La chronique Éco de G. Fonouni | La réduction du temps de travail : une alternative au revenu universel !
Travailler moins individuellement aujourd’hui et travailler plus collectivement demain pour mettre fin au chômage et aux inégalités, ou verser un revenu à vie renonçant ainsi au plein emploi : un choix de société !
Alors que la richesse économique ne cesse de s’accroître à un rythme inégalé ces cinquante dernières années, la contribution quantitative du travail à la création du PIB se réduit parallèlement peu à peu. Nous nous trouvons à l’ère de la révolution numérique dans une situation dans laquelle moins de travail est nécessaire pour produire plus et mieux. Cette situation d’abondance se traduit inévitablement par moins de travail et plus de capital pour garantir la croissance économique. Cette raréfaction du nombre d’emplois liée au progrès technologique numérique concerne désormais aussi bien les emplois peu qualifiés que les emplois intermédiaires. Toutes les catégories de la classe moyenne sont touchées à des degrés divers. Il ne s’agit plus seulement de mécanisation ou d’automatisation qui jadis, au rythme des cycles d’innovations, supprimait des emplois dans certains secteurs pour en déverser dans d’autres selon le principe de la destruction créatrice de Schumpeter. Il s’agit d’une robotisation intelligente de tous les secteurs d’activité, des algorithmes de plus en plus complexes et de l’intelligence artificielle remplaçant progressivement le travail de l’homme. Cette technoscience change notre rapport au travail. La nouvelle productivité sans humain de la révolution numérique nous place devant l’enjeu d’une adaptation sociétale à un monde devenant de plus en plus pauvre en emplois, transformant ainsi notre existence, et avec elle, notre rapport au travail, ainsi que celui de de la protection sociale.
Dans une situation de croissance restant durablement autour de 2% par an, il n’y a donc peu de chance que cette évolution de l'économie permette de faire reculer le chômage à un rythme suffisant pour éviter les risques populistes et sociaux auxquels notre société est confrontée aujourd'hui.
Faut-il pour autant renoncer au plein emploi et promouvoir un revenu de base universel versé à tous, dès la naissance et tout au long de la vie, indépendamment du statut, au lieu de chercher à revenir à un plein-emploi ? L’idée du revenu universel, idée très ancienne qui remonte à Thomas More au XVIe siècle est évidemment généreuse, mais sa mise en œuvre s’avèrerait aujourd’hui très coûteuse et risquée économiquement ainsi que socialement.
En effet la richesse nationale ne pourrait pas supporter le coût de ce revenu pouvant s’élever à plus de 400 milliards d’euros par an en fonction de son seuil fixé entre 520 euros et 1000 euros par mois. Elle se réduirait progressivement en raison de l’inactivité d’une partie de la population malgré la contribution de plus en plus forte du progrès technologique et ouvrirait la trappe à la pauvreté. De plus, cette mesure reste toutefois inéquitable puisque les plus riches bénéficieraient du même montant que les plus pauvres. S’engager dans cette voie, c’est donc renoncer à la recherche du plein emploi et accepter la fatalité du chômage ainsi que la dualité sociale qui en résulte.
Si on veut éviter la paupérisation des travailleurs tout en faisant reculer rapidement le chômage et l’assistanat, il faut « travailler moins individuellement pour travailler plus collectivement ».
Partager le travail en réduisant parallèlement les cotisations sociales patronales ainsi que celles de l’assurance chômage du salarié jusqu’à leur suppression progressive, afin de ne pas augmenter le coût de production des entreprises, favoriserait le maximum d’embauches sans amoindrir le salaire net des salariés. Le manque à gagner pour le budget de l’État serait comblé par la baisse du chômage et par une hausse des recettes tirées de la TVA du fait d’une consommation devenue plus soutenue. Au final, le coût microéconomique du « travailler moins individuellement » serait compensé par les recettes macroéconomiques liées au « travailler plus collectivement ». Cela se traduirait par un accroissement de la production grâce à l’augmentation du volume de travail lié au nombre d’actifs garantissant ainsi le niveau de la demande et donc celui de la croissance. Le temps libre devenu aussi plus important ferait naître de nouveaux besoins qui à leur tour, feraient émerger de nouvelles activités économiques pour les satisfaire et créeraient de nouveaux emplois. Elles permettraient ainsi la distribution de revenus supplémentaires garantissant une croissance conciliant le travail et le progrès.
Le partage du travail est toujours une politique solidaire, qui suppose que ceux qui ont un emploi fassent des efforts et laissent une place à ceux qui sont au chômage. Ce choix ne sera accepté que si ce partage n’appauvrit pas les uns pour aider les autres.
Or, la baisse de la durée du travail avec maintien du salaire net, accompagnée d’une forte réduction des cotisations sociales patronales et assortie d’une embauche, profitant à tous, aussi bien aux « insiders » qu’aux «outsiders » favoriserait l’acceptation de ce choix. Elle permettrait de gagner plus tous ensemble sans chômage, d’améliorer les conditions de vie de tous les salariés et de réduire les inégalités sociales grâce à l’emploi. C’est sur cette base solidaire qu’un nouvel ordre social et économique pourrait se construire.
Ce choix ne sera efficace et possible que si le monde patronal accepte l’idée que le partage du travail grâce à la productivité liée au progrès est un des facteurs qui équilibre le marché du travail contrairement au seul facteur coût du travail. Il le sera d’autant plus, que s’il s’effectue par la négociation collective prenant en compte la situation de chaque entreprise pour déterminer le niveau de la baisse du temps de travail. Et le sera encore d’autant plus, que s’il s’accompagne d’un prélèvement sur le capital financier palliant la baisse des cotisations sur le travail et d’une régulation sociale dans la formation des revenus primaires afin de rendre notre système de redistribution moins coûteux, plus efficace et pérenne.
Il est donc difficilement compréhensible, qu’à une époque où la lutte contre le chômage est une urgence nationale, l’option de la réduction du temps de travail ne soit toujours pas envisagée dans le débat économique public.
Accepter de travailler moins individuellement mais plus collectivement est avant tout un choix de société au même titre que celui du choix de la flexibilité ou de celui de la création d’un revenu universel. Depuis le début du XIXe siècle, il a fallu constamment batailler pour réussir à réduire le temps de travail. L’histoire nous a prouvé que sa baisse n’a jamais freiné la croissance économique, bien au contraire. Il faut donc sortir de la vision dogmatique de la durée du travail et privilégier son partage pour atteindre le plein emploi. Ce n’est que par cette solidarité que le travail retrouvera sa véritable valeur dans notre société !