Nous utilisons tous des réseaux sociaux pour rester en contact. En quoi menacent-ils nos démocraties ?

Couverture Le 1 numéro 134 du 17 février 2021En mettant en relation une offre d'information toxique avec la demande de publics fragiles, en assurant la promotion de la marginalité et du radicalisme, les réseaux sociaux accentuent les vulnérabilités et les travers des sociétés démocratiques.

Le 17 février 2021, quelques semaines après la prise d'assaut du Capitole, le journal Le 1 consacrait son numéro 334 à l'impact des réseaux sur nos démocraties : "Google, Facebook & Co : Démocratie en danger ?"

Tristan Mendès France, chargé de cours au Celsa (École des hautes études en sciences de l'information et de la communication) et maître de conférences associé à l'université Paris Diderot, analyse en quoi les GAFAM et les réseaux sociaux menacent nos démocraties.

La globalisation des publications des extrêmes leur permet de mutualiser leurs ressources et crée une véritable synergie. Par exemple, une image détournée de son contexte par un groupuscule russe pourra l'être à nouveau dans un autre pays, par un autre groupe, à d'autres fins. Cette synergie accentue la toxicité de leurs messages.

Le filtre des algorithmes joue un rôle déterminant dans l'accès à l'information. Sur YouTube, 70% des vidéos sont vues du fait d'une recommandation de l'algorithme plutôt que suite à une recherche active. La hiérarchisation de l'information, qui était autrefois assurée par le filtre des médias professionnels, s'en trouve bouleversée. Cela conduit à une dérégulation du marché de l'information. Certains groupes savent habilement en tirer parti. Une information fortement idéologisée, portée par un militantisme de clavier très actif, devient plus visible qu'une information médiane, équilibrée et nuancée.

Par exemple, on entend plus s'exprimer la minorité qui milite contre le port du masque et la vaccination que l'immense majorité qui accepte les gestes barrières et espère être vaccinée.

Des communautés militantes marginales parviennent à obtenir un écho global majeur en pratiquant la stratégie dite de l'astroturfing : elles se coordonnent pour envoyer simultanément un message aux algorithmes, assurant une bien meilleure visibilité de leur communication.

Cet effet de démultiplication de l'audience est le même que celui qui a permis aux 20.000 contributeurs du financement participatif du film Hold-up d'obtenir plusieurs millions de vues pour promouvoir leurs idées. Par d'autres moyens, leur nombre ne leur en laissait espérer que quelques dizaines de milliers.

La diffusion affinitaire a une plus grande force de recommandation que celle des algorithmes. Les réseaux dits privés, tels que WhatsApp, Messenger et autres, sur lesquels leur rôle est bien moins important, s'avèrent ainsi beaucoup plus virulents que les réseaux dits publics, comme Twitter ou Facebook par exemple. Si les bulles de filtres et chambres d'échos créées par les algorithmes accentuent la communautarisation et la radicalisation, la segmentation des audiences en communautés marginales fermées aboutit à renforcer leur influence. L'effet de meute, l'effet tribal, mais aussi une moindre peur d'un regard extérieur, favorisent des propos plus extrêmes et l'auto-radicalisation. De retour sur les réseaux ouverts, ces militants sont encore plus virulents.

Ils le sont également dans la vie réelle.

Il manque peut-être à cette analyse la prise en compte de la dimension neurobiologique, brillamment expliquée par la série Dopamine d'ARTE. Comment supporter la contradiction propre au débat démocratique quand on est accro à l'hormone de la récompense ?

Dans ce numéro du 1 consacré aux réseaux sociaux et à leur influence sur la démocratie, bien d'autres articles éclairent le sujet sous des angles différents. L'infographie de Jochen Gerner donne de nécessaires repères sur la vie politique à l'heure des réseaux sociaux, de Cambridge Analytica à la suspension du compte Twitter de Donald Trump après l'assaut contre le Capitole. Aurélie Jean nous rappelle que les GAFAM doivent tout à la démocratie. Shoshana Zuboff décrit "Big Other" comme le cheval de Troie technologique du capitalisme de surveillance. Eric Fottorino plaide pour la compréhension et le contrôle. Joëlle Toledano insiste sur la connaissance des algorithmes et des modèles économiques. Samuel Laurent questionne la possibilité d'un contre-pouvoir citoyen face aux GAFAM. Jaron Lanier explique le concept de CALAMITE dont il est l'auteur. Nous serions entrés dans l'ère des "Comportements Altérés et Loués à des Annonceurs-Manipulateurs par des Ingénieurs à la Tête d'Empires".

Tout un programme, qui rend d'autant plus nécessaire la lecture de ce numéro 334 du 1.

Elle pourra être complétée par celle d'un article du Monde diplomatique n°804 de mars 2021. Intitulé "Un journalisme de guerres culturelles : Vendre de la discorde plutôt qu'informer". Il questionne, sous la double plume de Serge Halimi et Pierre Rimbert, le choix de certains médias, poussés par une situation économique fragile, de privilégier les positions les plus idéologiques. Il s'agit de caresser leurs publics d'abonnés militants dans le sens du poil, pour n'en perdre aucun.

Au risque de bétonner, encore un peu plus, les convictions et les animosités.

Mise à jour de février 2022 : Fortement soumises à la critique, Alphabet (maison mère de Google et propriétaire de son écosystème, dont fait partie YouTube) et Meta (propriétaire de Facebook, Messenger et WhatsApp), ont annoncé vouloir exclure certains contenus de leurs plateformes ou en limiter la visibilité.

Le 1 n° 334 du 17 février 2017 (achat en ligne) : Consulter

Le Monde diplomatique n°804 de mars 2021 : "Un journalisme de guerres culturelles : Vendre de la discorde plutôt qu'informer." : Consulter