La chronique Éco de G. Fonouni | Faut-il sortir de l’euro ?
Dix-neuf pays européens partagent l’euro et tous ont tiré profit de cette monnaie unique. Depuis sa création, l’euro remplit pleinement les trois fonctions traditionnelles d’une monnaie : instrument de paiement, instrument de mesure de la valeur et instrument de réserve. Mais il n’a pas suffi à doper la croissance européenne et à faire converger ces dix-neuf pays entre eux. Il n’a donc pas réussi à effacer leurs disparités économiques et sociales.
L’euro a ceci de particulier qu’il ne fonctionne bien que lorsque la conjoncture économique est bonne. Inversement, il se fissure dès que des difficultés économiques surviennent faute d’ajustement mutuel entre les États européens de la zone euro. Ce paradoxe lui est consubstantiel : imposer une politique monétaire unique à dix-neuf États hétérogènes est au mieux une gageure, au pire une folie.
Ce défaut structurel de l’euro explique bien des aspects de la crise économique que traverse actuellement l’Union européenne. Le fonctionnement de la zone euro tel qu’il a été pensé à la suite du traité de Maastricht a atteint ses limites : un taux de change unique pour tous, n’est possible que si les situations économiques des membres de la zone euro sont identiques. Or, dès l’instant où l’hétérogénéité de départ n’a pas été corrigée, il n’a jamais été possible de mettre en oeuvre des politiques économiques expansives en cas de ralentissement de l’activité économique, ni à l’inverse, de freiner l’activité économique dans des situations de surchauffe.
Faut-il pour autant en déduire que la France devrait sortir de l’euro pour retrouver les chemins de la croissance et de l’emploi ?
La sortie de l’euro est un leurre.
Certains y voient une grande bouffée d’oxygène. Ceux-là nous disent que le retour du franc qui serait immédiatement dévalué, permettrait un regain de compétitivité. En récupérant sa souveraineté monétaire, la banque de France pourrait financer le déficit budgétaire sans être sous la tutelle des marchés financiers et l’État pourrait diminuer sa dette publique sans avoir besoin de recourir à de nouvelles hausses d’impôts ni sans avoir à tailler sévèrement dans les dépenses publiques.
Or, à y regarder de plus près, la sortie de l’euro s’apparente plus volontiers à un vaste saut dans l’inconnu et sans parachute de surcroît. Force est de rappeler que sortir de l’euro provoquerait une dévaluation immédiate du franc, ce qui renchérirait le prix de tous les biens importés (ces biens qui représentent aujourd’hui plus du tiers du P.I.B). Cela provoquerait ainsi un appauvrissement généralisé, notamment des plus modestes et la consommation s’effondrerait durablement.
A défaut de consommation intérieure, les entreprises licencieraient en masse, le chômage exploserait et les inégalités sociales se creuseraient. En outre, ce retour du franc dévaloriserait considérablement l’épargne des agents économiques. Cette ruine des épargnants pénaliserait sévèrement les investissements et les entreprises asphyxiées par le crédit crunch fermeraient en masse. Face à ce risque économique généralisé, il serait illusoire de croire que la relance des exportations pourrait sauver notre économie.
La baisse des tarifs des exportations liée à la dévaluation du franc serait doublement annulée par le renchérissement du coût des matières premières importées et par l’inflation vertigineuse à laquelle notre économie devrait faire face.
D’autre part, la dévaluation sauf à ce que le franc atteigne des cours dignes du mark de 1929, ne permettrait jamais à nos entreprises d’aligner leurs prix sur ceux pratiqués par leurs concurrentes des pays émergents. L’écart social entre ces pays et le nôtre rend impossible et insoutenable toute compétitivité prix. Enfin est-il besoin de rappeler qu’une première dévaluation en appelle souvent une autre, ce qui ferait courir le risque d’une guerre monétaire au niveau européen. Ces risques de change créeraient un climat de défiance nocif pour les échanges et pour la croissance économique. Ils conduiraient rapidement au rétablissement de barrières protectionnistes entre les États européens ayant quitté la zone euro.
Par ailleurs, cette instabilité monétaire provoquée par la sortie de l’euro, alourdirait la dette extérieure qui est libellée en euros, et qui et de fait, n’attirerait plus les investisseurs. La crainte d’une accélération de l’inflation ferait monter les taux d’intérêt et renchérirait le coût de la dette publique. La fuite des capitaux deviendrait inévitable, l’investissement s’effondrerait et la perte de confiance dans la monnaie obligerait à des augmentations drastiques des taux d’intérêt qui empêcheraient tout retour rapide de la croissance. Une sortie de l’euro isolerait ainsi la France au sein de l’Europe ainsi qu’au sein de la scène internationale monétaire.
Pourtant si quitter l’euro est une voie périlleuse pour notre économie, y rester en l’état est aussi dangereux.
L’euro souffre d’un déficit « d’Europe » et d’une absence de gouvernance économique collective. Une monnaie unique, suppose de franchir les étapes de l’intégration fiscale, budgétaire et sociale. Ces étapes ont toujours été repoussées pour finalement ne jamais se réaliser et ce alors même, qu’elles permettraient de renforcer l’homogénéité des pays européens et de les rapprocher. Cela n’est jamais allé au-delà des mots. La crise a révélé cet inachèvement. Il est donc urgent de relancer ce processus d’intégration européen sur des bases coopératives et de solidarité afin d’éviter de prendre la variante d’une sortie de l’euro conduisant à l’éclatement de l’Europe. C’est pourquoi il faut résister à un éclatement de la zone euro et tout faire pour établir un bon fonctionnement de l’euro sur ces bases-là !