Éduquer aux IA en EMI : les mots pour le dire
Après Les mots de l'information, paru en 2023, le Ministère de la culture a publié en janvier 2025 les 50 termes clés de l'intelligence artificielle. La commission d'enrichissement de la langue française et plusieurs institutions partenaires proposent des équivalents français, espagnols, arabes, basques, catalans, italiens et néerlandais aux mots anglais que nous connaissons pour décrire ces technologies et leurs usages.
Elles proposent aussi une définition de chaque terme.
Il ne s'agit pas d'interdire à nos élèves d'employer les termes anglophones courants, véhiculés par les médias et le marketing. Ils peuvent employer token pour jeton, data center pour centre de données. Mais c'est à nous de proposer régulièrement les termes francophones ou de nos disciplines linguistiques.
L'enjeu terminologique dépasse cependant celui de la seule francisation.

Le terme intelligence artificielle lui-même pose question. Il induit un rapport humain à ces outils. L'expression "dialoguer avec l'IA", comme les représentations iconiques des intelligences artificielles, entretiennent l'ambigüité : cerveaux dont les réseaux neuronaux sont représentés sous forme de circuits imprimés, robots humanoïdes... Les IA, êtres dotés d'une conscience ou outils ?
Pourquoi cette anthropomorphisation ?
Le développement et le fonctionnement des modèles de langage est un investissement abyssal que les modèles économiques actuels ne rentabilisent pas encore. Les principaux investisseurs ne sont autres que les GAFAM (Google devenu Alphabet, Apple, Facebook devenu Meta, Amazon, Microsoft), experts de la monétisation de nos données personnelles.
- Alphabet développe Gemini
- Apple développe Apple Intelligence en partenariat avec Open AI
- Meta les modèles Llama
- Amazon a investi dans la société Anthropic qui développe Claude
- Microsoft propose sa solution Copilot

Le séduisant marketing de présentation de ces outils émergents a conditionné nos pratiques d'instructions pour nous inciter à nous confier plus encore : les prompts emploient l'impératif, le tutoiement. Ils sont constitués de phrases complètes, alors que des mots-clés ou expressions de quelques mots sont souvent suffisants pour générer des résultats pertinents. Avec l'anthropomorphisation de l'outil, ce sont les ultimes barrières de l'intimité qui s'effacent : certains confient aux algorithmes les pans les plus secrets de leurs personnalités. Ces confidences constituent les données personnelles ultimes. Elles rendent nos profils numériques encore plus rentables.
Quels gestes ?
Parce que nous avons déjà l'habitude d'éduquer aux médias sur différents supports, nous nous appuyons sur nos fondamentaux : les sources, les intentions, les biais, les choix éditoriaux... Les questions de la transparence et du choix des sources de leur corpus d'apprentissage sont particulièrement aigües avec certains modèles de langage : leur entraînement n'a tenu compte d'aucun droit d'auteur...
Avec les IA génératives, il faut plus encore distinguer les sources primaires, secondaires et désormais... tertiaires, dès lors qu'en ingérant les données d'un web dont 57% a été généré par des IA, elles font des probabilités à partir d'autres probabilités... C'est donc l'intégrité des sources qu'il faut désormais systématiquement questionner. Le risque de dégénérescence des IA est désormais bien documenté.
En proposant des activités qui développent la capacité à utiliser les intelligences artificielles tout en favorisant une prise de distance réflexive, nous dépassons le stade de la fascination et remettons les technologies à leur place : celle d'outils. On questionne avec nos élèves leur fonctionnement, leurs performances, leurs avantages et inconvénients, leurs modèles économiques et l'utilité réelle pour les usagers...
Face à l'anthropomorphisation des IA génératives portée par la puissance du marketing, il peut être efficace, une fois au cours d'une séance par exemple, sans interdire les usages courants, de reformuler une instruction :
- pas de tutoiement
- pas d'impératif
- pas de formule de politesse
- pas de phrase, des mots-clés ou suites de mots
- pas de présentation de soi et de son métier ( ex : "je suis journaliste"), mais "à la manière de" ou "comme un ou une journaliste "
Dans nos présentations des instructions, éviter des expressions comme "dialoguer avec l'IA" ou "conversation avec le modèle". On dialogue avec une personne. On envoie des instructions à un programme.
Il peut aussi être pertinent d'analyser une définition de l'intelligence artificielle proposée par l'UNESCO :
L'imitation de l'intelligence humaine correspond à leur finalité. Pas à ce que sont les IA : des outils d'extraction de données. Ces termes sont bien moins fascinants, mais beaucoup plus justes. Ils remettent nos adolescents en situation de choisir en toute connaissance de cause les tâches déléguées à ces outils, en prenant la responsabilité de ne pas développer leurs propres compétences, des risques d'erreur de probabilité, de pillage des droits d'auteurs, de pollution numérique et de divulgation de données personnelles toujours plus sensibles.
Que nous apportent ces outils, comment, à quel prix et pour quels bénéfices ? Nous développons des compétences, mais aussi une éthique.