :

- La hausse des prix de l‘énergie rend le labour de plus en plus difficile, ⅓ des zones cultivables françaises ne sont plus labourées.
- L’engrais azoté devient plus cher car il requiert de l’énergie pour être fabriqué. Les phosphates en fortes concentrations dans les gisements deviennent rares et gourmands en pétrole (il y a beaucoup de transport).
- Les bases de la fertilité des sols sont menacées : les traitements chimiques anti-micro-organismes sont de moins en moins efficaces car les espèces s’adaptent. Les molécules sont inefficaces tous les 3 ans et leur élaboration coûte entre 200 et 300 millions.

Le climat qui change : avec un climat de plus en plus méditerranéen au nord alors que dans les très hautes latitudes, les augmentations de températures libèrent des zones considérables bientôt cultivables. Ainsi de nouvelles terres apparaissent en Sibérie, ce qui à terme va changer la donne économique et géopolitique. Mais globalement les surfaces ne peuvent s’accroître démesurément sinon c’est la fin des grandes forêts équatoriales, il faudra trouver d’autres solutions.

Les engrais azotés sont utilisés en moitié au mieux car il y a de nombreuses pertes azotées.

La planète est grande mais quand on enlève toutes les zones inexploitables (eau, déserts chauds et froids…), les zones cultivables sont plus restreintes. Si on veut faire des biocarburants, il faut au moins deux planètes pour produire selon les besoins. Les limites sont proches, il faut trouver des solutions nouvelles.

Francis DELPEUCH, Directeur de recherche IRD, spécialiste nutrition publique

Le constat aujourd’hui est que les disponibilités ont toujours été supérieures aux besoins depuis le lendemain de la 2ème guerre mondiale (malgré les famines et les carences diverses). Il n’y a pas d’équation type entre production alimentaire et besoins. Au Niger, les plus fortes carences ont été dans les plus grandes régions productrices. L’augmentation de production agricole ne règlera pas les problèmes de l’alimentation des hommes. Des facteurs structurels, sont en cause et la production de biocarburants est de l’ordre du crime contre l’humanité ! La transition nutritionnelle : obésité, surpoids et autres problèmes de malbouffe ne sont pas l’apanage des seuls pays développés, les pays en développement ont aussi des problèmes de surpoids (ce sont même eux qui ont le plus de cas). Au Burkina Faso, 30% de surpoids. Origine ? Cela est du au changement de régime alimentaire qui, à base de légumes est remplacé par des viandes, des graisses et une surconsommation énergétique trop importante (produits alimentaires manufacturés, produits laitiers animaux et boissons sucrées). Ce régime alimentaire occidental était soutenable à l’échelle de quelques pays mais pas au niveau de la planète.

Anne-Yvonne LE DAIN, ingénieur Agronome, Directrice de recherche au CIRAD, déléguée aux évaluations, vice-présidente de la région Languedoc-Roussillon

C’est un débat difficile car l’échelle est lointaine. Il ne faut pas se poser la question de ce qui se passera dans 40 ans mais ce qui va se passer pendant 40 ans. Ce problème nous allons le léguer aux générations futures.

Question des eaux : boire, irriguer, elle a des coûts de traitement, d’exploitation, des risques d’inondation et de sécheresse, des questions de salinité (dessaler l’eau de mer a un coût pétrolier), les eaux fossiles vont disparaître car elles ne se reforment pas. Les questions transfrontalières se posent : nombre de fleuves appartiennent à des pays différents, si cela ne pose pas de problème majeur dans des espaces pacifiés, la problématique est autre quand les conflits sont déjà présents pour d’autres raisons… L’eau est une notion qui touche à la sécurité, au conflit ; c’est une question géopolitique, géostratégique.

Les énergies locales, nationales et  transnationales sont aussi des données avec des enjeux stratégiques. Nous sommes premiers en technologie et en production d’énergie nucléaire mais pour les énergies renouvelables, nous sommes en retard par rapport aux pays du nord. Le soutien de l’ADEME sur les installations individuelle est indispensable car on se rend compte que les éoliennes c’est grand et ça se voit dans le paysage : plus personne n’en veut. Alors un parc éolien en mer ? Pour quel rendement, quel coût ? Il faut plus développer le solaire, notamment dans les pays du sud. Pourquoi n’est-ce pas encore en train de se faire ? Géostratégie encore… 

Les transports : transport en commun, en vélo, à pied ? Les trains régionaux ont disparu, les lignes de tramways ont été démantelées… Lors de leur disparition, c’était bien, cela a servi notre économie… Question de choix encore : le fret ferroviaire va se faire entre la France et l’Italie alors que le trajet le plus utilisé (et de loin) est entre la France et l’Espagne. De même pour les ports maritimes de fret, ils sont tous tournés vers l’Atlantiques, aucun vers la Méditerranée, malgré les échanges importants… Géostratégie ! Le débat est entre la science, la politique et l’argent.

Les ressources sont limitées. Faut-il consommer de la même matière ? Faut-il ajouter la production d’énergie à l’alimentation pour l’agriculture ?

Modérateur : Gérard DOREL

Il serait souhaitable de consommer différemment, mais expliquez cela aux chinois et indiens qui commencent à peine à y avoir accès… Le changement d’alimentation est un moyen envisageable de réguler les besoins en augmentant la consommation de légumes et féculents lesquels sont moins gourmands en impact environnemental que l’alimentation carnée. Les premiers à convaincre ce sont les sociétés occidentales.

§ Augmenter les rendements sans labours, en modérant la chimie, la consommation d’énergie, d’eau, en gérant la diversité et en augmentant la qualité alimentaire et en assurant la gestion des paysages : tout le monde cherche la solution à cette équation à priori impossible. Il faut inventer une agriculture inscrite dans les mécanismes écologiques. On pourrait utiliser ces mécanismes écologiques : la formation des sols, les technologies génétiques… La 3ème révolution agricole, une révolution écologique.

P.Fabre & O.Mégevand

 
A : Doutes scientifiques et certitude des préjugés

Modérateur : Gérard BONHOURE
Patrick de WEVER, Professeur au MNHN,

La genèse de cet atelier a été motivée par l’ambiance actuelle dans laquelle s’inscrit une poussée du Créationnisme. Or par définition la science est l’enseignement du doute. Dans un contexte empreint de catastrophisme ambiant autour du réchauffement climatique, où l’on attire l’attention sur le recul des glaciers en Europe, on oublie que le cœur des Alpes a enregistré des fluctuations climatiques autrement marquées : le massif du Cervin, et particulièrement les vallées au pied de ce sommet, montre l’enregistrement de 2 niveaux à quelques m au dessus l’un de l’autre de l’avancée et du recul de glacier. La datation de ces paléo moraines indique qu’avant la Renaissance, s’étendait au pied du Cervin de vastes prairies d’alpage et de pâtures. Dès la Renaissance et l’entrée dans le petit âge glaciaire, s’ensuivit l’installation des glaciers aujourd’hui en recul qui isolèrent linguistiquement les provinces allemaniques et italiennes autour du Cervin. Ceux-ci n’avaient donc pas toujours existé. Dans ce contexte médiatique du réchauffement climatique, on oublie qu’est observé une augmentation de 2,8% du volume total du glacier en antarctique. De même, il convient de bien se souvenir de l’étymologie du nom du Groenland aujourd’hui englacé et qui prouve qu’il n’en fut pas toujours ainsi (Greenland = « Terre verte »).

De la même façon le terme de « biodiversité » est à tort galvaudé, il devient le prétexte souvent à la réintroduction d’espèces (exemple de l’ours dans les Pyrénées qui est un ours Slovène et non « des Pyrénées »). Pour autant la biodiversité n’est pas restituée car les espèces introduites sont différentes. On ne fait que rétablir un équilibre dans l’écosystème. Il convient donc de ne point asséner de certitudes et d’avoir un regard critique. On admet qu’il y a 1,7 à 1,8 millions d’espèces décrites, mais ce chiffre est l’arbre qui cache la forêt. On fait l’hypothèse qu’il y aurait 7 millions d’espèces, un nombre plausible serait de 7 à 15 millions, un nombre possible serait de 3 à 100 millions ! Ce qui est important, ce n’est pas le chiffre c’est la tendance ! La biodiversité est souvent présentée par une courbe pour traduire son évolution, ses pertes. Tout dépend de la courbe prise en compte. Est-ce celle des familles marines, des familles terrestres ? La perte de biodiversité lors de la crise ordovicienne est réelle pour les familles marines, mais la courbe des familles terrestres n’enregistre pas de crise à l’Ordovicien : et pour cause il n’y a encore personne sur les terres ! Il existe une multitude de courbes exposant l’évolution de la biodiversité et qui sont fonction des niveaux taxinomiques. Il convient d’être vigilant à l’origine des sources et aux éventuelles incohérences. Ainsi dans les manuels de TS, à propos de l’évolution de la biodiversité au cours des temps géologiques, il y a incohérence entre la courbe présentée (familles marines) où chaque crise est illustrée par des échantillons d’ordre taxinomique différents de la famille et/ou par des représentants de groupes terrestres !

D’Orbigny définit en son temps les 43 stratotypes de l’échelle stratigraphique mais celle-ci est en perpétuelle reconsidération. Pendant longtemps on y caractérisa les stratotypes de couche comme une vision du temps où les bancs représentaient quelques mois à années et les interbancs comme représentant 10000 ans. Mais l’épaisseur n’est en fait pas fonction du temps. Dans une telle séquence, le banc représentait un accident. On préfère aujourd’hui considérer la notion de stratotype de limite (= accident).

Ainsi pour bien faire appréhender le fait qu’il ne peut y avoir de certitude en science et le danger des certitudes, on peut prendre l’exemple de la limite Permien/Trias dont le stratotype de limite est à Meishan en Chine et est repéré par l’apparition du conodonte Parvus sp. La même limite peut être observé en Italie du Nord (Dolomites) et ailleurs mais la référence internationale est bien à Meishan où les autorités chinoises érigèrent un monument commémoratif et une sculpture géante du conodonte pour bien spécifier qu’elles détenaient la référence internationale. Cette limite n’est pas un endroit visible sur une coupe, c’est une convention (aucune variation du faciès à Meishan n’est visible à l’œil nu sur une carotte de roche, seule l’observation en lame mince montre ou non le conodonte conventionnel Parvus). Or à 20km du site, des recherches mirent en évidence que Parvus apparaît en fait quelques mètres (8 ?) plus bas. Devant un tel malaise, on fit preuve de mauvaise volonté et on déclara le fossile comme Praeparvus. La définition du stratotype de Meishan comme d’autres fut l’aboutissement d’un processus de discussion et de vote où les plus nombreux l’ont emporté. Où est dans ce cas l’argument scientifique qui doit prévaloir ?

