La chronique Éco de G. Fonouni | Préférer l’austérité et la flexibilité à l’investissement public : un choix risqué !
Pour faire face à un chômage structurel persistant malgré une conjoncture économique favorable fin 2017, le Gouvernement a choisi de réformer le code du travail par la voie des ordonnances afin d’anticiper la reprise économique. Dans le même temps, il a aussi choisi de réaliser des économies budgétaires pour faire face aux déficits publics occasionnés par la politique de l’offre sous le quinquennat précédent, ce qui l’a conduit à annuler une part importante des crédits votés par la majorité précédente et à réduire les dépenses publiques, notamment en baissant les aides au logement et en diminuant les emplois aidés.
Baisser les dépenses publiques à tout prix et flexibiliser le travail pour accélérer la croissance et l’emploi semble être un choix audacieux.
Un tel choix de politique économique risque d’aggraver les inégalités et de freiner la croissance prévue pour 2018.
Les aides au logement grâce à notre système de redistribution contribuent à réduire au moins d’un cinquième l’écart entre les ménages les plus riches et les ménages les plus pauvres. Aussi, la baisse de 5 euros par mois des aides au logement permettant d’économiser 390 millions d’euros par an, pourrait davantage creuser le fossé entre les 10% des ménages les plus riches et les 10% les plus pauvres.
Quant aux contrats aidés, jugés trop coûteux et inefficaces pour lutter contre le chômage, ils devraient voir leur nombre baisser de 40% en 2018. Ceux-ci sont pourtant très utiles pour les jeunes chômeurs sans qualification et pour les chômeurs de longue durée. Ils facilitent leur intégration et leur permettent d’acquérir une formation. Ils sont très utiles aussi pour les associations et les services publics, ou encore pour les collectivités territoriales, en particulier pour les écoles en participant activement à leur fonctionnement. Leur diminution fait donc courir un triple risque : celui de précariser et d’exclure davantage les chômeurs les plus vulnérables, de mettre en grande difficulté de nombreuses associations, et de dégrader la qualité de certains services publics limitant ainsi leur effet redistributif. Afin de parvenir à contenir le déficit budgétaire en deçà des 3% du PIB d’ici 2018, ces efforts budgétaires pourraient vite s’étendre aux investissements publics et à la protection sociale avec le risque d’aggraver encore plus les inégalités et d’appauvrir les ménages.
L’investissement public est passé ces dernières années en France de 4.2% à 3.5% du PIB. Une nouvelle baisse serait périlleuse puisque le recours à l’investissement public a un impact sur l’emploi et la croissance bien plus important que la réduction des cotisations sociales.
A ces risques s’en ajoute un autre, celui de la précarité liée à la flexibilité du marché du travail. En effet, vouloir lutter contre le chômage en flexibilisant le travail pour réduire la peur d’embaucher, ouvre la voie à la modération salariale. La rupture conventionnelle collective pourrait devenir une variable d’ajustement au service de la compétitivité, pouvant contraindre les salariés à accepter une réduction de leurs salaires de peur de perdre leur emploi. On peut considérer qu’il vaut mieux être moins bien payé plutôt que d’être chômeur ! C’est le cas de l’Allemagne qui a un taux de chômage faible au prix d’une précarité forte.
Mais, il faut être conscient que ce choix accroît les inégalités entre les salariés protégés et les salariés précaires. De plus, en limitant le pouvoir d’achat d’une grande partie de ces ménages, il affaiblit le niveau de la demande globale et inévitablement celui de l’investissement. Avec moins de demande, les entreprises ne sont pas incitées à investir, elles doivent baisser leurs prix pour trouver des débouchés. Pour cela, elles pourront désormais plus facilement diminuer les salaires sous la menace de la rupture du contrat de travail devenue plus facile. Cette modération salariale affaiblissant de nouveau la demande, amoindrirait le niveau de l’investissement et condamnerait ainsi notre économie à des taux de croissance ne pouvant plus dépasser les 2% du PIB. Dans cet engrenage, la flexibilité du travail deviendrait la seule solution pour lutter contre le chômage. Or, la justification de la flexibilité du travail s’appuie sur une analyse erronée de la situation de l’emploi selon laquelle le chômage serait lié à la rigidité du marché du travail. Le niveau de l’emploi ne se détermine pas que sur le marché du travail mais découle d’abord du niveau de la production marchande et non marchande qui dépend de l’investissement, lui-même dépendant de celui de la demande. Aussi, le meilleur moyen de créer des emplois est d’investir dans la transition écologique, dans l’éducation, la formation, la recherche et le développement, dans les services de la santé et les services sociaux, ainsi que dans les infrastructures de logement et de transport. La hausse des investissements publics permet de réduire le chômage sans précarité. Elle permet aussi, selon les théoriciens de la croissance endogène, de préparer la transition énergétique sans creuser les déficits publics voire même sans augmenter les impôts ni la dette, grâce à la croissance économique qui en résulte. Notre économie semblerait suivre cette voie grâce au plan d’investissement public de 57 milliards. Les pays européens auraient donc intérêt à s’engager dans cette voie. D’autant plus qu’il est possible selon les recommandations du FMI et de l’OCDE, d’étendre cette politique économique au sein de l’Union Européenne tant les besoins sont criants, notamment en Allemagne où la vétusté des infrastructures publiques s’aggrave, et où la précarité ne cesse de s’accroître. L’investissement public n’est pas une nostalgie Keynésienne, mais bien le moyen d’éviter les risques de l’austérité et de la flexibilité.