Philippe JANVIER, Directeur de recherche au CNRS
Robert BARBAULT, Professeur au MNHN

L’espérance de vie d’une espèce s’échelonne entre 1 et 10 millions d’années avec une moyenne de 5 millions d’années. Ce qui signifie la disparition d’une espèce par siècle. Ainsi si 270 espèces s’éteignent en 100 ans, la perte devient très significative. Peut-on parler d’extinction au sens des crises biologiques  pour donner alors crédit à la 6ème crise ? Il n’en demeure pas moins que cette baisse d’effectif change déjà radicalement la face de l’écosystème. Pour prendre en compte l’effet des changements climatiques sur la biodiversité, il faut une longue période d’observation (que nous n’avons guère) pour voir la tendance. Ce problème d’échelle de temps est à l’origine même des difficultés qu’il y a à communiquer autour de ces phénomènes avec le citoyen lambda. Il ne doit pas y avoir d’obsession d’une 6ème crise car il existe des pulsations inévitables du tissu du vivant et que l’on se heurte à ce problème des échelles de temps.

Prenons le cas de la déforestation de la forêt tropicale à Singapour. Il est possible d’effectuer une comparaison en terme d’impact sur la biodiversité puisque l’on dispose d’un recensement précis des espèces (établi lors de l’époque du colonialisme anglais) avant la déforestation massive et après. Il apparaît que toutes les espèces ne réagissent pas de la même façon (-10 % pour les Amphibiens et -40% pour les Mammifères). Plus « l’île forestière » est petite plus les espèces disparaissent vite et plus les grandes espèces sont touchées.

Le vivant est un monde diversifié car il s’inscrit dans un monde de changement. En ce sens la biodiversité est par essence changeante. La notion de biodiversité n’a de sens que par cette inscription dans un monde changeant depuis le début et non par ce qu’elle sert à certains (médias) pour jouer du pathos et de l’autoflagellation.

Discussion autour de la notion du doute et des préjugés. Quelle nécessité y a-t-il d’enseigner le doute scientifique ?

Modérateur : Gérard BONHOURE

Réflexion épistémologique

Le doute peut venir du fait de l’absence de source dans les documents, les chiffres présentés. Il convient donc d’être intransigeant sur la citation des sources (en TPE par exemple, mettre l’accent sur les sources et même la date car la science est en évolution ; sur la pertinence des sources (Wikipedia n’est pas Le courrier du CNRS !) ; sur les conditions d’obtention des chiffres, résultats… Il ne faut pas perdre de vue que toutes les données, les observations sont aussi biaisées par le contexte de pensée du moment. Une nouvelle pensée dans la science amène à voir des choses nouvelles que l’on ne voyait pas jusqu’alors. Pour autant il ne faut pas non plus tomber dans l’excès de l’expression permanente des doutes sinon le message deviendrait inaudible, il faut parvenir à extraire la certitude du moment parmi le bruit de fond. Il ne faut pas non plus, autour d’un débat de chiffres, occulter le fond. Dans le cas de la disparition d’espèce, le nombre n’est en lui-même pas important, l’altération des réseaux complexes entre espèces est en revanche bien réelle.

Se pose le problème de l’acquisition de la culture scientifique de la Sixième à la Troisième et ce d’autant que le refus de la complexité se manifeste par un rejet violent des élèves. Ainsi appréhender la biodiversité en collège ne pourrait-il pas découler du constat que l’organisme humain est une biodiversité à lui tout seul (nombre de bactéries hébergées supérieur au nombre de cellules) ?

Le doute et la certitude des préjugés découle d’une affaire de communication

On est dans des systèmes non linéaires car complexes. Cette complexité installe inévitablement le doute et des incertitudes. Il convient donc de rester simple et clair. Le croisement disciplinaire est aussi un moyen d’évacuer le doute. La nécessité de la remise en question trouve son illustration dans l’approche de l’histoire des sciences. La communication nécessite une autosurveillance permanente car l’aisance sur un sujet amène  parfois à être tenté de dépasser le fait et à trancher avec son ressenti malgré toute la rigueur apportée à sa présentation. Il n’y a pas d’idée à faire passer mais tout au contraire des outils, des méthodes pour que se forge l’idée ou pour éveiller le doute.

Doit-on enseigner la culture du doute dans l’enseignement scientifique ?

A l’intérieur de l’enseignement scientifique, il convient d’éviter les certitudes définitives. En s’astreignant à une entrée méthodologique plus qu’à des contenus, on peut permettre cette culture du doute. Attention cependant à ne pas trop en faire dans cette culture du doute car de la culture du doute à l’équation « doute = faux » il n’y a qu’un pas et il peut être vite franchi dans les esprits.

Intervention de M. Jean Dercourt surpris de la teneur des discussions

Cette culture du doute permanent comme mode de pensée scientifique est-elle légitime, doit-elle être ? Car en fait la Science n’a –t’elle pas progressé par paliers de consensus plus ou moins longs quand on regarde son histoire ? C’est bien le consensus durable et des révolutions conceptuelles apériodiques qui font la Science. « Ceci est juste à l’heure où je le dis, mais n’est pas juste pour l’Éternité ! C’est çà qui distingue la Science de la Religion ! »

Réaction de M Gérard Bonhoure au propos de Mr Jean Dercourt

Il est vrai qu’on enseigne un état de la Science mais l’évolution des consensus naît des doutes et des incertitudes. A partir du moment où on enseigne la complexité honnêtement et en donnant les moyens de s’interroger sur la validité des choses afin d’en tirer les tenants et les aboutissants, on fait de l’éducation.

En somme, d’un point de vue épistémologique il faut apprendre à questionner des évidences apparentes, la valeur des chiffres... Pour quoi ? Pour qui ? Une remise en question certes, mais éviter le doute permanent. La Science est faite d’alternances de consensus/avancées apériodiques : l’histoire des sciences en est la preuve. Cette remise en question passe par la mise en partition d’une pratique des doutes et des incertitudes, le croisement disciplinaire. Il faut savoir communiquer face à la diversité des attentes et du public, cela impose de savoir adapter son discours. Enseigner une science honnête implique d’éduquer simultanément le citoyen à décider par lui-même, agir et assumer ses responsabilités. Enseigner la Science, c’est enseigner des incertitudes en amont et une imprévisibilité en aval.

O.Mégevand

A : Gérer les cycles biogéochimiques dans les écosystèmes terrestres

Modérateur, Paul ARNOULD, Professeur ENS-LSH Lyon, Géographe et naturaliste.

La gestion des agro systèmes terrestres

Roland POS, Directeur de recherche à l’IRD, Président de l’AFES

Le défi à relever est de nourrir 9 milliards d’habitants à l’horizon 2050. Il faudra pour cela trouver de nouvelles terres agricoles, produire sur les terres déjà cultivées et mettre en culture des sols marginaux ; ce dans un contexte où, après les excédents agricoles de l’après guerre, actuellement, on constate certaines tensions sur le marché de l’agriculture qui se traduisent par l’augmentation des prix. A l’échelle locale, il devient important de diminuer l’impact de l‘agriculture sur l‘environnement afin d’augmenter la quantité de nutriments (éléments minéraux) bio disponibles et éviter leur accumulation au sien des écosystèmes, par exemple l’azote. La plante s’alimente en azote à partir d’ammonium, de nitrate mais leur excès dans le sol conduit à des pertes dans l’eau par lessivage des sols, dans l’air sous forme de NO2 et NO (gaz à effet de serre). Les micro-organismes sont en concurrence avec les plantes pour cet approvisionnement et appauvrissent le sol en cet élément.

Les éléments minéraux circulent entre les différents compartiments du système sol plante :

L’eau du sol (lieu ou la plante prélève ces éléments minéraux), les composants minéraux, les organismes vivants du sol, la matière organique (liée à l’activité des organismes). Dans une prairie tout le sol passe dans l‘intestin des vers de terre tous les 10 ans… Ces systèmes ne sont pas fermés :

Prélèvements (fixation de N2, de CO2…) et émission de gaz (O2, CO2, NO, NH4) sont permanents. On peut espérer que la fixation par les végétaux va augmenter afin de prélever les gaz dans l‘atmosphère.

 Apports atmosphériques et anthropiques (organiques ou minéraux). L’exemple des pluies acides est pertinent : on pensait que les forets européennes étaient condamnées par ces pluies acides, elles ne le sont plus un plus actuellement grâce aux efforts consentis par les pays du industrialisés pour réduire les émissions polluantes. De la même façon, les apports atmosphériques sont encore présents car il tombe encore actuellement 10 à 20kg d’azote à l’hectare. Les apports anthropiques se retrouvent aussi par les engrais notamment.

Pertes par érosion et éléments en solution.

Les bases de la gestion des cycles géochimiques :

 Apporter des engrais et des amendements doit être synchrone avec le cycle du végétal : pour que la plante pousse de façon optimale, elle requiert la disponibilité à certains moments des éléments (entre le 2 et 4ème mois). Les éléments peuvent être apportés au sol par minéralisation de la matière organique du sol par les micro-organismes, c’est possible quand les conditions climatiques le permettent (température favorable notamment),  par l’action des symbiotes des racines (alimentation en azote et  phosphore) principalement des champignons (en milieux tropicaux) ; enfin la rhizosphère elle même est capable de dissoudre certains minéraux.

Apporter en bonnes quantités : les éléments ne doivent pas s’accumuler, ni quitter le système sol plante. Il est nécessaire d’ajuster l’offre à la demande (le phosphore migre très rapidement).

Cycles biogéochimiques et anthropisation :

Dans les écosystèmes naturels : peu de sorties, un recyclage important pour les éléments minéraux. Le sol fait la vie et la vie fait le sol, c’est tellement vrai que l’apparition des végétaux sur Terre correspond à l’apparition des sols.

Dans les agrosystèmes (sols cultivés) : l’exportation d’éléments minéraux modifie les conditions chimiques (apports d’amendements et engrais) et entraîne des modifications biologiques avec diminution de la masse et de la biodiversité de la faune, diminution du taux de matière organique.

Évolution de l‘agriculture en Europe et cycles biogéochimiques :
Jusqu’au Moyen-âge, l’agriculture est  peu invasive pour les sols mais présente une faible productivité.
Du Moyen-âge au XVIIIe siècle, les premières carences apparaissent, on charrue, on effectue des rotations de cultures et jachère, on fait les premiers apports de fumier.
De 1800 à 1950, la mécanisation de la culture avec des apports limités d’engrais conduit à l’appauvrissement des sols.
Depuis 1950, les apports d’engrais sont massifs. Il en est de même pour les produits phytosanitaires, créant des problèmes d’accumulation et de transfert entre cycles.

Comment nourrir la planète tout en préservant l’environnement ?

Les engrais, tant organiques que minéraux, sont nécessaires. Il faut mieux gérer les apports pour résoudre les problèmes environnementaux, éviter l‘épuisement des gisements de minéraux et maîtriser les coûts des engrais ce qui est une nécessité pour les agriculteurs. Cela impose de mieux connaître et utiliser la biologie, de plus raisonner dans le cadre des cycles, et d’utiliser les fonctions biologiques, fonctions écosystèmes des sols en tant que systèmes intégrés : chimie, biologie… Les éléments minéraux doivent être intégrés dans le cadre de cycles d’accroissement de la production agricole et s’effectuer en intégrant le fonctionnement biologique du sol. Il faut gérer l’ensemble des cycles de chaque élément et enfin la formation des personnes intervenant dans ce secteur doit intégrer la chimie, la biologie et la technologie.

Les sols et leur environnement

Daniel TESSIER, Directeur de recherche à l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA).

Les milieux et leur occupation au cours de l’histoire

La variété des sols en France est exceptionnelle avec notamment de nombreux limons et argile dans le nord et des sols sur calcaires dans le sud. Les sols sont jeunes et peu épais. La colonisation des terres a commencé relativement tard : les premières implantations (I et IIe siècle) se sont toujours faites sur les sols les plus riches, les plus profonds, les plus légers, les plus faciles à cultiver. Les sols plus difficiles ont mis en culture plus tard (Moyen-âge).

La forêt s’est développée au détriment des sols cultivés

Dans les régions de montagne, la surface boisée a doublé entre les années 1800 (15% sous Napoléon Ier) à 35% (en 2000). Dans d’autres pays du monde, ce n’est pas la même chose : le Brésil déboise, l’homme s’installe. Ces zones qui se reboisent sont toutefois des zones difficiles d’accès et de culture. Chaque année, on perd 60000ha de terres cultivable par urbanisation et par implantation d’infrastructures (soit un département tous les 5 ans), c’est le premier facteur de perte de terres cultivables. Les nouvelles forêts sont constituées d’essences à croissance rapide et à fort potentiel de production (résineux), elles remplacent les essences natives (feuillus) et sont utilisées pour le reboisement. Il faut 500l d’eau pour 1kg de matière sèche, si  la production est permanente tout au long de l’année, la demande en eau est supérieure pour les résineux par rapport aux feuillus. La demande en eau des sols cultivés ou en forêts de résineux est de 450mm d’eau annuels or les précipitations sont environ de 600mm d’eau,  on est donc aux limites de rupture. La production de bois de sciage et l‘industrie des essences (chauffage…) peuvent se développer car le bois est présent.

Les pratiques peuvent avoir une influence rapide sur les sols et leur environnement

L’inconvénient, lors d’un nouveau boisement en forêt, reste l‘appauvrissement rapide des sols de forêts car les nitrates partent rapidement des sols or les arbres n’ont pas encore eu le temps de prélever ces éléments (cela demanderait plusieurs années). Par ailleurs, les apports atmosphériques d’azote accentuent l’acidification. A l’opposé, les systèmes cultivés nécessitent des apports organiques : les légumineuses, les céréales prélèvent le phosphore, les chaumes laissés, dans le cas des céréales, restituent au sol le potassium. Ces céréales, légumineuses servent à la nutrition d’animaux dans d’autres régions, après transport sur de longues distances. Ainsi dans ces régions d’élevage, sans culture, comme la Bretagne, les sols ont des teneurs de phosphores trop importants. L’apport est 7 fois plus important que ce que les végétaux peuvent assimiler.

Depuis 50 ans que s’est il passé ? Les haies ont été abattues, on a drainé 30% des sols du territoire français, pour éliminer l‘excès d’eau (en effet, les éléments fins migrent en profondeur, le sol devient boueux et l‘activité biologique diminue ; en drainant, les éléments fins partent et la vie en profondeur augmente) ; on a aussi planté du mais (plate en C3 et pas en C4) espèce tropicale. Enfin on irrigue de façon complémentaire pour attendre de hauts rendements. Les grand sauts technologiques et les travaux d’infrastructure d’après 1950 modifient profondément le sol : la mécanisation remplace la traction animale (le labour est plus profond), le sol est affiné, des plantes allochtones sont adaptées aux zones tempérées, sont aussi introduits des herbicides, fongicides et insecticides de synthèse (DDT et autres, avec une biodégradabilité très aléatoire…). La fertilité des sols devient dépendante de fortes contraintes physico-chimiques (des sols calcaires ou sableux deviennent cultivables).

Quelle a été la part de l’agriculteur par rapport à l’atmosphère ? Le pH a diminué de 1 unité en 70 ans (test INRA sur 42 parcelles). Selon les pratiques on peut améliorer ou dégrader les sols : ex engrais ammoniacaux fait diminuer fortement le pH, à l’opposé les apports basiques (chauler) permettent l’augmentation du pH. Il faut donc être vigilant aux apports, baisser le pH, modifier les échanges. La baisse de pH favorise la perte des éléments minéraux, apporter des éléments basiques permet de mieux fixer ces éléments minéraux dans les sols. Les pratiques : après les pluies d’hiver, en absence de plantes de couvert, le sol est raviné, l’écoulement est important vers les rivières, cela favorise les inondations. Le couvert végétal contribue à retenir cette eau dans les sols.

Comment mieux protéger les sols ? Un exemple, le semis direct (Cerrados)

Les biotopes brésiliens sont le régime des pluies qui sont  abondantes et continues dans l’année. Les biotopes résultant sont le Cerrados (savane arborée, 23% de la surface du pays), l’Amazonie 50%, la forêt Atlantique à l’est et les Composau (sud) et le Pantanal. Le Cerrados est une savane arborée qui va des prairies à la forêt dense. Le gros problème après la mise en culture de ces zones est le ravinement : toutes les conditions sont pourtant réunies pour l’agriculture : conditions physiques favorables, de la pluie, des zones plates… On commence par envoyer les vaches pour débroussailler, puis les cultures arrivent. Au début, il y a eu des problèmes car les cultures n’étaient pas appropriées,  de nombreuses maladies des végétaux ont pu se développer ainsi que les mauvaises herbes.

Une technique qui est plus efficace est le semis direct : on ne laboure plus, on laisse les résidus végétaux sur le sol ou on met un plant de couvert qu’on détruit par herbicide (glyphosate) puis on sème sur ce « paillis ». L’érosion est évitée, l’activité de la faune (vers de terre) est favorisée, mais pour les herbicides, la résistance aux glyphosates apparaît, autre problème, le sol s’acidifie car il n’est pas retourné. Chez nous, le semis direct sur couvent ne fonctionne pas car l’hiver il gèle et les végétaux de surface ne résistent pas, on se retrouve avec des sols quand même dénudés.

Le sol nourrit la population et fournit des matériaux. Le sol participe à la qualité de l‘eau et contrôle l’effet de serre. Il recycle de nombreux éléments chimiques. Les conséquences de la demande alimentaire sur les effets globaux et la pérennité des sols et à évaluer, l’adaptabilité des technologies nouvelles aux contextes locaux sont à l’étude et à valider. Il faut préserver les sols.

Vous avez dit système ? Agro, sylvo, hydro, pédo, éco géo…

Paul ATNOULD, Professeur ENS-LSH Lyon, Géographe et naturaliste

Dans l’enseignement, par rapport aux systèmes biologiques, il est important de faire prendre conscience des interactions entre les différents systèmes. Or ils sont soit enseignés par des disciplines différentes ou ne sont pas enseignés…

Le politico système (élus, fonctionnaire, agents…)

Le juridico système (lois, directives, décrets… français et/ou européens)

Le techno système (ingénierie, filière, processus…)

L’économico système (marché, prix, coût, échange, valeur…)

Le socio système ou anthropo système (public, privé, individu, rapport rural/urbain patrimoine…)

L’écosystème (biotope, biocénose, biomasse, diversité, flux, dynamiques…)

Le géo système (milieu, paysage, territoire, analyse spatiale, échelle, maillage, réseaux…)

Le psycho système (peur, fantasme, sacré, mythique, symbolique, des rêves, de l’imaginaire, les modes…).

Il faut aussi prendre conscience de leur hiérarchie. Lequel est aux commandes ? Souvent, le balancier penche trop d’un côté et donc pas assez équilibré.

Exemple territorial d’intégration des différents systèmes : le bassin potassique alsacien.

Avec la fermeture des mines de potasse, se pose la question de la réhabilitation de ces mines. Le gisement est découvert vers 1910 ; avant la guerre peu d’exploitation. Elle reprend après guerre (20 puits en exploitation dans les années 40, avec 12 à 13000 personnes.

Ce gisement se situe entre forêt Noire et Vosges, au nord de Mulhouse. Ce sont des gisements de potassium et de sodium. L’accord plus ou moins tacite est de ne pas produire de sodium pour ne pas faire concurrence aux acteurs déjà présents sur le marché. Le sodium n’est pas exploité il est stocké en terrils ou envoyé directement dans le Rhin. Ces terrils vont se dissoudre et le sel se retrouver dans les nappes ! L’eau de la ville de Colmar se sale… de même vers Strasbourg. On arrête la mise en terril et on jette le sel directement dans le Rhin lequel va à la mer. Les allemands ne se plaignent pas trop, ils polluent eux aussi, par contre les hollandais râlent : les polders sont suffisamment salés comme ça. Et cela devient un problème entre la France et la Hollande pendant des décennies ! Les communes qui exploitent ces potasses viennent s’implanter dans un espace très rural (et viticole), pour l’exploitation on fait appel à des étrangers (majoritairement des polonais : des catholiques s’installent en pays protestant…), les patrons sont paternalistes et mettent en place des politiques sociales avec de l’habitat ouvrier de qualité. Un ensemble de systèmes complexes (social, économique, politique…) met en place. Les mines ferment…

Reconversion : que vont devenir les gens, les communes, les paysages… Il y a des affaissements du sol du aux galeries creusées, les paysages sont altérés. Une des reconversions est l’écomusée d’Alsace, c’est une muséification des anciennes activités. L’artisanat s’installe…

Ain si, à chaque espace peut se poser la question de la recherche des systèmes intégrés… Le regard doit être ouvert vers plusieurs disciplines et systèmes lors d’une étude d’un élément.

Questions :

La tendance actuelle est, après les avoir effacé de nos campagnes, de replanter des haies ? Est-ce un facteur favorable ?

Certes les haies participent efficacement à la productivité des sols, mais pas d’attitude passéiste : des haies oui, pourquoi pas mais pour quoi faire ?

Tendance aussi : les labels, les produits du terroir, près de chez soi, de saison qui viennent en opposition avec le fait établi de trouver toujours tous les produits, venant des quatre coins du monde. Tendance encore : les jardins potagers.

Les labels, la proximité, les produits de saison issus de techniques de faible rendement (bien que de qualité) sont des éléments qui ne sont pas forcément adaptables pour nourrir l’humanité entière. Ce sont des modes de nutrition de riches. La question du transport est d’un autre ressort, plus liée aux problèmes d’impact  sur l’effet de serre. Pédagogiquement, travailler avec les systèmes revient à décortiquer ces différentes interactions.

En 2050 quel sera le menu ?

On constate notamment en Chine que le régime alimentaire change, la viande se développe. Qu’en sera-t-il après ? On ne sait pas, il faut donc proposer des scénarii : soit de continuum soit de rupture. Chaque système se conçoit dans une perspective de temps et d’espace. Les changements se conçoivent dans cet espace temps, et ces changements pourront-ils se faire de façon douce ou par crise ?

Discussion pédagogique :

Les filières agricoles forment de plus en plus à la gestion de l’environnement mais leurs formations sont peu connues par les secteurs généraux et donc peu d’orientations sont proposées.

Appréhender les systèmes se fait par la pédagogie de projet, mais il existe de nombreux freins à sa mise en œuvre : peu de portes ouvertes, peu de collègues qui veulent s’impliquer ou d’administrations qui aident.

Il est nécessaire pour avancer dans ces démarches de travailler en équipe de plusieurs compétences différentes. Difficulté, les gens ne sont pas prêts…

Aborder des « problèmes » d’environnement peut aussi passer par des jeux de rôle, penser aussi aux contre-pieds possibles, trouver l’avocat du diable.

L’exemple pris peut être local, connu des élèves, impliquant, mais aussi dans un cadre beaucoup plus large, européen. Echanger entre élèves de pays différents sur une thématique précise permet aussi de prendre conscience que les points de vue sont différents, les problématiques aussi.

Conclusion :

Après deux exposés, par des agronomes, concernant le sol et ses caractéristiques et un exposé de systémique (implication des différents systèmes à l’interface de l’agriculture), les points retenus sont :
-  Le défi à relever est d’arriver à nourrir tous les hommes en assurant une gestion des sols.
- Le sol est un système complexe en interaction avec de nombreux autres (politiques, sociaux, écologiques…) entre lesquels s’établissent des échanges nombreux.
- Appréhender cette complexité avec des élèves passe par des approches très pratiques dans le cadre de pédagogie actives, de projets avec études de terrain (quel que soit l’objet choisi, d’un projet d’agenda 21 d’établissement ou de dimension européenne), mises en situation qui font appel à différentes compétences en s’appuyant sur des bases conceptuelle disciplinaires.

P.Fabre

 
C : La Terre solide

Vincent COURTILLOT, Professeur, Université Paris 7, Institut de physique du globe de Paris.

Les risques naturels de la : terre solide sont de quatre ordre : séisme, volcanisme, glissement de terrain et magnétique.
Les séismes :

Lors du séisme d’Izmit, des maisons sont tombées d’autres non. La Turquie, avec la faille nord anatolienne, présente une régularité des localisations des séismes dans la région ce qui permet donc de déterminer les localisations de prochains séismes (sans pouvoir toutefois estimer la date) : le prochain devrait être au sud de la mer de Marmara, non loin d’Istanbul. Comme la majorité des séismes, ceux-ci sont des séismes de frontière de plaque mais il existe des séismes intra plaques, résidus de mouvements passés, ils sont très rares. La magnitude des séismes (échelle ouverte) ne semble pas pouvoir être de plus de 10 car la physique de la Terre ne le permet pas.
Depuis le séisme majeur de Sumatra en décembre 2004 (magnitude 9,3), il y a encore des répliques qui réajustent la faille. Ce séisme a été une vraie surprise car on considérait la zone comme peu risquée, elle est resté bloquée très longtemps (4cm/an et bloquée pendant 200 ans), avant ce séisme, il fallait donc assurer 16m de compression. Dès lors ce séisme a permis de reconsidérer la perception que l’on devait avoir des failles du même type où s’observe une faible convergence par rapport au contexte environnant : ce sont des faille à gros risque. Les effets de ce séisme ont été très importants : l’île de Simulue a été basculée. La zone pour laquelle une alerte au tsunami est possible se situe à +1h du lieu d’origine du tsunami, ce délai inclus le temps des calculs, d’avertissement des autorités et de mise en sécurité des personnes. Pour prévoir un minimum les séismes, il faut pouvoir trouver une pseudo période, temps de répétition des séismes, il donc est fondamental de connaître la l’historique des événements dans la région. Dans le cas de Sumatra : rien dans la région depuis 120 ans ! Et le précédent événement est lié au volcanisme (1883). Sur cette même faille, les zones actuellement à risque (car bloquées) sont la chaîne indo birmane et Sumatra ouest. Récemment, il y a eu un gros tremblement de terre dans cette dernière zone mais sans tsunami.
La Réunion (océan Indien), Les Antilles et les rivages de la Méditerranée sont les zones à risque tsunami en France. La bordure Méditerranée étant le moins probable. Le réseau de surveillance français s’appelle Géoscope. Un séisme récent a eu lieu non loin de l’île des Saintes, le 21 novembre 2004, de magnitude 6,3. Les répliques ont été importantes, il y en a encore et il a provoqué un tsunami de 1m de haut environ.


Risques volcaniques :
Les coulées de laves (Hawaï, Réunion) sont peu dangereuses, sauf à aller s’y jeter dedans.
Les types suivants sont à risque :

Les dégazages : Lac Nyos (Cameroun), en 1984, des émanations d’oxydes de carbone (CO) ont fait 1700 morts.

Les chutes de cendres : Pinatubo, 1991.

Les coulées pyroclastiques : Montagne Pelée, 1902, 28000 morts.

Les lahars : Nevado del Ruiz, 1985, 23000 morts.

Les tsunamis


Et en France ?
Les Antilles, rencontre des plaques Caraïbes et Atlantique, avec une subduction à 20mm/an. En 1976 et 1977, la Soufrière, entre en éruption phréatique de 26 explosions avec 800000m3 expulsés. Les précédentes éruptions datent de 1797-98, 1836-37 et 1856. La soufrière est en éruption depuis 1995, les ⅔ de l’île sont fermés, les populations ont été évacuées, la sismicité est active avec des déstabilisations du dôme. En Guadeloupe, plusieurs éruptions : 1735, 1818, 1843 (magnitude IX avec tsunami), 1851, 1897, 2004. L’explosion de la Montagne Pelée a détruit St Pierre de Martinique en 1902 faisant 29000 morts. Un volcan désormais calme depuis 70 ans… Il se pourrait que la Martinique se soit façonnée par de nombreuses déstabilisations de terrains. On trouve en mer de nombreux champs de débris âgés de 100000 ans (25km3), 25000 et 9000 ans. Ces éléments se retrouvent aussi pour les autres îles des Antilles.
L’ensemble des îles de la Réunion, Maurice, Maldives, Laccadive forment une chaîne de monts plus ou moins sous-marins, qui a commencé par le désastre des trapps du Deccan. La réunion est une île âgée de 2MA, le Piton de la Fournaise reste tout le temps actif avec une éruption tous les 6 mois en moyenne (25 coulées depuis 10 ans). L’événement important a été l’effondrement du plancher du Dolomieu en avril 2007. C’est un volcan dont on arrive à bien prévoir les éruptions grâce à la mise en place de longue date de nombreux capteurs.

P.Fabre & O.Mégevand

 
C : Mégapôles et environnements

Elisabeth DORIER-APPRIL, Géographe, Professeure à l’université de Provence

La moitié de la population mondiale vit en milieu urbain. Les villes augmentent avec  la démographie. Après ce stade, la démographie commencera à diminuer car la ville croît par la natalité, pas par l’immigration vers la vile. La population urbaine des pays pauvres tend à devenir majoritaire (on définit une mégapole si > 8 millions d’habitants) : Tokyo, Mexico, New York, Sao Polo, Bombay, Delhi, Calcutta, Buenos-Aires… Parmi les 50 villes de plus de 5 millions d’habitants, 35 sont dans le Sud et 10% de la population mondiale vit dans des villes de plus de 10 millions d’habitants. Soit entre 310 à 420 millions d’habitants. 22% de la population urbaine mondiale est concentrée dans des villes de 1 à 5 millions d’habitants. 53% de la population mondiale est constituée d’urbains, en considérant un habitat dans des villes d’au moins 500000 habitants. Un autre aspect de la mégalopole est l’enchaînement continue de plusieurs grandes villes, exemple sur le golfe de Guinée avec Abidjan (3,5m d’habitants) + Acuva (2,5m) + Lomme (>1m) + Cotonou (1,5m) qui sont un ensemble de villes à très fortes densité reliées entre elles sur plus de 100km de large.

Une telle concentration est peut-être un bienfait pour la durabilité de l’environnement car une ville c’est petit. Les villes recouvrent en effet 3% de la surface terrestre ; la demande en eau est relativement faible (uniquement de l‘eau pour la consommation, alors que l’utilisation la plus gourmande en eau est l‘agriculture). Mais la ville est un espace de ségrégation et d’inégalité : à la pauvreté sociale s’ajoute la pauvreté spatiale avec des quartiers de misère et d’autres de grand confort.

Dans les villes du sud, l’étalement urbain se fait de façon non maîtrisée, notamment sur des sites à risques : urbanisation de zones arides ou semi-arides, de zones littorales donc inondables où les déchets servent de remblais, de zones à risques géomorphologiques (glissements de terrain…), l’important étant la proximité des emplois. Les dangers crées par l’urbanisation sont de plusieurs ordres : la déprise agricole car le prix du foncier augmente pour la ville excluant les productions loin des villes qui se trouvent parfois sur les seules zones riches pour l’agriculture. De même, en zone littorale, l’extraction de sable pour la construction augmente l’érosion côtière tout en limitant la durabilité des constructions car le sable est salé. D’autres problèmes sont liés à l’étalement de quartiers « riches » avec de nombreux végétaux et des villas climatisées en zone désertique (New Cairo, Egypte). Les zones pauvres, sont elles, en auto construction (donc avec un important étalement), non viabilisé, sans réseau et n’existent même pas sur les cartes.

L’eau et la ville. Bien souvent, plus que la pénurie c’est le trop d’eau qui est à redouter, par exemple, Canton et Hong-Kong (Chine) sont construites sur un delta dans lequel, est rejeté en plus un volume d’eau usées très important, il est passé de 2,5 à 4 milliards de tonnes d’eau entre 1990 et 2000, dont 60% sont déversés sans traitement. L’eau est de mauvaise qualité, il manque donc de l’eau propre. Ces « nouvelles » villes sont des espaces d’investissement pour les entreprises de traitement de l’eau (Véolia…). Un problème d’alimentation en eau : Dakar. Au début de l’extension de la vile, on pompe dans la nappe locale, mais on la surexploite vite, l’eau salée remonte, il faut donc aller chercher de l‘eau douce beaucoup plus loin, à 250-300km dans le lac de Guiers par ailleurs alimenté par les eaux de lessivage des zones agricoles du secteur (pollution) Par ailleurs, si les réseaux de distribution d’eau sont hors d’usage (exemple Brazzaville et Kinshasa, Congo), l’eau est marchandisée à travers de forages privés ainsi, l’eau pour les pauvres est plus chère (2 à 3 fois) que pour les autres.

Les transports : « la dépendance automobile ». Ho-Chin-Minh-Ville, multiplication par trois des véhicules entre 1992 et 2002 dont 2,5 millions de motos pour 3,7 millions d’habitants, mais la consommation globale de carburant reste très inférieure (9 fois moins) à celle des grandes villes européennes et des Etats-Unis, en revanche, les véhicules sont très polluants, la plupart étant hors normes de pollution… et le tout au détriment des transports en commun.

La plupart des habitants urbains vivent dans des conditions de sous équipement mais de faible coût environnemental : peu de déchets, d’utilisation d’eau… qu’en sera-t-il si leur style de vie rejoint le notre ?

P.Fabre & O.Mégevand

 
TB : Gérer les ressources : eau ; sol ; énergie

Modérateur Gérard BONHOURE (Inspecteur général de l’Éducation Nationale)

De la ressource à la pauvreté en eau.

Jean-Paul BRAVARD, Professeur à l’université de Lyon, géographe

L’agriculture est le grand consommateur d’eau, les usages domestiques sont très peu importants et la consommation pour l’industrie est stabilisée. Les pays du sud prélèvent massivement pour leur agriculture en développement (à faible valeur ajoutée) alors que les pays du nord prélèvent pour la production industrielle. Dans les pays en faible développement la majorité de l’eau est à usage domestique non qu’ils consomment beaucoup mais qu’ils n’ont aucune consommation pour l’industrie ou l’agriculture. On a défini le Water Poverty Index (WPI), qui permet de classer les pays selon leur risque de pénurie en eau. Cinq groupes de pays ont été créés : la grande pauvreté (globalement en Afrique), la pauvreté (Afrique, Asie), la pauvreté moyenne (Amérique du Sud et Moyen-Orient), des zones à risques plus faibles (Russie et Amérique du Nord) et un niveau bas de risque (Europe, Amérique du Nord). Les prélèvements d’eau des rivières, en Europe, Amérique du Nord et Russie concernent moins de 25% de l’eau disponible mais il faudrait aussi prendre en compte la qualité de l’eau (pollutions par nitrates,  pesticides…) et les variations d’écoulement d’eau dans les conditions climatiques à venir.

 
Le sol, une ressource négligée pourtant essentielle.

Christian WALTER, Professeur Agrocampus, Rennes

Souvent d’épaisseur assez faible (1 à 2m chez nous), le sol constitue une ressource peu renouvelable, à l’interface entre l’extérieur et l’intérieur des dynamiques terrestres. Ils sont à l’origine de 90 % de la production alimentaire, présentent une importance culturelle et ont un rôle reconnu dans la société (prix, pollution…) mais pas dans l’enseignement. Pourquoi parler du sol ? Pour la sécurité alimentaire, la production de carbone renouvelable, leur rôle dans l’effet de serre, pour les ressources naturelles, la préservation de ces ressources et la maîtrise des risques, entre autre.

Le sol constitue un défi alimentaire pour les prochaines décennies alors que la surface des terres cultivées baisse fortement. Actuellement, ce sont 1500 millions d’hectare de surfaces cultivées présentes sur Terre, les ressources pour de possibles extension sont en Amérique du Sud (à la place de la forêt équatoriale) et aux hautes latitudes nord (Russie, Amérique du Nord) par récupération de sols actuellement soumis à des climats trop froids pour être utilisés et qui deviendraient exploitables lors d’un réchauffement climatique. Mais attention, les sols stockent aussi du carbone (2000G tonnes), et en plus grande quantité que la végétation (1250G tonnes).

Enfin, le sol est vivant : il contient une biomasse importante, des millions d’espèces. Les sols qui se dégradent, à cause de l’érosion, de la salinité, de l’acidification, perdent de la matière organique, se compactent, sont plus pollués, s’imperméabilisent… La protection est possible grâce à une législation qui existe.

Malgré toute cette importance, le sol est absent des programmes ! Les jeunes, les adultes n’ont pas de « culture » des sols, ils les perçoivent comme secondaires et ont des lacunes de compréhension des mécanismes les régissant. Il serait pourtant nécessaire de mieux connaître les sols. Ce sont des objets d’étude complexe, à échelles très diverses, à l’interface des problèmes d’environnement et de sujets concrets d’étude de l’environnement.

 
Les ressources en énergie fossiles : menace ou canular

Jean-Marie MASSET, Union française des géologues, Vice-président prospective géosciences  Total.

L’augmentation de la population et développement économique de pays émergents entraîne une augmentation de la demande énergétique. L’essentiel de la demande est liée aux transports. Dans les 30 prochaines années, le nombre de voiture va être multiplié par 3 (200 à 600 millions de véhicules). Dans la production d’énergie électrique, la part des énergies renouvelables devrait augmenter (hydroélectricité, nucléaire…).

On consomme aujourd’hui un milliard de baril de pétrole tous les 12 jours. On dispose de 1100 milliards de barils de ressources (connues, c’est à dire valables à un moment donné) on pense pouvoir en récupérer encore 600 milliards mais d’ici 2015, il faut remplacer une exploitation sur 2… Ces exploitations sont de plus haute technicité et donc plus chères à mettre en œuvre.

Pour le gaz, les ressources sont majoritairement en Russie, puis au Qatar et en Iran. Ils représentent environ 65 ans de consommation. Le charbon se trouve en Russie, en Chine et en Amérique du Nord. Les énergies renouvelables vont certes augmenter (actuellement +2.6 % /an) mais cela restera marginal. L’utilisation de la biomasse est envisageable, à condition que les besoins alimentaires de l’humanité soient couverts avant. Quelques progrès sont possibles du côté de l’hydroélectrique et de l’éolien.

D’ici 2030 le seuil de production de pétrole sera atteint à 100millions de baril jour et ne pourrait devoir dépasser ce seuil car on se heurte à des problèmes techniques de production ; il faudra alors faire des choix sur son utilisation. Que faire ? Augmenter la technologie pour trouver de nouveaux moyens d’extraction et de production tout en récupérant au maximum (en modifiant par adjuvant chimique la viscosité de l’eau qui tend à arriver plus vite que ne se fait le départ du pétrole) ce qui existe déjà, forer à grandes profondeurs sous l’eau… Et pour le CO2 ? Le réinjecter dans des gisements de gaz qui ne sont  plus exploités.


Uranium, une ressource énergétique « jeune »

Patrick BOUISSET, Vice-président Géosciences, Aréva

L’utilisation civile de l’uranium se situe dans les années 50 de façon plus importante. Depuis 1988, la consommation est supérieure à la production, ce déficit est comblé par le démantèlement des armes nucléaires. Vers 2013-2015, de nouvelles mines devront entrer en production et pour permettre d’équilibrer demande et production. Les grandes étapes de la consommation civile sont : augmentation au moment du choc pétrolier puis ralentissement du à Tchernobyl (et autres incidents nucléaires), puis augmentation car démantèlement nucléaire militaire enfin, depuis 4/5ans, phase de tension sur les prix, c’est une énergie courue…  Par ailleurs, c’est une énergie sans CO2 même s’il y a le problème des déchets à stocker. La livre d’uranium est passée de 7$ (2001) à 135$ (2007), actuellement 75$. Depuis 20 ans, aucune exploration nouvelle d’uranium (minier) n’a été faite. L’uranium n’a été exploité que pendant 10 ans. En fonction de la consommation, on a 40 à 60 ans de réserve d’uranium et on ne connaît pas exactement les ressources géologiques. La répartition des ressources telle qu’elle est aujourd’hui connue : Australie (36%), Canada (16%), Kazakhstan (18%) dans des gisements toujours associé au Précambrien (2,5GA). On cherche des gisements plus riches mais plus profonds et plus chers à exploiter… Certains sont si riches qu’ils ne sont pas exploitables technologiquement pour le moment.

P.Fabre & O.Mégevand

C : Biodiversité, Biodiversités

M. Bruno DAVID, Directeur de recherche CNRS, Président du Conseil  Scientifique de l’Institut Français de la Biodiversité

Biodiversité, terme récent (20 ans). Qu’est-ce ? Des espèces emblématiques, des espèces en vrac,  des espèces du même écosystème, pullulement d’une seul espèce, de dimensions variables (virus, bactéries), différentes échelles de temps ou périodes, façon dont la biosphère s’adapte aux différents changements, sa structuration, sa restructuration, système mouvant, avec changement lent ou rapide. Des questions, des remarques, peu de réponses, des clés de lecture.

 

Bioiversité : comment l’apprécier, la prendre en compte, la quantifier ? On peut compter des espèces, on en a décrit 1,8 millions et estimé 4 à 100 millions avec beaucoup d’insectes et peu de vertébrés. La barre d’incertitude est grande mais est-ce important ? Non. Bactéries, pico plancton et archées représenteraient  1031 cellules. Les bactéries (5.1030 espèces) pèsent plus lourd que les végétaux.

On peut trouver de la diversité en tant que :

Richesse spécifique (nombre d’espèces présentes) ou diversité spécifique (chance de trouver telle ou telle espèce parmi celles réellement existantes),

Formes : diversité (taxonomie) ou disparité (morphologie),

Nombre : bactéries 5.1030 (beaucoup) mais moins que les microbes à l’échelle de la planète,

Gènes (facteur 20 entre plus petit génome en nombre de gène et plus grand) ou nombre de paires de bases (facteur 105).

Interactions : écologiques (symbioses, dans un corps humain 1014 cellules pour 1015 bactéries, soit un ou deux kilogrammes !) ou dans les écosystèmes.

Les grands événements ayant affecté la biosphère sont les crises, on en compte 5 majeures au cours des temps géologiques :

- Ordovicien : continents globalement rassemblés, contexte de régression et climat polaire.

- Permien : Pangée, régression

- Trias : continents séparés

- Crétacé.

Les facteurs communs à ces crises sont le volcanisme et des météorites à peu près partout mais plus la crise est vieille, moins ces événements sont clairement définis. Dans le lot, les météorites, sont médiatiques et on constate qu’il n’existe que deux météorites synchrones de crises alors que les plus grands impacts ne sont pas associés à des crises. Pour les volcans, la corrélation est plus fiable : au Crétacé, les trapps du Deccan ; au Trias, le Central Atlantic Magmatig Provinc (CAMP) ; Les trapps de Sibérie au Permien et l’événement guadalupien  pour la crise d’Emeishan. Mais, il existe des éruptions sans crises… Le volcanisme reste toutefois le meilleur candidat pour l’explication des crises.

Impact des crises sur la biodiversité : La crise Crétacé/Tertiaire est la plus faible, celle du Permien, la plus forte. Impact écologique : Crétacé, impact sur nombre d’organismes (diversité) mais peu d’impact sur les morphologies (disparité), contrairement au Permien.

Ces crises permettent le renouvellement des faunes, la crise permien change radicalement les formes des échinodermes en passant des formes fixées à celles actuelles (de type étoiles de mer) ; la crise fin Crétacé, permet le remplacement des dinosaures par les mammifères. A contrario, la radiation des angiospermes se déroule durant le Jurassique et le Crétacé, c’est un renouvellement de 80% de la flore sans crise.

Le mythe de la 6ème crise ?

Les mythes : les Romains ont fait de grands massacres animaliers (Titus pour l’inauguration du Colisée fait tuer 5 à 9000 fauves ; Trajan, 11000 lions et panthères, taureaux, hippopotames…) ; Albert Ier fait réaliser un plafond, dans le château de Bruxelles,  orné d’élytres de  buprestes (coléoptères verts), les autres massacres sont ceux de 4 millions de bisons, des mammifères marins, des morues  par la pêche trop intense… 25% des oiseaux européens inféodés aux paysages ouverts ont disparu des campagnes à cause des pesticides, des engrais et de la suppression des haies.

Si on compare le nombre d’espèces qui s’éteint sur un million d’années, on trouve un taux de  1 espèce/an alors qu’actuellement, il oscille entre 100 et 1000. Des raisons ? Les cultures (25% des espaces sont des cultures), la déforestation, la politique…

Le cadre de cette « crise » :

- Variation climatique réelle. La banquise diminue, les glaciers reculent, les glaces arctiques régressent, la canicule de 2003… Les extrapolations vers le futur donnent des variations de températures importantes. Mais quand ? A comparer avec un passé récent : les variations sont 64% plus rapides que les plus rapides variations qui ont eu lieu pendant le petit âge glaciaire au Moyen Âge. Des autres événements rapides, dans le passé, il y en eut 24 entre 110000 et 12000 ans. Mais, ces événements sont localisés uniquement dans l’hémisphère nord et font varier des climats entre très froid et froid. Leur impact est sur peu marqué sur les faunes (microfossiles) et les épisodes sont très brefs, 40 à 50 ans. Les conséquences actuelles sont déjà visibles par les migrations d’espèces ayant pour origine les variations climatiques : présence du  barracuda en mer Méditerranée ;  de crabes en Antarctique ; de la Jussie, introduite pour décorer les bassins aquatiques et qui, proliférant, envahit les espaces aquatiques ; de même pour Caulerpa. Généralement lorsque la température augmente et devient plus homogène, la répartition des espèces aussi, la diversité s’harmonise. Un biome est une communauté écologique (exemple : la forêt intertropicale), un biotale est une communauté historique. Le biome forêt intertropicale est coupé entre 3 espaces et les coraux en 4 ce qui induit une grande diversité dans la répartition des espèces. Un changement climatique induira une autre répartition dans la structuration de la biosphère.

- Variations des courants océaniques. L’océan est moteur du climat car il est très froid au fond (seulement 3 fois dans l’histoire de la Terre (a priori) à l’Ordovicien, au Carbonifère et aujourd’hui) le reste du temps, les températures océaniques sont plus homogènes avec la profondeur. Les modifications consécutives à un possible réchauffement de l’océan sont difficilement envisageables : libération des hydrates de méthane ? On ne sait pas.

Il faut modéliser pour savoir. Pour les végétaux, par exemple, il convient de définir précisément les aires de répartition en lien avec les paramètres climatiques actuels et réaliser des projections des aires de répartition à venir en fonction des nouvelles conditions climatique et donc végétales… On est loin de ce qu’on voudrait comme réponse car c’est compliqué, on ne sait pas prendre en compte l’adaptabilité des espèces aux nouveaux environnements, leur mobilité par faute d’une mauvaise connaissance de la complexité de l ‘ADN, des interactions possible…

Est-ce favorable ? Encore une question à laquelle on ne sait pas répondre… Mais on peut objecter que les rythmes sont différents : l’extinction d’une espèce prend une centaine d’années, l’apparition d’une nouvelle espèce demande 10000 ans et la durée de vie d’une espèce c’est 1 million d’années… Si le changement est lent, les plantes peuvent produire des graines qui, bien qu’étant disséminées en un site géographiquement proche, pourront se développer si elles sont dans un environnement semblable. Si le changement est rapide, l’environnement dans lequel elles tombent est donc différent. Les graines peuvent ne pas pouvoir se déplacer assez vite.

En somme le plus grand handicap auquel sont confrontées les espèces est la vitesse des changements car on est sur des rythmes qui ne permettent pas l’évolution. La grande nouveauté c’est que c’est la première fois qu’une espèce est responsable de la crise.

P.Fabre & O.Mégevand


C : Mise en question de la science et conception d'essence religieuse dans les discours sur la nature

Yvette VEYRET, Professeure Géographe Université Paris X Nanterre

La science est-elle source de progrès pour les hommes ? Le progrès est-il positif ? Les rapports entre la science, le religieux et le sectaire ont de tous temps été conflictuels avec l’éternelle ritournelle de l’homme qui détruit la planète… Non, ce n’est pas ce qu’on dit mais soyons vigilants aux discours systématiquement négatifs : les sciences sont-elles source de progrès ? Non, source de problème !…

Depuis le XVIIIe siècle, c’est une forte amélioration de la vie des hommes que les sciences ont rendue possible. Avec la création de la Société Royale de Médecine, la question de l’hygiène publique est d’actualité, les travaux de recherche effectués à ce propos conduisent au drainage des eaux stagnantes, au nettoyage des ruisseaux, à la lutte contre les insectes, à l’organisation de l’évacuation des déchets des villes… Les progrès sont exclusivement dans la ville. Ils sont ensuite portés par la Révolution française. Toujours XVIIIe, on trouve des progrès dans l’agriculture, un meilleur transport des céréales, la gestion des surplus, la mise en place de nouvelles cultures (pomme de terre…) qui permettent une meilleure alimentation. Cela se traduit par une augmentation de l‘espérance de vie et la diminution de la mortalité infantile : on passe 36% à 26%, pour, aujourd’hui, un taux de 4%. L’espérance vie en 1740 était de 25 ans, 35 ans en 1870 (gain lié à la vaccination anti-variole). En augmentation lente depuis le XIXe siècle à cause des guerres à répétition et des accidents miniers, l’espérance de vie atteint plus de 80 ans aujourd’hui. Tout au long de ces périodes, la confiance en la technique augmente et vient contrebalancer les idées de la punition divine par la catastrophe.

Mais la remise en question des sciences est aussi synchrone : on s’inquiète de la démographie, de la pression sur les ressources, déjà… La société est responsable de tous les maux. Science et technique renforcent l’emprise sur l’environnement. L’homme est un apprenti sorcier. L’homme est le vers dans le fruit… La mécanique de la défiance vis-à-vis de la technique est en route. On découvre par ailleurs que la planète est un espace fini aux ressources « limitées », on découvre les effets de la bombe atomique, de  Tchernobyl et autres pollutions.

Naît enfin le paradigme de la « Nature » opposé à la science, à la technique et au progrès ainsi que les  positions antihumaniste par la prolifération de l’homme (Le commandant Cousteau notamment qui trouvait qu’il y avait des « habitants de trop sur la planète  »). Alors, la Nature, c’est le lieu qui est immuable, enfin à l’échelle de l’homme. La nature est la victime. « Mère Nature », divinité bienfaisante et romantique, nature saine, vierge, en équilibre souillée par l’homme et ses agissements… C’est une vision urbaine, ce n’est pas une vision de la campagne ! Fin XIXe siècle : protégeons donc la nature ! Comportement associé au puritanisme anglo-américain. Ça marche bien en Amérique du Nord car la nature devient le patrimoine commun américain, « la nature sauvage ». Pour protéger la nature, on déplace les populations.

La Nature est le lieu de la Création divine… L’homme aussi, mais lui est mauvais ! Dans la ligne donc, le créationnisme : ce qui est révélé par Dieu est vrai ! Les Sociétés et Instituts de la Création fleurissent aux USA, il existe un mouvement créationniste français qui publie la revue « signe des temps » et quelques articles dans la presse nationale française.

Pour nous enseignants, attention au catastrophisme et au dramatique : l’action de l’homme sur la nature. Après les peurs de l’an 1000, les peurs de l’an 2000 : croissance démographique (« l’apocalypse démographique ») source d’appauvrissement des ressources ; les variations du niveau de la mer, les pluies acides des années 1980… Les catastrophes sont variables : dans les années 80, la catastrophe c’est le refroidissement, aujourd’hui le réchauffement. Ces discours ne sont pas gratuits, ils sont aussi à relier aux problèmes économiques et permettent de faire diversion. Instrumentalisation de la catastrophe ! On fait dire aussi ce qu’on veut aux chiffres : ceux-ci pouvant aussi varier selon les critères d’étude. Dramatiser permet aussi d’envisager des solutions autres que scientifiques : il n’y a rien à faire, il faut subir ou croire : retour du religieux, des formes d’irrationnel, des médecines douces et naturelles qui guérissent tous les maux, du paranormal, des sectes…

La catastrophe doit être utilisée pour faire réfléchir les gestionnaires, les utilisateurs, sur la gestion des ressources, le gaspillage des ressources, les besoins individuels, mais c’est la science qui définit les ressources et réalise les diagnostics et les évaluations. La question clé du développement durable ce sont les conditions de vie de 4 milliards d’être humains ! Il faut être vigilant aux différentes perceptions culturelles et considérer les médias comme partenaires de la culture scientifique.

P.Fabre & O.Mégevand

 
C : Environnement, Développement durable et Géosciences : enjeux scientifiques et pédagogiques

M. Jean-Marc LARDEAUX, Professeur Université de Nice Sophia Antipolis (UNSA)

La Terre dans le système solaire est en autorégulation permanente liée à la distance à l’étoile. Tout l’environnement terrestre est conditionné par cette distance à son étoile et résulte d’échange, de transfert d’énergie et de matière. La température (15°C) et l’état de l’eau sont les caractéristiques de la planète. Dans un tel contexte, d’imbrication et d’unicité, naissent des interrogations sociétales en terme de développement durable qui consistent en trois axes fondamentaux auxquels sont associées les géosciences :

L’aléa et le risque, qu’ils soient climatiques, sismiques, volcaniques, astronomiques (géo-croiseurs), etc.

Les ressources (naturelles et énergétiques, l’eau…)

Le traitement et l’inertage des déchets (CO2 et nucléaire), leur stockage.

 
Risques et aléas

Le climat subit globalement un réchauffement mais ce n’est pas la première fois que la Terre se trouve dans une position chaude. Au Trias aucune calotte glaciaire aux pôles et un niveau mer de 100m plus élevé qu’actuellement. A contrario, il y a 20000 ans, le climat était très froid. Dans ces variations actuelles, quel est l’impact de l’homme ? Pour appréhender cette part anthropique on est obligé de changer d’échelle. Les résultats des recherches de variations de concentrations des éléments géochimiques piégés dans les glaces montrent des variations naturelles de température de -2 à +10°c liées aux variations naturelles du CO2 (entre 200 et 280ppm, valeurs trouvées sur une durée de 1MA) et un décrochage depuis 1910 avec une valeur actuelle de 380ppm de CO2. La partie anthropique du CO2 est estimée à environ 75ppm. Le réchauffement consécutif est, selon les modèles, compris entre +2 et +7°C, il entraînera une diminution des précipitations et une élévation du niveau global des mers de 18 à 60cm. En France, les températures vont augmenter de 2 à 3° l’hiver et 4 à 5° l’été. La stabilisation de la quantité de CO2 atmosphérique prendrait, après un arrêt des émissions de CO2, de ce 200 à 300 ans ; la stabilisation des températures, quelques siècles et celle du niveau de la mer quelques milliers d’années.

Côté sismicité : l’Afrique se rapproche de l’Europe. Il faut mieux connaître les aléas (les mécaniques des failles, les comportements des sols…) pour réaliser des modèles géologiques précis. Les modèles toutefois ne valent qu’à l’échelle à laquelle ils ont été construits : un modèle global à une valeur globale. Il a été plus facile de commencer par réaliser des modèles globaux mais le besoin maintenant est de créer des modèles locaux opérationnels. Il faut des personnes qui connaissent les caractéristiques locales.


Les ressources

Elles sont inégalement réparties, par exemple 60% du palladium est en Russie, 90% du niobium au Brésil… Les choix technologiques qui seront faits permettront le développement et l’importance stratégique de tel ou tel pays. Pour les énergies, il en est de même : le pétrole est au Moyen-Orient, le gaz aussi, et en Russie ; le charbon se trouve plutôt en Asie…

Et les ressources non polluantes ? La réponse majeure à apporter est la géothermie : 99% du globe présente une température supérieure à 1000°C. A 5km de profondeur, on trouve plus de 200°C partout en Europe. On pourrait couvrir des besoins énormes en utilisant cette énergie. Aux Antilles, les possibilités d’exploitation sont encore plus évidentes, énormes car la zone est faillée avec donc des remontées importantes.

L’eau douce renouvelable : les pénuries de nombreuses régions vont s’accroitre avant 2025. Il faut donc connaître les aquifères plus correctement. La découverte de nouveaux aquifères et le traitement des eaux usées deviennent donc primordiaux. Une très haute définition de la culture de la géologie est donc nécessaire pour améliorer l’accès aux ressources en eau.

 
Le stockage des déchets et notamment du CO2

L’inertage des déchets devient un enjeu industriel et technologique majeur. Les recherches convergent vers un stockage du CO2 à la place du charbon, du pétrole, dans les aquifères salins, dans les gisements qui ont été exploités et dont les gîtes sont disponibles. On sait piéger le CO2, il faut arriver à  le stocker dans des aquifères salins, dans les anciens gisements de gaz, dans du charbon ou dans des gisements pétroliers tout en récupérant les huiles qui sont encore inexploitées.

Les défis du géologue sont là : il doit décrire les objets en 4 dimensions (en prenant en compte le temps de la géologie), modéliser ces objets, leur géologie, leur comportement et enfin donner les informations utiles pour prendre une décision d’exploitation, de protection ou de prévention. Les géosciences doivent devenir opérationnelles, elles doivent permettre de répondre aux questions des politiques. Enfin, pédagogiquement, les géosciences – et l’éducation au développement durable – présentent des occasions d’appréhender des notions de changements d’échelles de temps, d’espace, des notions de temps longs et de systèmes complexes.

Un environnement viable doit être économiquement viable mais pour être économiquement viable l’environnement doit être durable et socialement équitable et viable.

Il n’y pas de sciences de l’environnement, il y a des problèmes d’environnement, des réponses d’environnement… il ne faut pas enseigner les sciences de l’environnement, il faut être exigeant sur les fondamentaux des disciplines, définir le croisement des sciences et mettre en place la co-disciplinarité.

P.Fabre & O.Mégevand

 
Allocution d'ouverture du colloque "Géosciences au service de l'humanité"

M. Jean DERCOURT, Secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences

Les géosciences s’inscrivent dans trois dimensions : la dimension démographique, le système solaire et le temps géologique. Ces trois échelles de temps sont différentes.

La dimension démographique

De 6 milliards d’individus actuellement sur Terre, les démographes prévoient que nous serons 9 milliards en 2050. Pour l’Europe, le pic démographique sera atteint en 2010, mais les autres continents continueront leur ascension démographique : 60% de la population vivra dans des villes de plus de 100 000 habitants ce qui entraînera des questions de gestion d’alimentation en eau, en nourriture, et de gestion des déchets, des écoulements d’eau de pluie…Dans un tel contexte d’explosion démographique, la gestion des sols comme potentiel nourricier de l’humanité sera au cœur de ce que deviendra l’humanité, et la gestion de l’eau (qualité/quantité) un corollaire inéluctable et vital.

 
La Terre dans le système solaire

L’énergie dont nous disposons sur Terre a deux origines : le Soleil avec ses activités cycliques et la fission nucléaire assurée par les couches profondes de la planète. La Terre est autonome, elle dissipe de la chaleur par les cellules de convection et le volcanisme qui, entre autres, est à l’origine de l’atmosphère. Cette même énergie fut à l’origine de l’hydrosphère par le dégazage primordial. De cette atmosphère primaire, la vie, apparue entre 2,7 et 3 GA, en a fait celle que nous connaissons ; elle l’a façonnée. Au-delà de cette interdépendance, atmosphère/biosphère, on peut aussi souligner combien la vie marque de son empreinte la genèse de roches (carbonées, carbonatées…).

 
Le temps géologique

Le temps géologique est celui qui donne les climats. Nous sommes actuellement dans une période glaciaire comme en témoignent les calottes polaires. Dans l’histoire de la Terre, trois périodes seulement sont froides : il y a 600MA, 300MA et actuellement. L’humanité est liée à ce glaciaire : le premier Homo sapiens mais aussi le premier Homo sont apparus dans ce contexte. La température de la Terre varie de façon cyclique à cause de la mécanique céleste, des variations de composition de l’atmosphère… Mais pour l’humanité, une légère variation climatique signifie des changements considérables. En effet, un cycle climatique correspond à 100000 ans et selon les données l’histoire de Homo sapiens est une histoire de 100 à 300 mille ans, soit un à trois cycles seulement. La planète va changer, l’environnement va changer. En cause, le climat qui va induire des transgressions… Ce n’est pas la fin de l’humanité, c’est un séisme climatique. L’homme va peut-être détruire son progrès, sa durabilité  mais pas la planète. Il n’est pas possible évidemment de lutter contre la mécanique céleste mais seulement d’infléchir le moment de cet événement de changement (réchauffement) climatique dans une gamme de temps compatible à celle de l’échelle humaine.

Les ressources de la Terre sont importantes, la planète dispose de richesses qui sont loin d’être épuisées si l’on sait en améliorer techniquement l’exploitation mais il faut penser à leur gestion. C’est là que se situe le rôle du géologue ; veiller à ne pas surexploiter, rechercher de nouveaux gisements mais aussi envisager les moyens de traiter les déchets inhérents à cette exploitation, de les faire disparaître, avoir conscience que parmi ces ressources, les plus importantes sont l’eau et les sols. Les géosciences s’inscrivent pour cela dans une démarche de développement durable.

P.Fabre & O.Mégevand

 
Évolution, champ professionnel ou objet de débats public.

Jean GAYON, professeur à l’université Paris 1

Acceptation de l’évolution par le public : une enquête internationale

Entre 1985 et 2005, dans 34 pays sont 30 en Europe + USA, Japon et Turquie, la même question est posée : « Les êtres humains tels que nous les connaissons se sont développés à partir d’espèces d’animaux antérieures » Réponses possibles : vrai, faux, pas sûr, ne sait pas.

Américains et Turcs refusent cette proposition majoritairement alors qu’elle est acceptée dans les autres pays. La France est bien située. En diversifiant les réponses : absolument vrai, probablement vrai… Cette seconde enquête confirme les précédents résultats. Une analyse causale avec 9 facteurs, parmi lesquels : l’âge, le sexe, être croyant, avoir des pratiques religieuses, quelle idéologie politique…permet de conclure :

L’effet du facteur croyance religieuse est 2 fois plus élevé aux USA que dans la  moyenne des pays européens.

L’idéologie politique a un impact significatif aux USA et aucun en Europe.

L’attitude face à l’avortement pèse deux fois plus aux USA.

De même si l’individu se considère comme conservateur.

Dans tous les pays, le degré d’instruction affecte les réponses.

Le fait d’avoir des connaissances en génétique influe modérément.

L’influence majeure est l’assemblage religion + politique (ou des questions qui ont un impact politique majeur, par exemple l’avortement). Cela s’explique car aux USA, l’attitude religieuse est médiatisée par la politique.

Une autre enquête de Pierre Clément et de Marie-Pierre Quessada sur l’acceptation de l’évolution par les professeurs de l’enseignement primaire et secondaire dans 19 pays européens, maghrébins et du Proche-Orient…

 
Enseigner l’évolution

Constat historique : il y a eu une professionnalisation du champ de l’évolution dans la seconde moitié du XXe siècle : création de sociétés savantes, en 1946, puis un périodique, Evolution, en 1947.  Actuellement, il existe 30 périodiques  spécialisés dans l’évolution et c’est une sous-estimation car il existe des revues de paléontologie, d’anthropologie, de génétique, d’écologie qui abordent très régulièrement ce thème et toutes celles qui sont locales et ne sont pas répertoriées, sans compter toutes les rubriques permanentes dans des revues générales

Il existe par ailleurs une vraie disproportion entre le poids de l’évolution en recherche et enseignement supérieur et dans la formation initiale dans l’enseignement secondaire.

Voir : évolution du vivant, un enseignement semé d’embûches (Maryline Coquidé et Stéphane Tirard), éditions ADAPT, octobre 2008.

 
Quelques suggestions dans la formation initiale :

Ne plus faire comme si l’évolution était simplement une idée, se référer à des modèles, des théories, des corpus de données.

Renoncer à l’alternative « fait / théorie » de l’Evolution : le fait incontestable de l’évolution n’est pas correct, le fait est incontestable et il y a une convergence de faits qui s’organisent dans une théorie.

Se méfier aussi de la formule « théorie de l’évolution », il y a beaucoup de théorie dans l’évolution, c’est un ensemble de micro-théories.

 
Science et public :

- Vision traditionnelle :

vulgarisation ou popularisation. La vision contemporaine c’est la compréhension publique de la science dans une version interactive plutôt que condescendante, c’est le « public understanding of science » (PUS). Quelques aspects de cette formule :

- Connaissance scientifique effectivement acquise par les gens :

degré d’acculturation scientifique.

- Reconnaissance ou évaluation positive de la science.

- Evaluation réfléchie et certitudes de la science.

- Placer la question sous l’angle des rapports entre la science et le public

 
Quelques raisons de l’ambivalence récurrente du public à l’égard de l’évolution :

- Public général :

religion mais aussi association forte avec des doctrines sociales ou politiques telles qu’eugénisme, racisme, libéralisme économique, colonialisme…

- Public savant :

effets plus ou moins profonds des sciences humaines (théorie économique, sociologique, anthropologique, psychologie), effets sur la philosophie (théorie de la connaissance morale…)

Compréhension de l’évolution, nécessité d’équilibrer les craintes et les attentes : se demander pour quelles raisons le public (scolaire) pourrait être demandeur de connaissances sur l’évolution. Le récit est un puisant ressort cognitif. Biologistes et médecins prennent de plus en plus conscience que  la plupart des phénomènes biologiques ne trouve d’explication que dans une lecture évolutionniste. L’évolution n’est pas seulement un enjeu théorique, elle éclaire un grand nombre d’éléments planétaires : biodiversité, responsabilité écologique, gestion des agro systèmes…

Il faut développer une vision positive de l’évolution et ne pas donner l’image d’une citadelle assiégée : Evolution is beautiful and useful !

P. Fabre.

 
L'Homme face à son évolution ou la question de l'hominisation

Pascal PICQ, anthropologue au Collège de France

C’est depuis très récemment qu’il ne reste qu’une seule espèce d’hommes sur la terre, pour certains c’est la preuve que nous sommes les plus forts et donc les seuls à avoir survécu. Ce processus est finalisé (Pierre Teilhard de Chardin) pour d’autres, c’est de la chance. L’homme n’est ni le but ni un accident de l’évolution.

Avant J.Monnod et « Le hasard et la nécessité  », la théorie synthétique de l’évolution n’était pas très soutenue dans notre pays. Hasard et nécessité : l’évolution ce n’est pas que du hasard, pas n’importe quoi n’importe quand, ni nécessité préalable… Il y a entre les deux quelque chose qui explique, c’est la sélection naturelle, ce sont des contraintes et des contingences. A partir de ces contraintes, se développe une autre variabilité. L’homme n’est qu’un instant improbable de l’histoire de la vie ! Plutôt que de s’intéresser aux causes on ferait mieux de s’intéresser aux contraintes. L’évolution n’a ni but, ni finalité. Parmi les tenants de l’ID, on trouve des physiciens et mathématiciens qui ne comprennent pas qu’il n’y a pas de lois dans l’évolution. Il n’y a pas de loi de l’évolution, ce sont des mécanismes qui se reproduisent : des limitations de ressources entraînent des mécanismes de sélection. On ne peut reproduire que les mécanismes pas les résultats. Il n’y a pas de loi au même titre qu’en physique,  l’évolution donne un résultat ici et maintenant !

Pour l’hominisation cela n’a jamais été présenté comme théorique, c’est un concept philosophique (voir Encyclopaedia Universalis, 1960). L’homme et l’animal… L’animal en biologie n’a pas la même définition que l’animal en philosophie. En philosophie, l’animal a une définition privative par rapport à l’homme : l’animal n’a pas, par rapport à l’homme. Dans nos cultures : tout ce qui est mauvais vient de l’animalité et ou ce qui est bon vient de la culture, attention aux catégories de l’exclusion. D’après les créationnistes tout ce qui va mal c’est la faute à Darwin mais, les guerres de religion, c’était avant Darwin !

L’écologie comportementale démontre qu’il y a des cultures chez les chimpanzés, des notions de bien et  de mal, de l’empathie et des stratégies politiques… Les chimpanzés respectent tous les critères définis dans « l’homme est un animal politique ». Les notions de bien et de mal chez le chimpanzé, ça repose la question de la liberté. Ce n’est pas parce qu’un comportement existe qu’il est bon ou mauvais. Les avancées de la génétique vont nous amener à réécrire les « races », l’existence ou non de races ne justifie en rien le racisme,  c’est du débat de valeurs. La question de l’animal, philosophiquement, est très difficile : ou la réflexion philosophique sur l’homme évolue avec les dernières données ou la philosophie se referme dogmatiquement. Une doctrine c’est quand on n’accepte plus les avancées dans d’autres domaines et qu’on se referme dans « un tel a écrit que » (exemple, la psychanalyse). Pour les chimpanzés, l’héritage commmun est très fort car nous n’avons que très peu de différences génétiques, l’exogamie est convergente chez les hommes, les bonobos et chimpanzés. Les comportements sociaux et politiques des singes sont les mêmes que les nôtres. L’odyssée de l’espèce est exactement ce qu’il ne faut pas faire : toutes les innovations sont faites par les mâles… On ne sait pas si ce sont des hommes ou des femmes qui l’ont fait ! On véhicule des enseignements pour lesquels la technologie exclut les femmes ! Un mauvais enseignement de l‘évolution reproduit des schémas archaïques.

La pensée sauvage n’est pas la pensée des sauvages. On est tous habités par des éléments de métaphysique. Attention dès qu’un système écologique s’isole, c’est la dernière étape avant la disparition ! La disparition des différentes autres populations d’hommes n’a que 5000 ans…

Nous avons des difficultés dans l’enseignement car on a oublié que l’individu a une dimension sociale et écologique, on pense que seul le milieu est responsable, on est dans un système reproductif qui ne bougera pas.

Prise de notes : Patrice FABRE